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Ashley*, 16 ans, dealer : «Je souhaite devenir patron»

9 juillet 2016, 22:30

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Ashley*, 16 ans, dealer : «Je souhaite devenir patron»

La commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, s'intéresse de près aux «zoké», notamment des enfants âgés de 8 à 13 ans, des adolescents et des collégiens. Ces enfants et petits jeunes sont devenus, contre rémunération, les mules des trafiquants de drogue pour écouler leurs produits sur le marché local.

C’est ce qu’ont révélé à la presse, le mois dernier, des travailleurs sociaux du Groupe A de Cassis, de LEAD et du centre Idrice Goomany, qui militent pour combattre le trafic de drogue. Des cadres du ministère des Droits de l’enfant devraient ainsi être entendus lors des prochaines auditions de la commission.

En attendant, l’express a voulu comprendre les motivations de ces enfants et adolescents-dealers qui prolifèrent autant dans les régions urbaines que rurales. Durant ces trois dernières semaines, leur parler s’est révélé un véritable parcours du combattant. Jusqu’à vendredi soir, où le contact a été établi avec un jeune «zoké» et consommateur de drogue de 16 ans, résidant les hautes Plaines-Wilhems. Confessions.

Présente-toi.

J’ai 16 ans. J’ai arrêté l’école en Form III. Je travaille comme helper. Mon père est chauffeur professionnel et ma mère, employée de maison. Mes parents ne sont pas dans le business, comme moi. Mais, ils savent, même s’ils ne me le disent pas directement, comment je gagne de l’argent.

Comment ?

Depuis l’année dernière, je vends des articles pour les patrons. Je fais l’intermédiaire entre le gros dealer qui veut rester discret et le client. En retour, j’ai de l’argent pour m’acheter des vêtements griffés, pour sortir, aller en boîte et louer un campement pour faire la fête.

Quel genre d’«articles» vends-tu ?

Du synthé (sobriquet donné aux drogues de synthèse, NdlR) comme la kétamine – une poudre blanche qui ressemble à de l’héroïne –, le Blueberry (des feuilles teintes de bleu), le wasabi qui sont de petites graines rouges, Strawberry, Mary Joyce et Bat dan latet. Il m’arrive aussi de vendre du Brown sugar et des comprimés comme Nova, Novotril et Pregata.

Connais-tu d’autres «zoké» comme toi ?

Une vingtaine au moins dans mon entourage. Depuis la fin de l’année dernière, les zoké sont partout. Aux abords des gares routières et dans les écoles.

Selon des travailleurs sociaux, il y aurait également des enfants-dealers âgés d’au moins 8 ans.

Le plus jeune que je connais a 11 ans. Ce que je sais aussi, c’est qu’il y a des consommateurs de drogue de moins de 10 ans.

Comment sais-tu qu’ils consomment de la drogue ?

Comme on le dit, bann zanfan-la mem pé al sa jazz net. (Ils sont parmi ceux qui consomment de plus en plus, NdlR). J’ai déjà eu affaire à un enfant de 8 ans, qui m’a dit : «Mo tann dir éna bon matério ek twa.»

De quel «matério» parlait-il ?

Du synthé.

Tu as vendu de la drogue synthétique à un enfant ?

Je ne voulais pas lui en vendre. Par la suite, j’ai compris qu’il a pu s’acheter sa drogue à travers un jeune plus âgé que lui. Linn bizin fer enn lizaz ek zénes-la.

Qui sont tes «patrons» ?

Ce sont des connaissances qui me font confiance.

Connais-tu les patrons de tes patrons ?

Pas personnellement. Je sais que certains sont à la tête de grosses compagnies et roulent en grosses voitures.

Qui sont tes clients ?

Des jeunes dont des collégiens et des ex-consommateurs de Brown qui préfèrent fumer du synthé aujourd’hui car c’est moins cher.

Sais-tu ce que contiennent les drogues ?

Selon certains, du poison pour rats. Ce qui est sûr, c’est que ce sont des produits chimiques. On a déjà essayé de me vendre un spray à Rs 3 000 qu’on applique sur des feuilles.

Quelles feuilles ?

Toutes sortes de feuilles qu’on fait sécher.

Es-tu conscient des dégâts provoqués par ces drogues que tu vends ?

J’en suis conscient puisque je suis moi-même consommateur. Je connais un jeune qui est mort le mois dernier après avoir consommé du Bat dan latet que lui avait vendu une personne qui était venue me voir pour enn trasman. Ça m’a travaillé. Je n’ai pas dormi des soirs d’affilée, mais j’ai besoin d’argent.

Tu dis être aussi consommateur. Quand as-tu pris ta première drogue ?

À 14 ans. J’ai commencé avec du gandia au collège. Depuis, je fume du synthé qui abonde sur le marché au contraire du gandia. J’ai aussi déjà fumé du Brown quand j’étais en manque de Kétamine, mais mes patrons m’en ont vite dissuadé à coups de gifles.

Te shootes-tu ?

Non.

Combien d’argent perçois-tu comme «zoké» ?

Un gramme de synthé équivaut à 40 pouliah que je vends à Rs 100 l’unité. De l’argent de la vente, je touche entre Rs 2 000 et Rs 2 500. Le reste va au patron. Au départ, j’ai commencé à vendre un knot, qui fait 13 pouliah. De cela, trois, soit, Rs 300 me reviennent et les dix autres, au patron.

Un gramme de drogue de synthèse se vend en combien de jours ?

Deux jours.

Être dealer, est-ce le seul choix possible pour ton avenir ?

Pour progresser, oui. Des jeunes comme moi ont acheté des motos, des voitures et ils font la fête. C’est pour cela que je souhaite devenir un patron. Ne plus vendre au détail mais au gramme moi aussi.

Pourquoi as-tu arrêté l’école ?

Ce sont les enseignants qui m’ont fait détester l’école. Pour un rien, on appelait mes parents ou on me renvoyait de l’école. J’en ai eu marre. J’ai tout plaqué et j’ai fini lor koltar. Jusqu’au jour où j’ai eu besoin d’argent pour m’habiller et me divertir. Mes parents ne m’ont pas donné de l’argent pour ça car ils craignaient que je m’achète de la drogue.

As-tu déjà été arrêté par la police ?

Non, mais je suis préparé mentalement car je sais à quoi m’attendre en faisant ce que je fais. J’ai peur mais j’ai besoin d’argent.

Tu es donc prêt à faire de la prison ?

Oui et je l’assume car je sais que c’est moi qui l’ai cherché. D’autant plus que mes parents m’ont déjà averti qu’ils ne paieront pas ma caution si cela arrive.

Que réponds-tu au ministre de la Santé qui, le 29 juin, a affirmé devant la commission d’enquête sur la drogue que la situation par rapport aux drogues synthétiques n’est pas alarmante dans le pays ?

La situation n’est pas alarmante chez lui. Dites-lui de descendre en ville comme dans les villages avant de se prononcer.

*Prénom modifié