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Coalition américano-britannique face à Maurice: Les menteurs !
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Coalition américano-britannique face à Maurice: Les menteurs !
Pour la première fois, le Royaume-Uni et les États-Unis communiquent conjointement sur la question des Chagos, et de quelle manière ! Ces deux superpuissances menacent de rompre les relations avec Maurice si nous insistons à porter la revendication de la souveraineté devant la cour internationale de La Haye. Leur communiqué émis vendredi matin et qualifié «d’inacceptable» par le PM mauricien quelques heures plus tard est, comme toute l’histoire de ce dossier, ponctué de mensonges.
Depuis 50 ans que ça dure, jamais les États-Unis et le Royaume-Uni n’avaient émis de communiqué conjoint sur le dossier Chagos. À chaque fois que Maurice s’est tournée vers Washington, leur réponse était toute simple : «Ce sont les Anglais qui vous ont pris votre île, nous ne sommes que des locataires, voyez avec eux.» Le Royaume-Uni, lui, s’est toujours joué de nous.
Ce qui a changé entre-temps, c’est la menace mauricienne de porter la souveraineté des Chagos devant la cour internationale des Nations unies si d’ici le 30 juin, le Royaume-Uni ne fixait pas une date pour la restitution de l’archipel. Menace formulée par sir Anerood Jugnauth le 17 mai à l’Assemblée nationale. Pourquoi donc les États-Unis et le Royaume-Uni sortent-ils les griffes devant cette possibilité ?
À cette question, Shafiq Osman, docteur en géopolitique, nous renvoie à deux résolutions des Nations unies. D’abord la résolution 1514 qui régit le recours d’un pays à son indépendance et dont l’article 6 stipule que «toute tentative visant à détruire partiellement (...) l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la charte des Nations unies». Il y a ensuite la résolution 2066 où les Nations unies notent en 1965 avec «une très grande inquiétude» que le Royaume-Uni tente de détacher certaines îles du territoire mauricien pour la création d’une base militaire, ce qui viole la résolution 1514.
Même si la menace de Maurice n’est composée que d’une requête consultative auprès de la cour de justice internationale, elle a l’air d’être suffisante pour que ces deux superpuissances s’inquiètent. Une inquiétude qui va jusqu’à les pousser à mentir... (encore une fois). Dans leur communiqué conjoint émis vendredi, le Royaume-Uni et les États-Unis affirment que les Chagos font partie du British Indian Ocean Territory (BIOT) depuis 1814. Or, les deux savent bien que ni Maurice, ni les Nations unies, via sa résolution 2066, ne reconnaissent ce BIOT.
Cependant, le mensonge le plus grossier c’est celui de la protection de l’environnement. «Nous accordons une grande considération aux intérêts mauriciens dans la préservation de l’environnement marin du BIOT», écrivent les deux pays. Or, non seulement Maurice ne reconnaît pas le BIOT, mais la question de la préservation de l’environnement marin a été remportée haut la main par Port-Louis devant le tribunal arbitral sous la Convention de la Mer qui en mars 2015 a décrété que Maurice devrait être consulté avant toute décision concernant l’environnement marin des Chagos.
«Le fait que l’Angleterre avait toujours affirmé que Maurice a des intérêts futurs dans l’archipel de Chagos a joué en notre faveur aussi», commente Milan Meetarbhan, ancien ambassadeur de Maurice aux États-Unis. Les Anglais avaient toujours affirmé que l’archipel sera rendu à Maurice lorsqu’il ne sera plus utile à «défendre les intérêts de l’Occident». Or, sir Anerood Jugnauth rétorque, dans un communiqué émis vendredi, que cela ne tient plus depuis la fin de la guerre froide. Depuis, les deux pays utilisent le terme «defence purposes» pour justifier la présence de la base militaire à Diego Garcia. «The criteria for determining whether the Chagos Archipelago is still required for defence purposes therefore kept changing», ajoute sir Anerood Jugnauth.
Dans sa réponse, le Premier ministre mauricien certes rassure, avec des termes diplomatiquement corrects, la Grande-Bretagne et les États-Unis en affirmant qu’ils ne devraient pas considérer le recours à la cour internationale de justice comme «unfriendly» mais plutôt comme une quête de justice. Mais les mots «totally unacceptable» et «hostile» utilisés pour décrire la menace américano-britannique de mettre fin aux relations traduisent bien la fermeté mauricienne et la volonté de ne pas abdiquer. Jamais auparavant, les trois acteurs, mauriciens, américains et britanniques, n’étaient allés aussi loin. Jamais auparavant cette guerre n’avait été aussi nerveuse.
Les coups bas de l’histoire
<p>Les declassified documents contiennent énormément d’éléments qui prouvent les coups bas du Royaume-Uni. Dès 1965, dans les documents officiels, il a été dit que ces îles n’étaient pas habitées. Plus tard, une autre version apparaît : le pays est peuplé de quelques serviteurs. Par la suite, le Royaume-Uni a demandé à ses diplomates aux Nations unies d’affirmer que les Chagossiens étaient des «travailleurs agricoles sous contrat» pour justifier leur expulsion. En décembre 2010, Wikileaks a révélé une correspondance datée de 2009 entre un officiel britannique et des Américains, évoquant la création du tant décrié parc marin : <em>«Les anciens habitants (de Chagos) se verront face à des difficultés, voire l’impossibilité, de donner suite à leur réclamation de retour sur l’archipel des Chagos si ce dernier est décrété réserve marine.»</em></p>
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Les dates importantes
<p><strong>8 novembre 1965 :</strong> Excision des Chagos du territoire mauricien par un Order In Council. Les Britanniques appelleront cette zone le British Indian Ocean Territory (BIOT).</p>
<p><strong>17 juillet 1966 :</strong> Les Chagossiens sont expulsés de leurs terres et ce, jusqu’en 1973.</p>
<p><strong>30 décembre 1966 :</strong> Signature du bail pour 50 ans renouvelable pour 20 ans supplémentaires à partir de décembre 2016. Les Américains accordent une compensation de 14 millions de dollars pour organiser la déportation des Chagossiens.</p>
<p><strong>Janvier 1971 :</strong> Début de la construction de la base militaire américaine.</p>
<p><strong>1er octobre 1977 :</strong> Ouverture officielle de la base militaire américaine. Elle sera opérationnelle à partir de 1986.</p>
<p><strong>1979 :</strong> Maurice a négocié pour une compensation supplémentaire.</p>
<p><strong>1982 :</strong> Maurice reçoit une autre compensation de 4 millions de livres sterling.</p>
<p><strong>1998 :</strong> Olivier Bancoult et le Groupe Réfugiés Chagos (GRC) entament leurs premières démarches de contestation avec l’aide de l’avoué mauricien Robin Mardemootoo, du Queen’s Counsel britannique Richard Gifford et de l’avocat sud-africain sir Sydney Kentridge devant la Haute cour de Londres.</p>
<p><strong>2000 :</strong> Première victoire pour le GRC. La Divisional Court anglaise émet un jugement en faveur des Chagossiens. Il est décidé que les pouvoirs que détiennent les Britanniques sur le BIOT ne leur donnent pas le droit d’expulsion des habitants de l’archipel. Les Chagossiens obtiennent le droit de retour sur leur archipel.</p>
<p><strong>10 juin 2004 :</strong> La reine d’Angleterre abroge l’Immigration Ordinance 2000 et émet deux Orders in Council afin d’empêcher tout retour des Chagossiens sur leur archipel.</p>
<p><strong>24 août 2004 :</strong> La Divisional Court anglaise estime que les Orders in Council sont «irrationnels» parce qu’«ils n’ont pas été faits dans l’intérêt des Chagossiens mais dans celui du Royaume-Uni et des États-Unis».</p>
<p><strong>11 mai 2006 :</strong> La Haute Cour de Londres renverse la décision de la reine et donne gain de cause aux Chagossiens.</p>
<p><strong>Juin 2006 :</strong> Les Britanniques font appel du jugement de la Haute cour de Londres à la cour d’appel.</p>
<p><strong>23 mai 2007 :</strong> La cour d’appel de Londres confirme la décision de la Haute Cour en date du 11 mai 2006, autorisant les Chagossiens à retourner vivre aux Chagos.</p>
<p><strong>Juin 2008 : </strong>Le gouvernement britannique fait appel au House of Lords au sujet du retour des Chagossiens.</p>
<p><strong>22 octobre 2008 :</strong> La House of Lords, instance légale suprême britannique, décide que les Chagossiens ne reverront pas leur petit paradis de sitôt.</p>
<p><strong>1er avril 2010 :</strong> Les Anglais décrètent un parc marin aux Chagos, sans consulter Maurice.</p>
<p><strong>avril 2012 :</strong> 25 000 signatures obtenues à la pétition des Chagossiens à la Maison-Blanche.</p>
<p><strong>En 2012 : </strong>La Maison-Blanche répond à la pétition et dit reconnaître le BIOT et donc la souveraineté de l’Angleterre sur les Chagos.</p>
<p>Pétition à la Cour européenne des droits de l’Homme par les Chagossiens.</p>
<p><strong>20 décembre 2012 :</strong> La Cour de Strasbourg juge irrecevable la plainte des Chagossiens pour le retour dans leurs îles.</p>
<p><strong>5 mai 2014 :</strong> Début des dernières délibérations du tribunal arbitral sous la Convention du Droit de la mer avant le jugement à Istanbul. Maurice avait contesté contre le projet de Marine Protected Area aux Chagos.</p>
<p><strong>20 mars 2015 :</strong> Le tribunal arbitral sous la Convention du Droit de la mer rend son jugement en faveur de Maurice.</p>
<p><strong>30 décembre 2016 :</strong> Expiration du bail de 50 ans accordé aux Britanniques en décembre 1966.</p>
Comment ils comptent nous faire chanter
<p>Les menaces de la Grande-Bretagne et des États-Unis seront effectives si Port-Louis ose saisir la Cour internationale de justice. Elles peuvent prendre plusieurs formes, diplomatiques, militaires, économiques et surtout commerciales.</p>
<p>Les États-Unis et le Royaume-Uni sont parmi les plus importants partenaires commerciaux de Maurice. Selon les données temporaires de Statistics Mauritius pour 2015, les exportations de Maurice vers les deux pays représentent 23,2 % du volume total de ces transactions. Le montant total des exportations pour 2015 est de Rs 86 107 709 398. La part des États-Unis et celle du Royaume-Uni étaient respectivement de Rs 9 105 586 624 et de Rs 10 852 604 138, soit 10,6 % et 12,6 %.</p>
<p>Si les États-Unis décidaient de bloquer les exportations de Maurice vers ce pays, quatre secteurs seraient affectés. En premier lieu, l’habillement. Les données pour 2015 indiquent que le pays a exporté pour Rs 6 421 525 483 de vêtements pour hommes, enfants, femmes et jeunes filles.</p>
<p>Dans un deuxième temps, il suffirait aux États-Unis d’interdire l’importation de singes en provenance de Maurice pour que le secteur de l’élevage et de l’exportation de ces primates souffre. Toujours en 2015, les États-Unis étaient le premier importateur de singes en provenance de Maurice loin devant le Royaume-Uni et la France. Il ressort que 3 994 têtes de singes pour un montant de Rs 359 516 965 ont été exportées vers ce pays en 2016.</p>
<p>Deux autres secteurs se trouvent en tête de liste des exportations de Maurice vers les États-Unis en 2015. Il s’agit de l’industrie de précision chargée de la taille de diamants et de la transformation des produits de la mer. Toujours pour l’exercice 2015, les États-Unis ont importé pour Rs 565 226 074 de diamants taillés et pour Rs 184 719 914 de filets de poissons.</p>
<p>Si le Royaume-Uni décidait également de mettre ses menaces à exécution, les premiers secteurs susceptibles d’en ressentir les effets sont l’habillement, la production du sucre et la transformation des produits de la mer. En 2015, les exportations du prêt-à-porter pour le Royaume-Uni se sont élevées à Rs 3 865 908 080.</p>
<p>Là où cela risque de faire plus mal encore, c’est au niveau de l’exportation du sucre. En 2015, les principales cargaisons en sucre exportées vers le Royaume-Uni ont été de Rs 1 365 475 390. En 2017, ce sera la fin des quotas en ce qui concerne la production du sucre de betterave en Europe. Cela signifie que Maurice va devoir se battre avec d’autres concurrents sur le marché mondial du sucre. Cela risque de se corser s’il faut compter sur un blocus du Royaume-Uni. Concernant la transformation des produits de la mer, le Royaume-Uni a acheté pour Rs 726 648 254 de thon en 2015.</p>
Laisser Diego Garcia aux Britanniques, «pas une bonne idée»
<p>Dans son communiqué, sir Anerood Jugnauth a laissé entendre qu’il est prêt à laisser l’île de Diego Garcia aux Britanniques et le maintien de la base militaire américaine à condition qu’une date précise soit donnée pour le retour des Chagossiens sur l’archipel. «Dans le passé, cette idée avait été évoquée mais a été vite abandonnée», explique Milan Meetarbhan. Selon lui, remettre cette proposition sur la table ne serait pas une bonne idée. «Il y aura trop d’implications. De plus, cette décision portera préjudice à notre demande de retour sur l’archipel. Nous allons tout droit vers l’exclusion de recours à l’avenir si jamais on n va de l’avant avec ce plan.»</p>
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Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos : «La souveraineté n’a jamais été mon combat !»
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<p><strong>Comment interprétez-vous le communiqué conjoint de la Grande-Bretagne et des États-Unis ? </strong></p>
<p>J’ai pris connaissance de cette lettre. Pour moi, la question de souveraineté, c’est la guerre des grands. En ce qui me concerne, je milite pour les droits fondamentaux des Chagossiens de retourner sur leur terre. Je ne veux pas me mêler de ce combat. C’est comme deux éléphants qui se battent. C’est l’herbe qui est détruite. Tout ce que nous demandons, c’est de pouvoir revenir sur nos terres.</p>
<p><strong>Mais cette prise de position n’assombrit-elle pas vos espoirs de repartir sur vos terres ? </strong></p>
<p>Je ne combats pas pour des causes qui ne sont pas miennes. Je suis pour que les Chagossiens puissent repartir vivre sur leur île. Et ce, peu importe qui a la souveraineté. La souveraineté n’a jamais été mon combat !</p>
<p><strong>Êtes-vous en faveur de la démarche du Premier ministre de se tourner vers l’International Court of Justice ? </strong></p>
<p>Je ne suis pas le conseiller du Premier ministre. S’il juge bon de le faire, je suis mal placé pour l’en empêcher. Je ne veux pas prendre position en faveur de quiconque. Le peuple chagossien a une souffrance et c’est notre priorité.</p>
<p><strong>Qu’attendiez-vous de la réponse de Maurice à la Grande-Bretagne et aux États-Unis ? </strong></p>
<p>C’est difficile pour moi de me prononcer. Je ne connais pas l’agenda du gouvernement. Mais il y a une chose que je juge indispensable. C’est que l’on n’écarte pas les Chagossiens des discussions qui les concernent. Il faut qu’ils soient consultés.</p>
ANALYSE DE SHAFIQ OSMAN, docteur en géopolitique «Que Maurice redéfinisse sa politique étrangère»
<p>«Ce qu’il faut comprendre du communiqué conjoint, c’est que ces deux puissances mondiales ont tenu à montrer que non seulement ils font encore affaire ensemble sur la question, à la veille de décembre 2016, mais qu’ils combattront Maurice ensemble. Toute la nation mauricienne doit s’unir autour de ce combat qui commencera aux Nations unies et qui s’annoncera dur car les chantages ne manqueront pas et il existera des traîtres aussi parmi nos compatriotes malheureusement.</p>
<p>«Certains Mauriciens du pays. comme de la diaspora se laisseront prendre au jeu de l’adversaire et c’est maintenant ou jamais qu’il faut avoir une solidarité sans faille entre les différents partis politiques, intellectuels, juristes, leaders d’opinion etc. Et le All-Party Parliamentary Committee sur les Chagos, présidé par le Premier ministre, devra aussi s’ouvrir vers des non-parlementaires qui ont des atouts pour mener à bien ce combat. Je pense là à Lalit, Henri Marimootoo, Cassam Uteem, au Dr Arvin Boolell, Vijay Makhan, Milan Meetarbhan etc.</p>
<p>«Quant au recours à la cour pénale internationale, il fait paniquer les Britanniques et les Étatsuniens car il y va de leur image au niveau onusien et international. Au niveau des droits humains, ils sont «foutus», de même qu’au niveau des violations des résolutions 1514 de 1960 et 2066 de 1965 des Nations unies. Mais la marche sera longue avant d’arriver à la cour pénale internationale…</p>
<p>«C’est un rapport de forces entre David et Goliath. Mais, et cela s’applique pour les ÉtatsUnis particulièrement, ils ont autant besoin de nous que nous d’eux. Nous sommes un pays sûr pour les ÉtatsUnis dans cette région du monde.</p>
<p>«Il est grand temps que Maurice définisse ou redéfinisse plutôt sa politique étrangère, revoie ses intérêts dans le monde, joue avec de nouveaux alliés potentiels et surtout, fasse beaucoup de communication, de sensibilisation et de lobbying à l’étranger, au sein de la communauté internationale. La nouvelle Union européenne, sans Londres, pourrait-elle, par exemple appuyer Maurice sur la scène internationale ? La France pourrait-elle donner un coup de main ? Doit-on revoir nos amis indiens pour qu’ils poussent le dossier Chagos au niveau onusien tout au moins ? Pourrait-on jouer la carte de la Chine ?»</p>
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