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Saga Bleue: d’Aimé Jacquet à Antoine Griezmann

9 novembre 2016, 17:59

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Saga Bleue: d’Aimé Jacquet à Antoine Griezmann

Formateur en presse écrite auprès de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Paris, Pierre-Marie Descamps a animé des cours de Mastère il y a quelques jours à La Sentinelle Ltd.

Entre deux dégustations d’un bol renversé, l’ancien rédacteur en chef adjoint de l’Equipe nous embarque dans de passionnantes discussions autour du ballon rond. L’occasion était trop tentante de revenir sur ‘l’affaire Aimé Jacquet’, lorsque le sélectionneur de l’équipe de France s’était attaqué à L’Equipe après la victoire des Bleus à la Coupe du monde 1998.

Monsieur Descamps, est-ce qu’il arrive qu’on vous confonde avec Didier Deschamps ?
Non. Souvent je dis : mon nom c’est comme Deschamps mais sans le ‘h’ parce que le ‘h’ je l’ai fumé depuis longtemps.

D’habitude, c’est vous qui posez les questions. Etes-vous aussi à l’aise quand vous changez de côté ?
Pas du tout. Je ne sais pas le faire. C’est une bonne question… C’est très déstabilisant d’être interrogé.

Vous êtes formateur de journalistes professionnels, métier qui vous amène parfois à enseigner dans des îles de rêve comme à Maurice. Beau métier n’est-ce pas ?
Oui, je me le dis tous les jours. Surtout depuis que je suis ici à Maurice. J’adore mon métier de formateur mais je me dis que je serai mieux aussi dehors sur la plage ou avec les Mauriciens. J’ai adoré venir à Maurice, mais je pars avec un peu de frustration de ne pas avoir pu plus profiter et découvert l’île. Car, j’ai autant à apprendre de Maurice que Maurice a peut-être à apprendre de moi sur le plan du journalisme. J’ai beaucoup donné mais je n’ai pas eu le temps de beaucoup recevoir.

 

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Est-ce que l’île Maurice, que vous venez de découvrir, est un pays ou vous imagineriez vous installer si une opportunité se présentait ?
Houla ! C’est aller vite en besogne… J’ai des enfants petits. Je n’ai jamais habité à l’étranger longtemps. Pas plus de trois mois. En tous cas, si je devais habiter à l’étranger je préférerais être à Maurice que dans bien d’autres pays.

Vous avez pas mal bourlingué durant votre carrière, quel pays vous semble le mieux indiqué pour roucouler paisiblement une fois à la retraite ? 
La France monsieur ! (rires) Je suis quelqu’un qui a beaucoup bougé, donc maintenant j’ai envie d’être un peu tranquille. Il y a des villes, plutôt que des pays, ou tout de suite on se sent bien. Tout dépend d’où on vient aussi. Par exemple, à Lisbonne, à chaque fois que j’y retourne, j’ai l’impression que je suis chez moi. J’y suis bien. A Istanbul aussi. Mais je m’adapte assez vite, je me souviens que j’étais très bien à New Delhi. Et il y a aussi Port-Louis où je suis bien (rires).

 

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Revenons-en à Didier Deschamps, qui est à la tête d’une équipe tricolore qui rayonne à nouveau après une période sombre. Est-ce le meilleur sélectionneur que la France ait connu ?
Honnêtement, depuis Michel Hidalgo oui. Il y en a un qui était pas mal c’est Henry Michel, mais Deschamps est un très bon sélectionneur. C’est quelqu’un qui a fait beaucoup de progrès. Mais il est entraîneur depuis tellement longtemps ! Car il faut quand même ajouter ses 15 ans de carrière où il a été entraîneur… Ce n’est pas un secret de dire que Didier Deschamps était l’entraîneur n°1 des Bleus champions du monde en 1998. Ce n’est pas lui qui faisait l’équipe et il n’avait pas toutes les prérogatives d’un entraîneur, mais je pense qu’il a été plus important que Jacquet en 98. Et en plus d’une compétence footballistique évidente. Il a gardé de ses années turinoises un culte de la gagne et un d’un jeu relativement défensif. En dehors de ses compétences professionnelles, il est devenu un excellent communiquant. Au niveau psychologique, il doit être très très bon dans le vestiaire. Je pense que plus tard il pourra donner des conférences sur le management d’une équipe. Tout ce qu’Aimé Jacquet a fait après sa carrière d’entraîneur, lui le fera sans doute très très bien. Et puis, il a une bonne étoile.

A propos de Jacquet, qui a conduit les Bleus au sacre mondial en 1998 et qui, très rancunier, a attaqué votre journal L’Equipe dans la foulée. Racontez-nous ce triste épisode de votre vie qui a eu de fâcheuses conséquences pour la suite de votre carrière.
(ironique) Vous faites un livre ou un article ? Aimé Jacquet nous a attaqué c’est vrai, mais c’est nous qui avions commencé… On n’était pas les seuls. Nous l’avons attaqué avec conviction sur des choses footballistiques. On était convaincu qu’Aimé Jacquet pouvait empêcher l’équipe de France, qui était forte, de ne pas gagner à cause de lui. On s’est trompé. Elle a gagné la Coupe du monde avec lui. On ne s’est pas rendu compte que Didier Deschamps, dont on vient de parler, mais aussi Desailly, Blanc, Zidane à son niveau, Djorkaeff, avaient pris le pouvoir dans le vestiaire. Pendant un an, ils avaient préparé ça et ont fini par se mettre dans les meilleures dispositions. Desailly était blessé entre guillemets pendant un bon quart de la saison à Milan, alors qu’en fait il se préparait pour être plus frais à la Coupe du monde. J’en suis persuadé. On ne s’en est pas rendu compte. Ma conviction c’est que c’est plutôt l’équipe qui a fait gagner la Coupe du monde à Aimé Jacquet, plutôt que l’inverse. Depuis ce jour-là, il s’est retourné contre nous. Que dire d’autre ? Dommage !

On peut se demander si L’Equipe n’a pas joué un rôle actif dans cette victoire en Coupe du monde en poussant les Bleus dans leurs retranchements, en étant en quelque sorte leur ennemi invisible. A l’époque, vous aviez titré «c’est quoi ce match ?» avant l’amical Danemark-France…
Oui, et le lendemain on titrait : C’ETAIT QUOI CE MATCH ? Je pense qu’on avait raison. Mais il a gagné la Coupe du monde. Donc tout a été balayé. Est-ce qu’on a aidé l’équipe de France ? Ce n’est pas à nous de dire ça. C’est aux gens de juger. Mais au fond de moi, je pense que ça a eu des effets très positifs. Pourquoi ? Parce que les Français, dans tous les sports, ne gagnent que dans la difficulté, quand ils ont zéro chance de gagner. Parce qu’ils sont comme ça. Dans tous les sports co, dès que les Français sont favoris, ils ne sont pas là, sauf en hand où maintenant ils maîtrisent bien. Mais là, c’est vrai qu’en 98, toute la presse française les a mis dans de bonnes conditions en les critiquant…

Personnellement, ça a été dur pour vous après. Et si vous pouviez revenir en arrière et changer quelque chose ?
Ma situation personnelle ce n’est pas le problème. J’ai été mis au placard oui. J’ai joué un rôle de fusible. Je pense qu’on avait raison au départ et que si Jacquet avait été le seul maître à bord, probablement que la France n’aurait pas gagné. Bon, ça a tenu à un fil dans plusieurs matches. Ce que je changerais ce serait d’essayer de comprendre ce qui se passait à l’intérieur de l’équipe, de comprendre cette détermination des joueurs qui ont compris qu’ils jouaient leur vie et qu’ils allaient rentrer dans l’histoire. Ca, on ne l’a pas compris et c’est ça que je changerais. Facile à dire hein ?

 

 

Le concept de la France «black-blanc-beur», très utilisé après le sacre des Bleus et la marée humaine sur les Champs-Elysées le 12 juillet 1998, est aujourd’hui une parfaite utopie. La France est très divisée. Aujourd’hui chaque action d’un joueur de l’équipe de France est sujette à polémique et suscite des tensions communautaristes. Comment revenir à un débat plus sain ?
Moi j’y ai cru à la France black-blanc-beur. J’ai été très déçu que ça ne soit pas une réalité. Mais, elle ne pouvait pas l’être car le sport professionnel et l’équipe de France c’est une vitrine. Ce qui est important c’est ce qui se passe dans le magasin. Et dans le magasin, il y a des banlieues où la France black-blanc-beur elle n’est pas juste. Et comme elle n’est pas juste, elle n’est pas heureuse. Cette équipe française de 98 était une très belle vitrine, dans la diversité. Mais le problème c’est qu’on n’a changé que la vitrine en France mais on n’a pas touché l’intérieur du magasin. Ca ne pouvait pas marcher.

Que pensez-vous de la déclaration du président de la République française, François Hollande, qui dit que certains français issus de l’immigration ont été mal élevés et de la réaction du footballeur Karim Benzema qui a répondu que ses parents à lui l’ont bien élevé ?
Je pense que les deux ont raison. Je pense que Benzema est bien élevé, que c’est un gars bien. Mais je pense que Hollande a raison aussi d’une certaine façon. Le problème c’est que quand on dit à quelqu’un qu’il est mal-élevé, on ne critique pas cette personne-là, on critique son éducation. Mais qui a éduqué les jeunes des banlieues françaises issus de l’immigration ? Qui les a fait venir ? Qui les a éduqués ? Pourquoi on les a fait venir ? Pourquoi éventuellement ils sont mal élevés ? Hollande a raison. Mais il est responsable, mais moi aussi. On est tous responsables d’avoir mal accueilli et mal intégré tous ces jeunes. 

De manière globale, pensez-vous que les footballeurs des clubs stars sont trop grassement payés ?
C’est une évidence. Mais est-ce qu’ils méritent d’être si grassement payés ? Bien sûr que oui. On est payé en proportion de ce qu’on génère or le foot professionnel génère des sommes hallucinantes. Vous imaginez si on ne payait pas au juste prix les locomotives, où irait cet argent ? Où allait-il il y a 40 ou 50 ans ? A l’époque, les plus grands joueurs ne gagnaient pas bien leur vie et les salaires étaient beaucoup plus bas. Donc ça engraissait des institutions, des clubs, des présidents de clubs, des gens qui s’en mettaient plein les poches. Moi je trouve qu’il est logique que ça rentre dans les poches de ceux qui produisent le spectacle. 

Mais c’est parfois mal géré ensuite…
Le problème des footballeurs professionnels c’est qu’ils sont très riches, hors du monde, qu’ils ont du temps et qu’ils n’ont pas toujours une éducation à la hauteur de ce qu’ils doivent affronter. C’est difficile quand on est né pauvre, avec peu de moyens pour s’instruire, de supporter tout ça. Quand on a beaucoup d’argent et du temps, on attire des rapaces…

Si un Paul Pogba vaut 105 millions d’euros aujourd’hui combien vaudrait un Diego Maradona ou un Michel Platini à l’heure actuelle selon vous ?
Beaucoup plus (rires). Chaque époque à son marché. Il est probable que Pogba si on en reparle dans 5 ans il ne sera même plus dans le Top 10 tel que c’est parti. A chaque époque sa vérité. Moi je ne compare pas le prix de Pogba à celui de Platini. Alors Platini lui, si, il le compare ! (rires) Il fait partie de la fin des grands joueurs mal payés. Il le sait et il en souffre. Mais ce n’est pas avec lui qu’il faut comparer, mais dans 5 ans ou dans 10 ans. Si vous regardez les 10 plus gros transferts du football international, il n’y en a qu’un qui date de 2001 c’est Zinédine Zidane. Les neuf autres c’est très récent, donc il y a une inflation galopante.

Est-ce que vous voyez Pogba réussir à Manchester United finalement ?
C’est possible… (pensif). Mais qu’est-ce qu’il est doué ! Il a deux Platini dans chaque jambe ! Il faut qu’il prenne du plomb dans la tête. Il faut qu’il devienne adulte. Il ne l’est pas encore. On est très exigeant avec lui. Ce que je lui reproche c’est d’être beaucoup trop perso et je ne sais pas comment ouvrir la clé de cette porte-là. Il ne fait pas jouer l’équipe suffisamment, il n’est pas à son service et ça c’est un problème. 

Si vous étiez un joueur de foot hyper talentueux et que vous aviez envie d’un super plan de carrière quel club choisiriez-vous ?
Je pense que je ferai comme tous les autres. C’est facile de dire : je jouerais dans mon club de toujours, Nice, je ferais mes 15 ou 20 ans de carrière sans bouger. Tout le monde dit ça, mais ce n’est pas possible. Faut se mettre à la place des gens. Moi, dans mon métier, quand j’ai eu l’opportunité de gagner plus j’y suis allé, même si bien sûr j’ai aussi regardé la liberté, le plaisir et le confort que je pourrai avoir. 

Petit débat franco-français : qui est le meilleur joueur français de tous les temps pour vous, Platini, Zidane ou un autre ?
Définitivement Platini. Je n’ai pas vu jouer Raymond Kopa. Mais avec Zidane, on dit toujours ces trois-là. Et puis derrière on met Thierry Henry en 4e position. On est à peu près dans cette logique-là. Kopa c’était un autre football alors que Platini et Zidane c’est déjà beaucoup plus proche. Platini était plus fort parce qu’il marquait plus de buts et parce qu’il faisait marquer plus de buts. Intrinsèquement, Platini était moins fort, moins bon footballeur, Zidane était un surdoué. Mais au niveau du rayonnement sur l’équipe et de l’influence directe sur le jeu, Platini c’était supérieur et plus efficace. Je pense que tout ça peut être bousculé par Antoine Griezmann.

C’est lui le prochain grand Bleu alors ?
Je suis persuadé qu’il a tout pour entrer dans ce gotha-là. Il a tout pour ça. Il a l’âge pour l’instant. Je n’ai pas vu de joueurs aussi efficace que lui depuis Platini, en dehors des avants centres comme Papin, Henry, Trezeguet bien sûr. Depuis Platini je n’ai pas vu un mec qui a cette qualité devant le but, il est exceptionnel. Et au niveau de la qualité défensive des attaquants, tous confondus, Griezmann c’est du très très haut niveau. Aujourd’hui, avec Cavani, c’est l’attaquant qui défend le mieux au monde.

Michel Platini était un footballeur exceptionnel, puis un super dirigeant. Pourtant il est tombé dans la poubelle de l’histoire des dirigeants sportifs en début d’année. Qu’est-ce qui l’a perdu ?
Il lui manque un truc. Il est exceptionnel à peu près partout, mais ce n’est pas du tout un manager, un dirigeant. 

Il manque de vice selon vous ?
Non, il n’est pas politique du tout. 

Il aurait dû plus se méfier de Blatter ?
(Il coupe) Il aurait dû se méfier de tout le monde ! Mais c’est quelque chose qu’il ne sait pas faire. La réussite de la carrière post-joueur de Platini m’étonne. Qu’il ait été un très bon consultant-télé ne m’étonne pas, car il est cash, il connaît le foot, il était excellent, peut-être un des meilleurs qu’on ait eu. Mais franchement, sa réussite comme organisateur du Mondial 98 moi je sais qu’il la doit au boulot qu’a fait Fernand Sastres. Platini apportait surtout son image, son enthousiasme, ses idées. Quand il est rentré à l’UEFA, je savais qu’il était bien entouré, c’était impossible qu’il soit un président tout seul. Mais c’est aussi un homme de convictions. Sur le plan foot, il a de très belles valeurs et il les défend très bien.

En voulez-vous à Zizou pour son coup de boule sur Materrazzi (NDLR : Coupe du monde 2006) ?
(Il coupe) Enormément !

Il a fait perdre sa 2e étoile à la France selon vous ?
C’est certain. J’ai une conviction très forte qu’on aurait gagné avec lui jusqu’au bout. Je me souviens qu’il avait mis une tête sur la barre. C’est peut-être même lui qui aurait marqué avant la fin. Ou alors il aurait marqué son penalty aux tirs au but. Il est sorti, on avait perdu quoi… Ensuite, je pense que c’est une trahison. Je lui en veux énormément… en tant que supporter ! (rires) Après en tant qu’analyste et supporter je pense que c’est inexplicable qu’on fasse une carrière comme celle-là, on est insulté tous les dimanches, et que tout d’un coup on pète un cable… C’est peut cette dimension-là qui lui manque à lui… Et puis je suis troublé par l’impunité dont il jouit en permanence, c’est terrible. C’est comparable à Jacquet. Sinon Zidane, bon il m’a fait rêver hein, je sais l’importance qu’il a.