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Kailash Trilochun : portrait d’un beau-frère
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Kailash Trilochun : portrait d’un beau-frère
Il est à la fois le cousin et le beau-frère de Nando Bodha. Lui, c’est Me Kailash Trilochun, 45 ans. Et il ne chôme plus depuis l’installation au pouvoir de l’alliance Lepep. Aujourd’hui, il vend ses conseils et autres services juridiques à au moins quatre institutions de l’État : la Road Development Authority (RDA), la Financial Intelligence Unit (FIU), l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA), la Mauritius Shipping Corporation Ltd (MSCL) et il représente le commissaire de police (CP) contre le Directeur des poursuites publiques (DPP) (voir plus loin).
Les avocats et avoués que nous avons interrogés dans le cadre de notre enquête sont unanimes à reconnaître que Me Kailash Trilochun, qui n’est pas connu dans les milieux judiciaires pour être un ténor, obtient des contrats que personne d’autre ne peut. Serait-ce en raison de ses liens de parenté et de sa proximité avec le secrétaire général du MSM, qui ne rate d’ailleurs jamais une occasion de le défendre ? Oui, répondent-ils.
Ce que récuse Me Kailash Trilochun. «Nous ne pouvons pas maîtriser la perception des autres qui est subjective et appartient à chaque personne. Je suis un avocat indépendant», insiste-t-il. Et d’ajouter : «Vous évoquez mes liens avec Nando Bodha mais est-ce que cela signifie que all lawyers close to power or government should not be instructed et que ce sont des lawyers not close to power qui devraient l’être ? Le facteur le plus important dans la relation entre un client et son avocat repose sur la confiance et la confidence. And who is more trustworthy is a matter which is for you alone to decide? Cela dit, Nando ne m’a jamais envoyé de client.» (N’empêche, la question est posée : dans une institution étatique, employer un homme de loi reconnu comme étant indépendant suggère l’indépendance de cet organisme. A contrario, si on change de conseil légal à chaque changement de gouvernement, c’est le message contraire qui est transmis.)
«NOUS NE POUVONS PAS MAÎTRISER LA PERCEPTION DES AUTRES QUI EST SUBJECTIVE ET qui APPARTIENT À CHAQUE PERSONNE. JE SUIS UN AVOCAT INDÉPENDANT.»
Mais que dire, alors, du fait que les Trilochun Chambers partagent la même adresse postale que le ministre Nando Bodha lorsqu’il réside à Vacoas ? Me Kailash Trilochun est, en effet, un des rares avocats à ne pas avoir de bureau à Port-Louis. «Port-Louis is botched up with traffic jams all day long and is crowded», explique-t-il.
Un proche du ministre indique, de son côté, que ce dernier «a comme adresse Solférino, Vacoas, quand il s’est inscrit comme candidat au n°16, soit la même que son beau-frère Kailash Trilochun. Néanmoins, Nando Bodha a une résidence à Calodyne. Mais pour qu’il soit proche de ses mandants, le ministre passe plus de temps à Solférino qu’à Calodyne».
Et que pense, justement, Nando Bodha des nombreuses nominations de son beau-frère et cousin ? Son attaché de presse nous a déclaré qu’il ne répondra pas à nos questions. Nous nous sommes alors rendus devant les studios de Radio-Plus, jeudi, où le ministre participait à une émission. Après s’être enquis du sujet de notre papier, Nando Bodha nous a dit cela en substance : «C’est le Conseil des ministres qui l’a (NdlR, Kailash Trilochun) nommé à la tête de la FIU et je crois qu’il touche Rs 50 000. À la RDA, ce n’est pas moi, mais le board qui l’a nommé et il touche Rs 40 000. Pour l’ICTA, il y avait un appel d’offres et son cabinet a été retenu.» Et de se demander : «Est-ce que les gens veulent m’atteindre à travers lui ?»
Dans l’entourage de Me Kailash Trilochun, on nous explique que «les articles de presse qui critiquent Kailash sont sources de peine pour la famille…»
Nomination sur nomination
C’est en juillet 2015 que Me Kailash Trilochun devait voir braquer les projecteurs sur lui, au plus fort de la tension entre le DPP, Me Satyajit Boolell, et la police. Au lieu de solliciter les services d’un avocat du parquet pour le représenter, le CP Mario Nobin l’avait choisi. Dans les milieux du judiciaire, on expliquait mal ce choix de la police. Et, valeur du jour, la somme que les Casernes centrales lui ont versée n’est pas connue…
À l’express qui l’interrogeait, Me Kailash Trilochun avait précisé que ce n’est pas la première fois qu’une personne occupant un poste constitutionnel contourne le parquet et engage les services d’un avocat du privé. Citant notamment le cas de Dev Hurnam contre le DPP d’alors, la juge Ah Foon Chui Yew Cheong. Cette dernière avait eu recours à deux avocats du privé. «Le droit de tout individu est de retenir l’avocat de son choix et, en tant qu’avocat, je n’ai pas le droit de refuser un cas. Mais je peux vous assurer que si demain il y a un possible conflit d’intérêts entre moi et le CP, je me récuserai», avait souligné Me Kailash Trilochun.
En septembre 2015, Me Subhas Lallah, qui conseillait la RDA – qui tombe directement sous la tutelle de Nando Bodha – depuis une quinzaine d’années, reçoit une lettre lui annonçant que son contrat prenait fin. Parallèlement, un appel d’offres est lancé auprès de cinq firmes d’avocats, dont les Trilochun Chambers. La seule firme qui répond à l’appel est retenue automatiquement. Devinez laquelle ? Trilochun Chambers, bien évidemment. Interrogé, Me Subhas Lallah n’a pas souhaité faire de commentaire sur cet exercice de remplacement de ses services.
Rs 3,3 millions en moins d’un an
En novembre 2015, l’express a interrogé Me Kailash Trilochun en sa capacité de Legal Adviser de la MSCL, qui tombe sous l’égide du ministère des Infrastructures publiques, donc sous Nando Bodha. Pas plus tard qu’il y a trois semaines, ses agissements au sein de la MSCL ont été dénoncés devant l’Employment Relations Tribunal par les syndicalistes de la Maritime Transport and Port Employees’ Union.
Outre la MSCL, le CP, la RDA, Me Kailash Trilochun a d’autres clients et il est payé grassement selon les réponses circulées, au compte-gouttes, au Parlement (voir plus loin). Il travaille aussi pour l’ICTA (où il a touché un jackpot de plus de Rs 3 millions en moins d’un an !) et agit aussi, désormais, comme le Chairman de la FIU, avec accès à des informations sensibles !
D’ailleurs, peu après sa nomination à la tête de la FIU, il aurait envoyé une strong letter au bureau du DPP pour réclamer des informations en sa nouvelle capacité. «Sa lettre était rude et il s’est permis de donner un moratoire au DPP !», nous confie une source.
Pour le chef de file du PTr au Parlement, Shakeel Mohamed, on ne peut blâmer Me Kailash Trilochun «qui prend ce qu’on lui donne». En revanche, soutient l’homme de loi, il faut montrer du doigt Nando Bodha qui est «le décideur».
RS 394 600 DE L’ÉTAT PAR MOIS
Du 22 mai 2015 au 21 mars 2016, Me Kailash Trilochun a touché Rs 3,3 millions à l’ICTA. Institution où il est toujours en poste. Ce qui fait une moyenne de Rs 300 000 par mois. À la RDA, il touche Rs 40 000 par mois. À la FIU, Rs 54 600. Des honoraires rendus publics à l’Assemblée nationale. Ce, sans compter les extras. En somme, l’État lui verse au moins Rs 394 600 chaque mois pour ses conseils légaux au sein des différents organismes où il a été nommé.
DE MAÇON À AVOCAT
Ce qu’il veut – du moins, ce qu’il dit vouloir –, c’est travailler en toute indépendance et servir la loi et la justice «without fear or favour». D’ailleurs, lorsqu’il a ouvert les Trilochun Chambers, il s’est «totalement éloigné de la politique et des politiciens, y compris de Nando Bodha. Pendant trois à quatre ans, nous avons eu très peu de contacts car je voulais préserver mon indépendance». C’est ce qu’a déclaré Me Kailash Trilochun dans un précédent entretien avec l’express.
Quatrième des sept enfants d’un chauffeur d’autobus et d’une couturière vivant à Solférino, Vacoas, Me Kailash Trilochun explique que lorsque la voiture de son père, pour laquelle ce dernier a contracté un emprunt, est emboutie à l’arrière, la famille est «plongée dans une misère noire». D’autant plus que l’affaire met 12 ans à être réglée. «Nous étions tellement pauvres que lorsque ma mère me donnait Rs 7,50 et qu’elle m’envoyait à la boutique acheter un quart de livre de travers de mouton pour toute la famille, le boutiquier ne savait que faire. Il disait qu’il avait du mal à découper un quart de livre de ‘mutton flaps’.»
Pour soutenir financièrement les siens, Kailash Trilochun doit alors exercer plusieurs petits boulots : docker, maçon, tôlier, menuisier, vendeur tantôt de jouets, tantôt de légumes qu’il plantait dans sa cour. Pendant plusieurs années, il travaille comme plongeur au restaurant Café National, à Vacoas. Sa vie prend un autre tournant lorsqu’il y croise un prêtre sud-africain. Autrefois un homme d’affaires à succès, ce dernier l’introduit dans un réseau d’intermédiaires de peintures. «J’allais en Asie et en Europe acheter des toiles que je revendais à Maurice et en Afrique du Sud. Cela m’a permis d’amasser une coquette somme.»
Une voie toute tracée, semble-t-il. Mais c’était sans compter son désir de faire des études supérieures en droit. Désir renforcé par le rôle de l’avocat qui défend des opprimés, interprété par l’acteur bollywoodien Anil Kapoor dans le long-métrage Meri Jung. Il se tourne vers la Grande-Bretagne où il trouve un emploi bien rétribué de cireur de chaussures de nuit dans un grand palace.
Kailash Trilochun s’inscrit à l’université de Hertfordshire, qui est la seule université publique à offrir la possibilité de faire un LLB en deux ans au lieu de trois. Il fait, par la suite, son Bar au Inn’s of Court School of Law de Londres. Pour survivre, il se fait chauffeur de taxi. Après avoir galéré pour trouver un avocat ou un avoué disposé à le prendre en stage, il rencontre l’avocat Richard Keogh, dans son taxi. «Lorsqu’il a su que je faisais mon Bar et que je ne trouvais pas de cabinet où faire mon ‘pupillage’, il m’a pris sous son aile et j’ai fait beaucoup de cas de droit du travail et d’immigration.»
En l’an 2000, lorsque l’alliance MSM-MMM arrive au pouvoir, il devient alors le conseiller de Showkutally Soodhun, qui était à cette époque ministre du Travail. Kailash Trilochun participe à la réforme des lois du travail et est nommé à la présidence de l’Industrial Relations Commission. Deux mois après sa nomination, il démissionne et ouvre alors les Trilochun Chambers.
YATIN VARMA : «APPOINT ME AS LEGAL ADVISER»
Sous l’ancien régime, les emplois tels que Legal Adviser ont toujours été sources de controverse. Yatin Varma, député entre 2005 et 2010, a été le conseil légal de plusieurs institutions. Alors que ce dernier était en conflit avec Vasant Bunwaree, Paul Bérenger avait fait circuler, au cours d’une conférence de presse, une correspondance adressée au Medical Council pour en être le conseil légal. Par la suite, des parlementaires ont appris que Yatin Varma était déjà le conseil légal du Sugar Industry Labour Welfare Fund, de la Mauritius Film Development Corporation, de l’ICTA, du Central Electricity Board, ainsi que des municipalités de Quatre-Bornes et de Vacoas–Phoenix.
En 2006, le député Yatin Varma avait envoyé une série de correspondances à ses collègues ministres en ces termes : «I would be grateful if you could kindly consider appointing me as legal adviser on a monthly retainer basis to one of the institutions falling under your responsibility.»
ASSEMBLÉE NATIONALE : LES INFORMATIONS AU COMPTE-GOUTTES
C’est à la suite des questions du Whip de l’opposition que les informations officielles sur les nominations de Me Kailash Trilochun ont commencé à filtrer au compte-gouttes à l’Assemblée nationale. Tout a commencé à partir de la deuxième séance parlementaire, après la reprise le 29 mars. Rajesh Bhagwan demande au Premier ministre le nom des conseils légaux dont les services ont été retenus par l’ICTA, la date de leur nomination, leurs honoraires, le montant des réclamations.
Dans une réponse déposée quelques jours plus tard à la bibliothèque de l’Assemblée nationale, on apprendra que les services de Me Kailash Trilochun ont été retenus par cet organisme du 22 mai 2015 au 21 mars 2016 et qu’il a touché plus de Rs 3,3 millions comme honoraires. C’est par la suite que le principal concerné affirmera, dans nos colonnes, qu’il est toujours le conseil légal de l’ICTA après que le Premier ministre (NdlR, responsable de l’ICTA depuis le 14 mars, suivant le mini-réaménagement ministériel) lui a demandé de rester en poste.
Le 12 avril, place à une deuxième question parlementaire de Rajesh Bhagwan sur Me Kailash Trilochun. Cette fois-ci, c’est le ministre des Infrastructures publiques Nando Bodha qui est interrogé sur la nomination de son beau-frère comme conseil légal de la RDA. Organisme qui tombe sous la tutelle des Infrastructures publiques. L’on apprendra ainsi que Trilochun Chambers a décroché un contrat de trois ans, à compter de février 2016, pour être le conseil légal de la RDA. Le cabinet de Me Kailash Trilochun touche des honoraires de Rs 40 000 par mois. Montant que, toujours selon Nando Bodha, touchait également le prédécesseur de son beau-frère à ce poste, Me Subhas Lallah.
Mais ce n’est pas tout. Le ministre révélera également, dans sa réponse, que Me Kailash Trilochun a touché Rs 57 500 de l’organisme. Ce, avant que son cabinet ne décroche le contrat. Son beau-frère a été rémunéré pour avoir assisté Me Subhas Lallah, représentant légal de la RDA dans le cadre de l’Investigative Committee et ensuite du comité disciplinaire institué contre deux ex-hauts cadres de la RDA après l’effondrement d’une partie de la route Terre-Rouge–Verdun.
Sauf que cela ne s’arrête pas là. Suivant une troisième question parlementaire de Rajesh Bhagwan, en date du 19 avril, on saura, à travers une réponse déposée quelques jours plus tard, que Me Kailash Trilochun est également le Chairman de la FIU. Le ministre Roshi Bhadain réplique que l’homme de loi a été nommé à ce poste le 22 avril et ce, pour une période de trois ans. En retour, il touche des honoraires all-inclusive de Rs 54 600 par mois.
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