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Quand Fanfan parle de «séga batiara», «femel paon» et «gouvernma detektiv»

31 juillet 2016, 13:40

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Quand Fanfan parle de «séga batiara», «femel paon» et «gouvernma detektiv»

 

Bien souvent, la vie lui a fait «dans sega», dit-il. Le monument de la culture locale qu’il est a fêté ses 86 ans mercredi à l’hospice Saint-Jean-de-Dieu, à Pamplemousses. Et si les dents sont parties, la langue de Louis Gabriel Joseph, elle, est toujours bien affûtée. Le conteur de Beau-Vallon n’a pas son pareil pour dire les choses et balancer des claques verbales. Les oreilles vont siffler. Et le cœur, parfois, sera profondément touché.

Que se passe-t-il dans la tête d’un jeune homme de 86 ans ?

Elle est remplie de souvenirs de mon enfance. Vous savez pourquoi je suis dur de la feuille ? C’est parce qu’une fois, je suis allé pêcher le homard, qui se vendait à 85 sous la livre à l’époque. J’ai plongé et j’ai abîmé mes tympans. Kosté pré… J’avais 22 jours quand ma maman est partie au ciel. J’ai vécu avec mon papa et mes grands-parents. Nous étions très pauvres. Et puis, un jour, je jouais aux billes quand je me suis évanoui. On m’a emmené à l’hôpital, on a découvert que j’avais la polio. Monn viv dan lakaz tol, dan lakaz kaka vass. On m’a déjà jeté une assiette vide au nez comme un chien, on m’a dit : «Ala to bouré !» Monn dormi anba laboutik… Lavi Fanfan pann fasil mo dir ou mama.

Justement, d’où vient ce surnom, Fanfan ?

C’est ma grand-mère qui m’appelait comme ça, je ne sais pas pourquoi. Depuis, même à l’étranger, on me connaît sous ce nom. J’en suis fier.

Pensiez-vous finir votre vie à l’hospice ?

Non… Mes deux filles prenaient soin de moi. Elles venaient me voir à la maison, à Beau-Vallon, je ne voulais pas quitter mo ti lakaz cité, que j’ai pu acheter après beaucoup de sacrifices. Mais mes deux filles travaillent. L’une d’elles venait me donner le bain le matin, l’autre préparait le repas et le thé, que je gardais dans un thermos. Mais pendant la journée, j’étais tout seul. Alors j’ai appelé Rama Poonossamy (NdlR : l’actuel directeur de l’agence Immedia) je lui ai expliqué ma situation. Je lui ai dit : «Rod enn kouvan konvenab pou mwa.» J’y laisse ma pension tous les mois, mais ici, on prend bien soin de moi. J’ai quelques amis, je ne suis pas seul pendant la journée.

«Frère, sœur, maman, papa, grand-mère, grand-père, tout le monde est parti»

Votre plus grand regret, c’est lequel ?

(Il écrase une larme) Boukou regré éna ma… Mais ce qui me rend le plus triste, c’est qu’arrivé à cet âge, une bonne partie des gens que je côtoyais n’est plus là. Frère, sœur – même s’ils m’en ont fait voir de toutes les couleurs – maman, papa, grand-mère, grand-père, tout le monde est parti. Pena gran dimounn pou pran mwa enn kont.

La drogue synthétique, des jeunes qui ont perdu leurs valeurs, les mœurs qui évoluent… Dites, gran dimounn, li touzour zoli zoli nou ti lil Moris ?

Je n’ai pas connu les drogues, juste un petit gandia, une ou deux fois. Mais j’aimais fumer et tap mo zafer. J’avais 55 ans quand j’ai rencontré celle qui allait devenir mon épouse (NdlR : qui n’est plus de ce monde), je suis devenu papa à 58 ans. Un jour, une de mes filles, qui avait trois ans à l’époque, m’a dit : «Papa, pourquoi tu fumes ? Pourquoi tu bois ?» Ce jour-là, j’ai dit adieu au grog et à la cigarette.

Et je suis triste quand j’entends ce qui arrive aux jeunes. Les valeurs se perdent. Il n’y a qu’à se rendre à un arrêt d’autobus pour entendre ce qu’ils racontent. Ils ne pensent pas à l’avenir, à ce qui leur arrivera quand ils seront vieux. S’ils ne meurent pas d’overdose avant ! La drogue, c’est un cercle vicieux. Ils voudront voler pour s’en acheter. Pena lavenir ladan zeness. Mé zot pa ékouté kan kozé, zot dir pa ékout bann vyé siko…

«Ramgoolam avait Rs 220 millions dans ses coffres, qu’allait-il faire de tout cet argent ?»

Parlons de votre anniversaire. Le ministre de la Culture, Dan Baboo, est venu vous rendre visite jeudi. Vous a-t-il offert un livre de chevet en cadeau ?

Moi en tout cas je lui ai offert ma bénédiction. Je suis content qu’il soit venu me voir, ça veut dire qu’on ne m’oublie pas. Je ne sais pas si ses intentions étaient vraiment bonnes ou s’il voulait se faire de la pub, mais sa présence m’a touché. Je ne sais pas ce qu’il y a dans le cœur des gens.

Dans le même registre, que pensez-vous de l’actuel gouvernement ? Si vous deviez composer un séga sur sa performance, quel en serait le titre ?

Gouvernma detektiv ! Je suis satisfait de sa performance. Ramgoolam avait Rs 220 millions dans ses coffres, qu’allait-il faire de tout cet argent ? Bolom Jugnauth pé fer byen, li pé netoyé. Mo pa pran so zintéré mé mo truvé li fer bon travay.

Oui, mais ceux qui sont actuellement au pouvoir n’ont pas un compte en banque vierge non plus, pas vrai ?

Non, les politiciens sont ce qu’ils sont. Il y en a qui sont racistes, surtout ce (il cite un nom). Et, ils sont tous bien plus riches que vous et moi. Mais ce que je veux dire, c’est qu’il faut bien commencer à faire le ménage quelque part.

«Un séga, ça doit raconter une histoire, ça doit avoir un sens»

Et le sort des artistes dans tout ça ?

Il faut les aider. Mais je ne suis pas sûr que tout le monde mérite le nom d’artiste, surtout en ce qui concerne le séga… Ena ramass labav zot kamouad, ce sont des plagiaires. Comme ce (il cite un nom). Zot kouma femel paon. Cette dernière doit se contenter de «miettes» pendant l’accouplement, parce que le mâle en féconde plusieurs en même temps. Il y en a également qui se prennent pour des patrons. Ils voyagent dans de grosses berlines, exigent qu’on leur ouvre la portière. Laissez-moi rire !

Dites-nous tout. À qui voulez-vous mettre un coup de Ti Bambou ?

Il y en a plusieurs à qui j’aimerais botter le derrière. Jadis, les gens traitaient les ségatiers de cholo ! Mais on nous respectait. Car, nous les anciens, avions un respect pour ce séga. Ti bizin met ou palto ek ou sapo pou invit enn fam dansé. Madam rantré ek so gran zip. Travay ouver. Il y avait une discipline. Aujourd’hui, il n’y a aucun respect. Ena enn paké batiara !

Le titre qui a heurté le plus vos oreilles ?

Des séga batiara, il y en a beaucoup ! Kilot pé dessann ? Taler mama vini a truv sa ladan ? Ki sasa sa ? Un séga, ça doit raconter une histoire, ça doit avoir un sens. Il faut savoir raconter la vie. Non, je ne suis pas d’accord ! Je vais finir par m’emporter !

Changeons de sujet dans ce cas ! Vous avez demandé à Dieu de «ramass ou». Vous lui direz quoi quand vous le verrez en face ?

De me donner une petite place à côté de lui pour que je puisse continuer à voir ce qui se passe sur Terre, parce que ça va me manquer. Et puis, de veiller sur mes enfants. Je lui demanderais de faire en sorte qu’ils soient toujours heureux. Je le remercierais aussi de m’avoir donné ce don pour la musique. Quand j’ai commencé à bat ravann, à l’âge de 11 ans, certains se moquaient de moi, ils disaient que j’étais un bon à rien. Je leur ai bien cloué le bec.

 «Je sais comment fonctionne l’être humain, j’ai vu la mentalité des gens»

Quand Il vous demandera ce que vous avez accompli, vous lui direz quoi ?

Que j’ai toujours été vrai, que j’ai travaillé à la sueur de mon front. Que je n’ai jamais rien volé, à part quelques mangues ! Et que j’ai aidé à lutter contre le communalisme à Maurice. Une fois, un garçon musulman est venu me voir, li ti anvi aprann bat lapo. Enn ti kreol dir mwa : «Ki, to pou montré laskar zoué ?» Je lui ai dit que le ti laskar n’avait pas le sang vert, mais rouge, tout comme moi. Après, j’ai mis un coup de pied à cet homme étroit d’esprit.

Moi, je m’en fous de l’appartenance ethnique, ma fierté, c’est de pouvoir transmettre ce que je sais. Kominal mo pa dakor ! Quand vous préparez un kari pwasson, il faut du tamarin de la terre, du poisson de la mer, des épices qui viennent des quatre coins du monde. Karay lor difé. Ler sa apé mitoné, ou néné pé évasé. Douri, lafarinn fer ti puri, farata. Ler ou apé manzé, fer atensyon ou manz ou lédwa (NdlR : extrait d’un de ses séga).

Vous aviez lancé un appel pour que l’on vous aide à réparer votre maison de Beau-Vallon, qui tombe en ruine. A-t-il été entendu ?

Les enfants s’en occupent, ils y jettent un coup d’œil. Certaines personnes m’ont conseillé de la vendre, mais j’y tiens trop, je ne peux m’en séparer. Un proche m’avait dit que je n’aurais jamais mon coin à moi, monn montré li ki mwa ! Je me suis battu pour l’avoir, j’y ai mes souvenirs.

Et quel sera le plus beau souvenir que vous emporterez avec vous quand l’heure sera venue ?

J’en ai trop. Je sais comment fonctionne l’être humain. J’ai vu la mentalité des gens. Il y en a, même parmi les proches, qui sont vraiment méchants. Ce que je sais, c’est que je partirai la tête haute. Dimounn konn mwa, koné Fanfan enn ségatier. Ek ki li inspire respé…