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Sudesh Rughoobur: «Moi, esclave d’un leader ? Jamais !»
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Sudesh Rughoobur: «Moi, esclave d’un leader ? Jamais !»
Sur l’affaire Air Mauritius, il n’a pas eu peur de se mouiller et de prendre son chef, Pravind Jugnauth, à rebrousse-poil. Pourquoi ? Sudesh Rughoobur, député MSM de Grand-Baie–Poudre-D’or (n°6), s’en explique avec son franc-parler : «On ne peut pas se gargariser sans arrêt de bonnes intentions et, en même temps, fermer les yeux sur des dérives et des pratiques nauséabondes.» Interview désodorisante.
Hara-kiri sur MK, ça ferait un bon titre de bouquin, non ?
Ki hara-kiri ? Je fais mon travail de député. Notre rôle, ce n’est pas d’asizé dan parlman zoué yo-yo. Sorry, je préfère encore hara-kiri. J’ai un électorat qui me demande des comptes, moi. Je leur dis quoi ?
Dites-leur déjà que contredire son leader en public a un prix…
Celui qui fait ça est politiquement mort ? Naaan… Vous voyez un mort, là ? (Il s’avance en écartant les bras) Je suis en pleine forme, plus vivant que jamais ! Et si je devais mourir, bah ce ne serait pas si grave. Renier mes principes le serait davantage.
En même temps, un député a moins à perdre qu’un ministre…
Ce n’est pas parce que je ne suis que député que je n’ai pas le droit de m’exprimer, fer tansyon lor la !
Vous menacez qui, là ?
Je réponds à ceux qui «s’inquiètent» pour moi, dans et en dehors du parti. ‘Tonn perdi to sanss vinn minis’, ‘to pa pou gayn promosyon’, ce genre de commentaires m’exaspère. Pour moi les choses se posent différemment.
Elles se posent comment ?
La façon dont le board d’Air Mauritius a jeté – je ne vois pas d’autre mot – M. Pillay n’est pas acceptable, je persiste et signe. Pravind a son avis, j’ai le mien. On en a discuté, personne n’a réussi à convaincre l’autre. We conclude that we agree to disagree.
Je fais mon travail de député. Notre rôle, ce n’est pas d' ‘asizé dan parlman zoué yo-yo’.
Pourquoi prendre la défense de Megh Pillay ?
Il ne s’agit pas de ça, l’enjeu est plus large. Personne ne semble voir que le problème dépasse le cadre d’Air Mauritius et la personne de Megh Pillay – que je ne connais pas personnellement et qui est assez grand pour se défendre. Ce qui est en jeu, c’est la gestion des state-owned enterprises. Nous avons un sérieux problème à ce niveau-là, je n’ai pas peur de le dire (il tape du poing sur son bureau). On peut choisir de se voiler la face mais ça ne réglera rien.
Qu’entendez-vous par «sérieux problème» ?
On ne peut pas se gargariser sans arrêt de bonnes intentions et, en même temps, fermer les yeux sur des dérives et des pratiques nauséabondes. Air Mauritius, c’est de l’argent public ! C’est l’argent des Mauriciens ! Il y a eu l’ICTA, la SICOM, combien de guéguerres encore ? Les indemnités de licenciement, c’est la population qui les règle. Ces gaspillages devraient interpeller chaque membre du gouvernement.
Ce n’est pas le cas ?
(Silence) Je n’ai pas de commentaires à faire sur mes collègues.
Vous sentez-vous seul ?
Non. Roshi Bhadain a pris une position courageuse, c’est tellement plus facile de se taire en se disant laissons aller… Nous n’avons pas été élus pour ça mais pour remettre de l’ordre. Dans les entreprises publiques, s’assurer que les dirigeants sont «propres», professionnels et qu’ils ont un projet, une vision. Une fois ces critères réunis, laissons-les travailler.
Vous sous-entendez que les entreprises publiques sont confites de corrompus et d’incapables ?
Non, je ne dis pas ça...
Ah si, vous dites ça.
Je dis que la gestion et la performance de plusieurs organismes parapublics posent question, et qu’il est urgent de secouer le cocotier. C’est par milliards que le gouvernement investit dans ces institutions ; s’assurer que l’argent est bien utilisé n’est pas une option ; c’est un devoir, une question de responsabilité politique.
J’ai travaillé dur pour arriver là où je suis, ‘mo pa finn pass par simin traver mwa’.
Je rêve, ou vous faites la leçon au presque-Premier ministre ?
(Ferme) Écoutez, c’est un sujet trop sérieux pour polémiquer. L’accountability est un immense chantier dont il va falloir s’occuper. Les organismes parapublics – donc l’État – ont des comptes à rendre aux citoyens, c’est la condition de la confiance. Or cette confiance est déçue, trahie. Parce que le ménage annoncé n’a pas été fait ou alors superficiellement. À Air Mauritius, le board a failli deux fois. Une première en décidant de se passer des talents de Megh Pillay, une seconde en court-circuitant le comité disciplinaire contre Seetaramadoo. Ce comité n’a toujours pas siégé (NdlR, annoncé vendredi, il a été repoussé au 25 novembre), qui protège ce Monsieur ?
Vous n’avez pas une petite idée ?
Aucune. Je ne le connais pas. Ni ses contacts.
«Nous avons été élus pour remettre de l’ordre.» Doutez-vous de la volonté ou des capacités de Pravind Jugnauth en matière de ménage ?
Absolument pas.
Il paraît qu’il a peu goûté vos sorties…
Il paraît, so what ? Un parti grandit dans la différence, les débats font du bien à tout le monde. Mon leader et moi avons un point de vue opposé sur le dossier Air Mauritius, après, la vie continue. Les divergences ne sont pas une mauvaise chose. Moi, c’est ma conception de la vie d’un parti.
Cette conception vous a valu combien de fessées ?
Pas tant que ça… Je vais vous montrer quelque chose (il sort un magazine d’un tiroir). Il m’arrive de temps et temps de relire cette interview de Narendra Modi au Time. Quand le journaliste lui demande s’il envie le pouvoir autoritaire du président chinois, Modi a cette réponse qui m’a marqué (il lit) : ‘If you were to ask me whether you need dictatorship to run India, no, you do not. Whether you need a powerful person who believes in concentrating power at one place, no you do not. If anything is required to take India forward, it is an innate belief in democracy and democratic values. If you were to ask me at a personal level to choose between democratic values on the one hand, and wealth, power, prosperity and fame on the other hand, I will very easily and without any doubt choose democracy and belief in democratic values’. C’est plein de sens. Méditons sur cela et ne trichons pas avec les valeurs démocratiques.
Pravind Jugnauth gouverne-t-il déjà en autocrate ?
Ce n’est pas ce que j’ai dit.
Vous le pensez tellement fort que c’est ce que j’ai entendu…
Vous entendez mal. Pravind a mûri, il est prêt à assumer des responsabilités importantes.
Quand ?
Je ne suis pas dans le secret des dieux. Je dis que les valeurs démocratiques doivent être la priorité. De là découleront les autres ambitions : la puissance, la prospérité, la renommée.
Avez-vous eu l’occasion de vous expliquer tous les deux ?
Oui, on l’a fait calmement.
Quand ?
Au bureau politique (BP), il y a une semaine. Le reste est confidentiel.
Est-il exact que lors de ce BP (il coupe)…
Le reste est confidentiel.
… M. Jugnauth a détaillé les raisons qui ont conduit à l’éviction du CEO ?
Ce qui se dit au bureau politique reste au bureau politique…
Donc, c’est oui.
(Silence)
Racontez, on ne le répétera qu’aux lecteurs…
(Sourire crispé) Ou pe fatig mwa, la…
Et depuis cette réunion ?
Nous n’avons pas eu l’occasion de nous voir.
Manifestement il n’a pas exigé que vous la mettiez en veilleuse.
Heureusement ! Si je dois choisir entre ma carrière politique et ma liberté de parole, le choix est vite fait. Je ne perds pas de vue ce que j’ai mis une vie à obtenir. C’est-à-dire mon indépendance, qu’elle soit financière ou dans le travail.
Que voulez-vous dire ?
J’ai travaillé dur pour arriver là où je suis, mo pa finn pass par simin traver mwa. Je ne dois rien à personne. Ce que j’ai, je le dois à mes efforts et à mes parents, qui m’ont appris que l’indépendance se gagne. Je ne vais pas renier ça pour devenir un béni-ouioui. Si quelque chose ne va pas, je le dis. Je n’étais pas d’accord avec l’amendement à l’Asset Recovery Act ; je l’ai dit. Adhérer à un parti ne fait pas de moi l’esclave du leader. Jamais !
N’avez-vous pas voté l’Asset Recovery Act, M. le chevalier blanc ?
Oui, et alors ? On peut exprimer ses différences tout en étant solidaire avec l’action du gouvernement. Je sais ce que signifie la ligne du parti.
Quand ce parti vous mettra dehors, quelle ligne agripperez-vous ?
Cela n’arrivera pas… (il s’interrompt). Si, vous croyez ? Zot lé expilsé mwa ?
Vous en pensez quoi ?
Je ne pense pas mériter tant d’honneurs.
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