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Pierre Prosper: «Le gouvernement mauricien n’a pas aidé les Chagossiens à sortir de la misère»
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Pierre Prosper: «Le gouvernement mauricien n’a pas aidé les Chagossiens à sortir de la misère»
Le Chagossian Committee des Seychelles a saisi la Haute cour de Londres pour un Judicial Review. Le groupe réclame un «exercice de consultation plus juste» avec le gouvernement anglais. Pierre Prosper, président de cette association, parle de la lutte de cette communauté de 2 000 membres aux Seychelles, tout en critiquant le gouvernement mauricien.
Êtes-vous au courant que Fernand Mandarin est mort ? (NdlR, interview réalisée en début de semaine.)
Je ne le savais pas. Olivier Bancoult, moi-même et les autres membres de notre comité craignons que dans cette bataille, les natifs de l’archipel de Chagos partent l’un après l’autre. Chez nous, il y a eu madame Isaïe qui vient de décéder. Rien n’a évolué concernant nos revendications, mé nou bann dimounn pé alé enn par enn.
Parlez-nous de votre lutte menée depuis les Seychelles.
Nous avons toujours travaillé avec Olivier Bancoult pour que le gouvernement anglais adopte une attitude plus positive, surtout concernant le droit de s’installer dans l’archipel des Chagos et le bien-être de tous les Chagossiens.
Il y a eu aussi plusieurs affaires devant la justice depuis 2001. Cependant, historiquement, il faut faire la différence entre ceux de l’île Maurice et des Seychelles. Il y a une différence dans le vécu des deux groupes.
Quelle est cette différence ?
À Maurice, le gouvernement anglais avait déjà octroyé une compensation financière aux Chagossiens, alors que ceux résidant aux Seychelles n’ont rien eu. Les Chagossiens arrivés ici à l’âge adulte ont eu beaucoup de mal à s’adapter contrairement aux enfants, qui ont pu évoluer.
À Maurice, il me semble qu’ils n’ont pas pu le faire car la pauvreté frappe cette communauté. Nobody, même pas le gouvernement mauricien, n’a fait grand-chose pour les aider à intégrer la société et pour qu’ils puissent s’épanouir.
Combien de Chagossiens y a-t-il aux Seychelles ?
Les natifs sont 200 environ, mais avec les descendants, il y en a environ 2 000, mais un quart d’entre eux sont partis en Angleterre.
Vous dites que l’intégration a été meilleure aux Seychelles. Comment cela s’est passé chez vous ?
Nous sommes éparpillés aux Seychelles alors qu’à Maurice, ils sont tous dans certaines régions spécifiques. Aux Seychelles, il y avait une crainte de dire qu’on est Chagossien. Zot ti pé gagn sikané. Dimoun ti pé kasiet zot idantité.
Toutefois, avec la création du Chagossian Committee Seychelles, les Chagossiens ont commencé à assumer leur identité. Maintenant, s’il est difficile de savoir si on parle à un Chagossien ou à un Seychellois, nous sommes fiers de notre identité.
Pour quelle raison vous réclamez une compensation financière aux Anglais maintenant ?
C’est pour les dommages causés à la communauté. Cette démarche date de 2003. Olivier Bancoult avait initié une affaire, mais pour des raisons techniques, nous n’avions pu y participer directement. Je pense que si nous l’avions fait séparément à l’époque, on aurait pu remporter cette affaire. Toutefois, notre objectif principal, c’est de nous établir dans l’archipel des Chagos.
«Nous craignons que si Maurice obtient la souveraineté sur l’archipel, ce ne sera pas nécessairement bon pour les Chagossiens.»
Est-ce que vous soutenez la démarche du gouvernement mauricien qui réclame sa souveraineté sur cet archipel ?
Le gouvernement mauricien se bat pour son droit légal et l’affaire a été présentée aux Nations unies. Nous n’avons pas l’intention de dire que le gouvernement mauricien n’a pas le droit de faire cette réclamation. Mais un point me fait peur.
Le gouvernement mauricien n’a pas montré une attitude positive vis-à-vis de la communauté chagossienne à Maurice. Quand ils sont arrivés, en dépit des batailles et des protestations, ils sont toujours restés dans la pauvreté même s’il y a eu une petite compensation. C’est pour cette raison que nous craignons que si Maurice obtient la souveraineté sur l’archipel, ce ne sera pas nécessairement bon pour les Chagossiens. S’il montre une attitude positive envers les Chagossiens dans l’île, notre groupe le soutiendra, mais pour le moment, non.
Pourquoi pensez-vous que ce ne sera pas bon pour les Chagossiens si Maurice obtient la souveraineté sur l’archipel ?
Historiquement, le gouvernement mauricien n’a rien fait de positif pour sortir la communauté chagossienne de la pauvreté. Elle n’a pas eu le soutien adéquat pour qu’elle se développe. À moins que cette attitude change, nous restons sceptiques quant à cette éventualité.
En ce moment, les Anglais ont une attitude négative. Ils nous empêchent de jouir de nos droits. Maintenant, si l’archipel tombe entre les mains de Maurice, cela risque d’être la même chose ou pire.
De votre côté, est-ce que le gouvernement seychellois vous aide ?
Le gouvernement seychellois soutient notre réclamation face aux Britanniques. Il nous donne des hommes de loi. Il met aussi à notre disposition des expatriés qui peuvent nous aider. On bénéficie aussi de leurs locaux pour des conférences. Mais nous n’avons pas d’aide financière du gouvernement.
Est-ce que vous militez aussi pour un retour définitif sur l’archipel ?
Il y a eu le consultation process à Maurice, en Angleterre et aux Seychelles. Chez nous, 98 % des participants étaient pour un retour, mais pas selon les conditions imposées par le gouvernement britannique. Personne ne veut partir travailler comme main-d’oeuvre bon marché pour la base américaine.
Est-ce que votre groupe reconnaît l’archipel comme le British Indian Ocean Territory ?
Pour le moment, il n’y a pas de British Indian Ocean Territory, mais il sera ainsi appelé par le gouvernement anglais tant qu’il est occupé par eux. Nous aurions aimé qu’il s’appelle Chagos Island, un nouveau territoire avec une communauté en plein développement. Toutefois, pour le moment chacun a son agenda. Je suis persuadé que les natifs ont le droit de retourner sur les îles pour les développer.
Vous dites que chaque partie a son agenda. N’est-il pas plus judicieux de se concerter et d’enclencher des actions ensemble ?
Les trois groupes ont différents agendas. Si l’attitude du gouvernement mauricien change à l’égard des Chagossiens chez eux, je vous assure qu’il y aura un autre regard sur lui.
Qu’est-ce que le gouvernement mauricien doit faire alors ?
Il y a toujours des Chagossiens qui vivent dans la pauvreté et en toute petite communauté. Bien sûr, pour obtenir toute chose, il faut que ce soit mérité. Je ne dis pas qu’il faut leur donner de l’argent dans la main. Il faut établir un plan pour aider les jeunes qui ont du potentiel dans le domaine éducatif ou du soutien aux personnes âgées par exemple.
Vous avez déjà porté une affaire en cour pour un retour dans l’archipel. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Si nous avions gagné cette affaire, cela aurait eu un impact sur la vie de tous les Chagossiens. Peu importe où ils vivent, à Maurice, aux Seychelles ou en Angleterre. Le consultation process de 2015 était faux. On ne peut pas venir nous imposer des conditions. Cela aurait dû être dans les deux sens et il fallait écouter ce que nous avions à dire.
En attendant une solution, il fallait venir en aide aux personnes qui étaient dans le besoin notamment les vieillards et les malades. Il n’était pas question de réclamation à l’époque. La question était de s’établir dans les îles. C’est une décision politique que nous attendons.
Est-ce que vous jugez que le gouvernement britannique a commis un crime en exilant les Chagossiens ?
Yes. Of course si vous savez en détail comment ces Chagossiens ont été traités entre 1965 et 1972. Définitivement c’est un crime ce que ce gouvernement a fait.
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