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Bruno Julie: le champion du coup de poing à qui on a mis un coup de pied
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Bruno Julie: le champion du coup de poing à qui on a mis un coup de pied
Les Jeux olympiques de Rio ont démarré vendredi. L’occasion d’aller à la rencontre de notre seul médaillé olympique, le Creole Crusher qui nous avait mis K.-O. à coups d’émotions fortes en 2008. Qui a envie de mettre son poing dans la figure de certains et qui ne prend pas de gants pour dire ce qu’il a sur le cœur. Uppercuts en vue.
Que devient le Mauritian Magician?
Il est resté le même. Sauf qu’il est désabusé…
On y reviendra. Mais avant, qu’avez-vous fait de votre médaille de bronze? À quoi pensez-vous quand vous la regardez?
Je la garde bien au chaud dans une vitrine, avec les autres. Quand je la vois, je revis ces sensations extraordinaires, celles d’une vie, que j’ai vécues à Pékin, il y a huit ans déjà. Je repense à la demi-finale olympique, à mon combat, à la fierté que j’ai ressentie, à la joie des Mauriciens…
Justement, vous reconnaît-on toujours dans la rue?
Et comment ! Cela me fait chaud au cœur ! Mais tout le monde me demande ce que je suis devenu, si j’entraîne les jeunes, ça m’énerve…
Que leur répondez-vous?
Ça me fait mal de dire que tel n’est pas le cas. Je leur dis que ça ne dépend pas de moi mais du ministère et que j’attends toujours une réponse de sa part.
Vous avez un message à passer au ministre des Sports? Vous souhaitez lui remettre une médaille en kaka poul?
Je ne suis pas là pour juger ses compétences. Tout ce que je sais, c’est que je suis allé le voir à plusieurs reprises. Il m’a demandé à chaque fois d’attendre. Au Parlement, il a affirmé qu’il attendait mon dossier pour pouvoir me confier un poste d’entraîneur. Mais cela fait belle lurette qu’il a mon dossier entre les mains, je ne sais pas à quoi il joue. Il faut juste assumer ses responsabilités quand on en a, sinon, lev paké ! Cédez la place à quelqu’un d’autre ! J’ai cru comprendre que dans le dernier budget, le gouvernement a prévu de mettre en place une stratégie pour les athlètes après leur carrière. J’espère que ce n’est pas encore que du vent, ki nou pa pou mor dan vision.
Le Premier ministre vous a-t-il finalement reçu ou attendez-vous toujours Godot?
J’attends toujours. Labouzi rouz fini, ress ziss lamess. Depuis qu’il est revenu au pouvoir, j’appelle son bureau chaque mois pour solliciter un rendez-vous. On dirait un patient qui va à l’hôpital et qui attend de se faire opérer. Je suis sur la liste d’attente. J’attends, j’attends.
«La vie est dure. Le caddie pèse lourd à la fin du mois, surtout quand on a trois gamins et qu’on touche un salaire de Rs 11 000.»
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Puisqu’on est à l’hôpital, on a cru comprendre que l’alcool a failli vous mettre K.-O. Avez-vous remporté votre match contre la bouteille?
Bouteille? Quand vous êtes sportif surtout, dès que les gens vous voient avec un verre à la main, ils se disent «ça y est, il a sombré». On a même dit que j’avais commencé à me droguer, il n’en est rien. Certes, je ne suis pas un saint, j’ai commis des erreurs, il m’est arrivé de boire un peu trop, comme tout le monde. Mais quoi qu’en disent les mauvaises langues, je ne suis pas devenu alcoolique ou drogué, fort heureusement. C’est d’ailleurs pour combattre ces fléaux que je veux entraîner les jeunes. Le sport est une des rares choses qui peuvent les sauver par les temps qui courent.
Et vous, qui va vous sauver? Vous avez déclaré, en avril, que votre pays vous avait abandonné. Qu’attendez-vous de lui?
Oui, le gouvernement, le ministère m’ont abandonné. Je pratique de la boxe depuis que j’ai 11 ans. J’ai arrêté l’école en Form III, alors que j’étais au collège Victoria. C’est vrai que je n’étais pas très bon élève, il n’y avait que mes gants qui m’intéressaient. Mais est-ce que cela veut dire que vous êtes un bon à rien quand vous n’êtes pas doué pour les études?
Je n’ai jamais rien connu d’autre, je me suis sacrifié pour mon sport et pour mon pays. Tout ce que je veux, désormais, au risque de me répéter, c’est qu’on me confie un poste d’entraîneur, pour partager mon expérience avec les jeunes. Est-ce trop demander? Je ne dis pas qu’il n’y a pas de bons entraîneurs, comme Judex Bazile ou Richard Sunny, pour qui j’ai le plus grand respect. Mais ils n’ont pas vécu ce que moi j’ai vécu.
Vous courez après un salaire en or?
Pas du tout, j’ai toujours vécu modestement et je continue à le faire. Je ne me bats pas pour les sous, même si j’aimerais pouvoir davantage gâter mes trois enfants et mon épouse. Ce que je veux, c’est que tous les athlètes mauriciens, pas seulement moi, soient reconnus à leur juste valeur.
Parlez-nous justement de votre famille. Que pense-t-elle de votre situation?
J’ai une fille et deux fils, dont un de 17 ans, qui est handicapé, cloué dans un fauteuil. Il reçoit une aide sociale, mais ce n’est pas suffisant. Mon épouse ne peut pas travailler car elle doit s’occuper de lui. La vie est dure. Le caddie pèse lourd à la fin du mois, surtout quand on a trois gamins et qu’on touche un salaire de Rs 11 000. Pa fasil. Bizin débrouyé.
Et puis, on évite de parler de ma situation. Même si parfois, le silence en dit long. Je mène un combat intérieur, ce match est le mien, je ne veux pas les embarquer là-dedans.
Avez-vous exploré d’autres pistes, envisagé d’ouvrir votre propre école, par exemple?
Le problème, c’est que pour pouvoir vivre de ça, il faudrait que je fasse payer les gamins pour des cours de boxe. Mais c’est un sport qui est surtout pratiqué par les enfants défavorisés. Comment voulez-vous que je leur réclame de l’argent? Ce serait injuste. Moi, ce que j’aimerais, c’est justement encourager ces jeunes à réaliser leur rêve. Qu’ils se disent que si Bruno Julie a pu obtenir une médaille, eh ben, je peux le faire aussi.
«Quand j’ai combattu, j’ai pensé à Maurice, aux Mauriciens, c’était ma plus grande fierté. On me le rend bien mal.»
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Les problèmes sont-ils seulement financiers? Avez-vous soif de reconnaissance?
Non, mais un peu de gratitude ne ferait pas de mal. La tape dans le dos ne suffit pas. Je veux consacrer le reste de ma vie à mon sport, à transmettre ma passion, rien d’autre. C’est comme quelqu’un qui a fait des études, qui aspire à être prof mais qui se retrouve à faire un tout autre métier. Moi, mon rayon, c’est la boxe, je veux être sur le ring, avec les jeunes, leur enseigner les choses de la vie.
Laissons les gants de côté. Qu’est devenu l’appartement NHDC, situé à Mont-Choisy, que vous avait remis le gouvernement d’alors, en 2008?
Il est toujours là, je ne l’ai pas encore vendu, comme le prétendaient certains. Vu que mes enfants vont à l’école ici (NdlR, il habite Rose-Hill), je n’ai pas voulu déménager, mais les options restent ouvertes. Je sais qu’il y a des gens qui ont dit que j’avais perdu la maison à cause de la drogue; qu’ils se rassurent, elle est toujours là. Dimounn la pou palabrer. Mé li rant par isi li sorti par laba. Et puis, si demain j’ai envie de la vendre pour faire quelque chose pour mes enfants, je le ferai, n’en déplaise aux colporteurs de ragots.
Vous avez refusé des propositions des États-Unis et de France après votre médaille. Des regrets?
Beaucoup. Quand je vois la façon dont on me traite… J’ai refusé les nationalités française et américaine justement parce que j’aime trop mon pays. Quand j’ai combattu, j’ai pensé à Maurice, aux Mauriciens, c’était ma plus grande fierté. On me le rend bien mal. J’ai commis une énorme erreur en refusant ces propositions.
Au chapitre des erreurs, de quelle maladie souffre le sport mauricien?
D’inertie. Les autorités ne font pas grand-chose pour encourager les talents. Pour certains décideurs, les Jeux des îles, c’est comme les Jeux olympiques, c’est loin d’être le cas. Élevons nos ambitions, on a beaucoup de sportifs doués à Maurice. Il faut revoir tout le système sinon on ne progressera jamais. On doit se frotter aux meilleurs, au niveau mondial. Mais comment faire sans le soutien financier?
Hormis la phobie du porte-monnaie vide, contre quoi vous battez-vous au quotidien?
Contre la montre ! Je me réveille à 4h30, je prends le bus à 6 heures, je suis à Port-Louis à 6h45, une navette de Padco (NdlR, la compagnie pour laquelle il travaille) nous attend pour nous récupérer. Je rentre à la maison vers les 18 heures. Mais les mardis et les jeudis, je pars à Vacoas pour donner un coup de main au sein de la fédération de boxe, bénévolement. Mon employeur déduit ces heures de «permission» de mon salaire. Mais je continue la lutte, même si je suis découragé. Mo koné ena enn bondié.
Et quel «bondié» faudra-t-il prier pour qu’un autre Mauricien obtienne, un jour, une médaille olympique?
Mes deux copains boxeurs représenteront Maurice à Rio (NdlR, cet entretien a été réalisé vendredi matin). Kennedy St.Pierre et Merven Clair ont eu la chance de pouvoir bénéficier de trois mois de préparation à Cuba. Je sens que la médaille n’est pas loin. Je souhaite également bonne chance aux autres athlètes mauriciens d’ailleurs. Je serai devant ma télé, à les encourager. Et je revivrai un peu mes Jeux olympiques à moi, avec nostalgie.
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