Publicité

Dopage lors des courses hippiques: est-ce qu’on nous tourne en bourrique ?

6 novembre 2016, 22:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Dopage lors des courses hippiques: est-ce qu’on nous tourne en bourrique ?

Hennissement de colère. Un autre cas de dopage a été révélé au grand jour durant la semaine écoulée. Des traces d’EPO ont, pour la première fois, été décelées dans le sang d’un cheval, en l’occurrence Gameloft. Une bonne occasion pour aller faire un tour au Champ-de-Mars. Et donner des coups de sabot aux tabous qui entourent le dopage.

Il est 6 h 30 en ce vendredi matin. Le soleil n’est pas tout à fait réveillé. Les turfistes, eux, sont débout depuis longtemps. Les crottes d’yeux et les jumelles sont collées aux cils. Rien n’échappe à l’œil expert des diehards ; les coursiers, leur belle robe, leur forme, les jockeys, l’état de la piste, la hauteur du gazon fraîchement taillé. Et le dopage, alors, personne n’ose en parler ?

Si, Yousouf. Assis par terre, il a sa radio portative entre les mains. Il est là depuis 4 h 30, avant même que le coq ne chante, précise celui qui est plus souvent au Champ-de-Mars qu’à la maison. Et cela fait des années que ses proches n’essaient plus de rivaliser avec les chevaux, qu’il considère comme «des enfants». Tongue untied, il se lâche. «Tous les chevaux sont dopés. Il n’y en a pas un seul qui court ‘à jeun’.» Comment peut-il s’aventurer sur ce terrain ? «Mo trouvé kan dokter pé vinn met sérom ou bien pé donn vitaminn tousala. Kan donn tro boukou li vinn kouma dir prodwi dopan.»

On interrompt la course. Une visite chez le véto s’impose. Le pari est risqué, «L’homme au chapeau de paille», qu’on dit indomptable, n’aime pas être dérangé, surtout quand il manipule des seringues et qu’il prélève des échantillons de sang. Des coups de cravache verbaux plus tard, le Dr Christian Bourdet, vétérinaire en chef au Mauritius Turf Club (MTC), met le pied à l’étrier. «Je ne vais pas parler du cas de Gameloft, il faut attendre l’enquête.»

Qu’en est-il des «vitamines dopantes» dont parle Yousouf alors? «Comme tous les sportifs, les chevaux reçoivent, par exemple, des électrolytes (NdlR, produit qui appartient à la catégorie des aliments minéraux pour chevaux). Est-ce que c’est du dopage ?» Il ajoute : «Bien sûr qu’ils prennent des vitamines, il ne faut pas tout mélanger, tout confondre.»

A-t-on déjà essayé de le soudoyer pour qu’il «dope» les chevaux ? «Bien entendu. Je compte 31 ans de service dans ce métier et des brebis galeuses, il y en a partout.» Parmi les produits que certains «parasites» ont administré aux coursiers, il y a des anabolisants, de la cortisone ou encore de la caféine.

Ça réveille. Direction les écuries. Nawaz Rawat, Security Manager, souligne d’emblée que le MTC est très à cheval sur les contrôles. Est-ce qu’on peut avoir un discours sans œillères, s’il vous plaît ? Crinière au vent, il propose de remonter «la chaîne», à brides abattues.

La veille de chaque journée de courses, les vétérinaires prélèvent des échantillons de sang des partants. «On le fait aussi de manière aléatoire, quand il n’y a pas de courses, histoire de tout vérifier.» Le MTC, fait valoir Nawaz Rawat, dépense entre Rs 14 et Rs 19 millions rien que pour les tests en question. Ceux-ci sont ensuite mis sous scellés avant d’être récupérés par les préposés du laboratoire du MTC. «Il y a toute une procédure à suivre, de la paperasse à remplir.» Sans compter le fait que des «caméras HD» sont placées «partout», à tous les coins d’écuries. Une sentinelle se charge en outre de surveiller les chevaux pendant qu’ils sont dans leur box avant le jour-J.

N’empêche que le dopage est tout de même une réalité. «C’est comme la drogue qui gangrène le pays, mais à plus petite échelle. Nous détectons très peu de cas chaque année, à peine un ou deux.» Qui sont les dealers ? «Les enquêtes menées après des cas de dopage ont révélé que ce sont essentiellement des palefreniers ; certains sont passés aux aveux. Ils disent que ce sont des ‘gens’ qui leur donnent des produits à injecter aux chevaux, moyennant des sommes d’argent.»

Un peu facile de montrer les palefreniers du doigt, non ? Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, fait ressortir Nawaz Rawat. Mais certains se laissent tenter. Chaque lad a deux chevaux à sa charge. En début d’année, le MTC leur donne de l’argent pour acheter un cadenas. «Donc, s’ils ne sont pas là, on ne peut pas ouvrir le box du cheval…»

Entre les vitamines, les sels, les produits «prohibés mais autorisés», les chevaux n’avalent pas que de l’avoine.

On passe le poteau des non-dits. Qu’en est-il des «vitamines» et autres «produits énergétiques» qu’on fait avaler aux chevaux ? Il y a en effet des produits prohibés que l’on peut leur donner, admet le Security Manager du MTC. Prohibés, donc interdits ? Mais alors… Il s’explique. Il y en a certains, comme le phénylbutazone, qui sont «prohibés mais autorisés». Cela veut dire qu’on peut en donner au cheval mais il ne faut pas que cette substance soit présente dans son sang le jour de la course. Ou alors, le taux doit être «à un niveau acceptable et cela dépend de la substance en question. Il ne faut pas que cela dépasse 40 nanogrammes, pour certains produits». Qu’en est-il de la nourriture, de la litière du cheval ? Qu’est-ce qu’on y cache ? Rien, selon Nawaz Rawat. La porte du store s’ouvre. À l’intérieur, de l’avoine, mais aussi un gros bidon louche qui ressemble aux stéroïdes que consomment certains culturistes gonflés comme des dirigeables. Ce que dit l’étiquette : Electrolyt 7. Ce que dit Nawaz Rawat : «Ce sont des sels.» Sinon, à part l’EPO qui est tout nouveau, tout pas beau, y a-t-il des produits dopants qui sont indémodables? Il y a le dépomédrol, un dérivé de la cortisone dont les effets durent plus longtemps.

On se remet en selle. Mais avant, une conversation avec un palefrenier s’impose. Des hésitations, des gesticulations et enfin une déclaration au sujet des accusations. «Mo travay isi dépi 35 an, péna boukou dopaz. Mé ena bann ti lespri ki gat répitasion palfrenié, bann séki krwar pou gagn kass fasil», martèle l’un d’eux.

«Les palefreniers gagnent leur vie correctement mais il y a l’appât du gain. On leur promet des montants qui équivalent sûrement à 10 fois leur salaire», renchérit l’entraîneur Patrick Merven. Qui tient à rappeler que la tentation est partout dans cet univers si particulier qu’est le monde hippique, où l’argent dicte parfois les conduites.

Les montes aussi? Nous avons tenté, en vain, d’avoir l’opinion d’un jockey à ce propos.

 

Mafia et piqûre de moustique

<p>&laquo;<em>Gameloft est loin d&rsquo;être un cas isolé. Il y a bel et bien une mafia, une bande de dopeurs à l&rsquo;œuvre.&raquo; </em>Des entraîneurs interrogés ne se font pas d&rsquo;illusion. Aucune écurie, quel que soit le dispositif de sécurité mis en place pour s&rsquo;assurer que les chevaux ne se retrouvent pas entre de mauvaises mains, n&rsquo;est à l&rsquo;abri d&rsquo;un cas de dopage.</p>

<p>&nbsp;&laquo;<em>C&rsquo;est la force de l&rsquo;argent qui parle. Donnez Rs 100 000 à un palefrenier et demandez-lui de faire une injection à un cheval. Si certains vont refuser, d&rsquo;autres vont peut-être accepter. Car les personnes les plus vulnérables, ce sont les palefreniers eux-mêmes puisque ce sont eux qui dorment presque avec les chevaux. Ils sont avec eux matin, midi et soir.&raquo;</em></p>

<p>Pourtant, les entraîneurs, selon les <em>Rules Of Racing</em>, sont ceux à qui incombe l&rsquo;entière responsabilité de veiller à ce que leurs chevaux soient &laquo;<em>drug free</em>&raquo; et dès qu&rsquo;un coursier est testé positif &ndash; <em>foul play</em> ou pas &ndash; c&rsquo;est lui qui est sanctionné.</p>

<p>&laquo;<em>C&rsquo;est injuste et il y a des entraîneurs qui ont gagné des cas en appel. Comment voulez-vous que je sache là, au moment où je vous parle (NdlR : vendredi matin au Champ-de-Mars), ce qui se passe à Floréal quand j&rsquo;ai pas mal de chevaux qui y séjournent ? Pourtant, si quelqu&rsquo;un fait une injection illicite à un de mes chevaux, c&rsquo;est moi le responsable !</em>&raquo; lâche un entraîneur sous le regard approbateur d&rsquo;un de ses collègues.</p>

<p>Pour d&rsquo;autres entraîneurs, la loi n&rsquo;est pas suffisamment sévère contre ceux trouvés coupables d&rsquo;avoir &laquo;dopé&raquo; un cheval. À ce titre, durant ces 20 dernières années, deux palefreniers, dans les affaires Hale&rsquo;N Hearty et Weston Heritage, ont écopé, chacun, d&rsquo;une amende en cour après avoir été évincés de leur poste au MTC</p>

<p>&laquo;Ce n&rsquo;est pas si simple que ça. Dans le cas Gameloft par exemple, la loi ne prévoit rien. Par contre, sous le GRA Act, il y a le délit de &lsquo;cheating&rsquo;. Mais là encore, ce n&rsquo;est même pas un cas de tricherie puisque le cheval n&rsquo;a pas couru. C&rsquo;est plutôt une tentative de tricherie&raquo;, explique un homme de loi qui connaît bien les rouages hippiques.</p>

<p>En France, où les courses de chevaux sont organisées juridiquement depuis 1891, le code prévoit les dispositions suivantes : &laquo;<em>Il est interdit d&rsquo;administrer ou de faire administrer à un cheval le jour de la course et en vue de la course, un stimulant quelconque, que ce soit sous forme de pilules, par voie de piqûres ou tout autrement.&raquo;</em> Cela s&rsquo;applique également aux courses organisées par le MTC. &laquo;<em>Là-dessus, nous sommes intransigeants</em>&raquo;, souligne un dirigeant du club.</p>

<p>Malgré des mesures préventives mises en place à coup de millions de roupies, quelques cas de dopage ont éclaboussé le paysage hippique. Surtout lorsque des chevaux sont venus gagner alors qu&rsquo;ils étaient sous l&rsquo;influence de produits prohibés avant d&rsquo;être testés positifs&hellip; après leurs victoires.</p>

<p>Les exemples ne manquent pas : Night Attack, en 2008, qui avait brillé alors qu&rsquo;il était coté à Rs 3 000. Il était sous l&rsquo;influence de diclofénac. Day Of Reckoning, en 2012, s&rsquo;était envolé au finish avant que des tests &laquo;post-race&raquo; ne viennent révéler des traces d&rsquo;un produit prohibé dans son organisme.</p>

<p>En mai 2015, quatre chevaux &ndash; Mount Hillaby, Ek Tha Tiger, Lucky Valentine et Craftsman &ndash; avaient été testés positifs suite à leurs victoires respectives, mais dans leur cas, le MTC avait conclu que la litière placée dans leurs écuries était contaminée car elle contenait du dextrométhorphane, un stimulant qu&rsquo;on retrouve normalement dans du sirop antitussif.</p>

<p>&nbsp;Il y a aussi le cas Mark Clifton dans les années 90 ; le coursier présentait un taux record de testostérone alors qu&rsquo;on avait voulu faire croire au MTC, avant l&rsquo;institution d&rsquo;une enquête, que le cheval avait été piqué par un moustique&hellip; L&rsquo;enquête a, par la suite, établi qu&rsquo;il y avait bel et bien un plan pour que Mark Clifton s&rsquo;aligne en course sous l&rsquo;effet d&rsquo;un produit dopant. Mais le MTC avait réagi à temps suite aux résultats d&rsquo;analyses d&rsquo;urine du cheval, lequel avait été retiré du programme.</p>

<p>Les statistiques montrent aussi que des cas positifs enregistrés au Champ-de-Mars, beaucoup sont liés aux traitements vétérinaires faits en dehors des délais prescrits.</p>