Devant l’Univers, nous sommes tous des enfants. Ça tombe bien, l’un des plus grands vulgarisateurs en matière d’astrophysique était de passage dans l’île cette semaine pour donner des conférences. Interview d’outre-mondes.

Il était une fois un enfant qui passait ses nuits à observer les étoiles. L’histoire commence-telle comme ça ?
Ce qui m’intriguait, c’était le noir entre les étoiles. Est-ce du vide ? La chair de l’espace ? Aujourd’hui encore, je tente de décoder l’architecture de ce noirmystère, cette armature invisible qui contient les étoiles. À l’époque j’ignorais que je visais juste. On sait aujourd’hui que 99 % de ce qui gouverne l’Univers est invisible à nos instruments : c’est la fameuse matière sombre.

Depuis, vous avez fait la Une des revues scientifiques du monde entier pour vos travaux sur l’Univers «chiffonné». Que signifie ce concept ?
L’idée à retenir, c’est que l’Univers est fini, mais sans bord. Le meilleur exemple est la surface d’une sphère. Et chiffonné, parce qu’il pourrait avoir une forme étrange, un peu comme une feuille de papier froissée.

Dans cet univers, sommes-nous seuls ?
Je suis persuadé qu’il existe des formes de vie sur d’autres planètes, dans d’autres galaxies. C’est même l’une des choses à laquelle je suis le plus attaché : avoir enfin la preuve, sûre et définitive, qu’il y a une vie extraterrestre. Ce serait une telle révolution culturelle et philosophique, quel bonheur de la vivre ! Et c’est bien possible, parce que l’on commence à avoir de sérieuses indications. Ce ne sont pas encore des preuves mais on s’en rapproche.

Ce serait quoi, une preuve ?
Trouver des bactéries fossiles sur Mars, par exemple. On cherche…

Quel est le prochain mystère en passe d’être résolu ?
Une question fascine les astrophysiciens : que se passe-t-il si l’on tombe dans un trou noir ? Passe-t-on vers d’autres univers, les fameux trous de ver, comme dans le film Interstellar ? On n’a pas la réponse mais on y travaille.

Interstellar, Gravity, Seul sur Mars… Pourquoi les films sur l’espace plaisent tant ?
Les dimensions parallèles fascinent le grand public. Les conférences sont bondées, les gens fourmillent de questions. Ils sont bien mieux documentés qu’on ne le pense, je l’ai vérifié ici aussi. Les questions sont complexes, pointues. Les gens s’interrogent, lisent, c’est bon signe.

Les cosmologistes font partie des rares chercheurs qui peuvent répondre aux interrogations du grand public sur les origines de l’Humanité. Détenez-vous les clés de l’Univers ?
Oui, mais je me méfie du piège du gourou, du grand savant qui vient délivrer la Vérité. Il y a cette tentation chez certains vulgarisateurs. Nos connaissances sont provisoires, en perpétuel progrès. Dans dix ou 15 ans, ce ne sera plus grand-chose. La parole définitive du grand sage est donc une imposture.

Si un enfant vous demandait d’où nous venons, quelle réponse courte lui feriez-vous ?
Je lui expliquerais que nous sommes poussières d’étoiles. Et c’est une réponse de scientifique, pas de poète.

Expliquez…
Vous, moi, nous sommes faits d’atomes : une bonne proportion d’oxygène, un peu de carbone, d’hydrogène, d’azote… La majeure partie de ces atomes proviennent d’étoiles qui ont explosé – les supernovae – il y a des milliards d’années. Elles ont ensemencé l’espace interstellaire, en particulier la région de la galaxie qui a vu la formation du Soleil et de la Terre. Mais il y a encore plus fort : l’hydrogène qui nous constitue a été fabriqué bien avant, au big-bang.

Nous avons en nous l’histoire de l’Univers ?
Exactement, depuis sa naissance il y a 14 milliards d’années. Trois minutes après le big-bang, vous avez des atomes d’hydrogène, et des milliards d’années plus tard les étoiles fabriquent le reste. Tout cela nous compose. Il y a une filiation directe entre l’Homme et le cosmos.

Quel est le projet spatial le plus fou mais réalisable à l’échelle d’une vie humaine ?
Envoyer des hommes sur Mars. Je ne parle pas d’une colonisation, juste quelques personnes. C’est beaucoup plus difficile que ce que les médias racontent. Le projet Mars One, par exemple, c’est du pipeau.

En novembre dernier, Barack Obama a signé une loi autorisant les citoyens américains à s’approprier des ressources dans l’espace. Nos enfants deviendront-ils des «mineurs du cosmos» ?
Nos enfants, je ne pense pas. En revanche, l’économie du XXIIe siècle sera en partie fondée sur l’exploitation minière des astéroïdes et de la Lune. Des entreprises commencent à se lancer sur ce marché. Les premiers engins qui ramèneront des métaux rares seront des robots lâchés depuis des petits vaisseaux. Un astéroïde de 27 millions de tonnes frôlera la Terre en 2029, ce sera une bonne occasion d’envoyer un «robotmineur» faire des tests.

Vous entendez quoi par «frôler» ?
Il passera à 36 000 km de nous. À l’échelle de l’Univers, c’est un frôlement. Mais il n’y a aucun risque pour les Terriens, les calculs sont fiables à 100 mètres près.

<p><strong>Jean-Pierre Luminet a notamment écrit :&nbsp;</strong><br />
	<em>&laquo;L&rsquo;Univers chiffonné&raquo;</em> (éd. Folio, 2005), Le Destin de l&rsquo;Univers (éd. Folio, 2010),<br />
	<em>&laquo;L&rsquo;Univers en 100 questions&raquo; </em>(éd. Tallandier, 2015) et <em>&laquo;De l&rsquo;infini&raquo; </em>(éd. Dunod, 2016).</p>