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Théâtre: la politique du self-service
Croquer avec humour les pratiques douteuses d’hommes politiques. La pièce de théâtre «Cette brûlante envie de servir» tape là où cela fait mal, sans perdre une miette de l’actualité.
Cette production qui cadre avec les 30 ans de l’agence Immedia, mise en scène par Gaston Valayden, a été jouée vendredi et samedi.
Huis clos sur le pont d’un bateau. Le Senior Minister, interprété avec brio par Robert Furlong, se retrouve face à son épouse, son ego, et son alter ego. Dans cet espace réduit, le mal de mer fait remonter à la surface des régurgitations de malversations de ce ministre, qui cumule, à lui tout seul, tout ce qui dégoûte le citoyen lambda de la politique.
Pots-de-vin (Monsieur ne boit pas ce «dilo kanal» qu’est le Red Label, Monsieur ne jure que par le Blue Label), manipulation de la presse – le ministre plante des scandales concernant ses collègues pour que les journalistes ne fouillent pas dans ses affaires -, infidélité conjugale, lâcheté, absence de convictions, manque de culture – le ministre confond mai 1968 à mai 1978. Voilà un ministre bouffi d’arrogance. Hautement imbu de son importance, qui sirote du champagne sur le pont d’un bateau. Lui qui a «bouré» à la première alerte, alors que tous les volcans de Maurice sont entrés en éruption.
Dans son costume blanc cassé, pendant au costume sombre d’Alfred, le conseiller joué par un solide Jean Claude Catheya, Robert Furlong porte Cette brûlante envie de servir. Deux représentations sold out de cette pièce ont eu lieu au théâtre Serge Constantin. Rama Poonoosamy, directeur de l’agence Immedia a annoncé que des reprises auront lieu prochainement.
Du haut de sa longue expérience de la scène, Robert Furlong s’en sort avec les honneurs. Que ce soit en termes de maîtrise de la quantité de répliques de son personnage (à peine deux petits ratés vendredi) que de l’énergie requise pour son omniprésence sousles projecteurs.
Le duo Furlong-Catheya est efficace. On croit au conseiller obséquieux, qui assène quelques vérités à son ministre véreux, sous couvert de citations de grands hommes. Exemple : «Les chefs trouveront toujours le moyen de s’en sortir», Amartya Sen, prix Nobel d’économie.
Gaston Valayden n’a pas fait que la mise en scène. Il a adapté le texte écrit par Jean Lindsay Dhookit. Texte qui a valu à ce dernier le prix Jean Fanchette 2015 ex ae-quo. Le spectateur reconnaît clairement la touche Valayden dans la virulence de certains propos des personnages. Avec au passage, le clin d’œil à l’actualité. Alors que le repas est annoncé, le ministre demande ironiquement si «au dessert (il y aura) des boîtes de biscuits duty free». Le public a ri des personnages. Il a surtout ri du rapport amourhaine qu’il entretien avec les hommes politiques.
La conscience du ministre, c’est son épouse Brinda, jouée par Géraldine Boulle. Conscience qui agit comme catalyseur dans cette pièce reposant essentiellement sur des conversations. Et la médisance d’un homme, gâté par dix ans de pouvoir. De l’épouse éplorée, Brinda est celle qui donne des nouvelles fraîches de l’île abandonnée il y a à peine 48 heures. Seul hic : dans son face-à-face avec son mari, Brinda est souvent dos au public. Darma Mootien en Junior Minister, copié-collé des ambitions du Senior Minister, complète le quatuor de comédiens.
Cette brûlante envie de servir a surtout rappelé aux spectateurs que les pièces à textes, dont le propos est de provoquer la réflexion, sont aujourd’hui denrée rare. La paralysie des théâtres municipaux n’y est pas étrangère. En 2017, nous attendons encore que commencent la rénovation du théâtre du Plaza, fermé depuis 2004, et celle du théâtre de Port-Louis, fermé depuis 2008.
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