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[Vidéo] Hôtel Providence: fatigués, ils ferment boutique
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[Vidéo] Hôtel Providence: fatigués, ils ferment boutique
«Hôtel Providence. 30 août 1957 – 31 mars 2017.» C’est ce que pourrait indiquer une plaque commémorative. Car le bâtiment abritant ce qui fut longtemps un «lotel dité» sera probablement démoli par le repreneur. Et ce, après 60 ans de bons et loyaux services…
Que l’on ne s’y méprenne pas. Le terme «hôtel», ne renvoie pas, dans le cas présent, à un établissement étoilé, avec piscine, forfait all inclusive et tutti quanti. L’hôtel qui se trouve au 26, rue Desforges n’a rien de cette image idyllique. Ici, l’on trouve du thé, du pain, des gato delwil, des rotis… Figé dans le temps, ce petit commerce a vu la capitale se métamorphoser…
La plus grande partie de sa clientèle a vieilli avec lui. «Ici, c’est le fast-food des anciens. Les jeunes cherchent de la nourriture moderne», plaisante Younouskhan Allykhan, l’un des maîtres des lieux.
Attention, l’hôtel Providence ne tire pas sa révérence pour des raisons économiques. La clientèle, même vieillissante, est restée fidèle. De plus, au fil des années, des endroits avec un tel cachet ont disparu. Alors, des touristes en quête d’exotisme défilent quotidiennement dans la petite salle sombre de l’hôtel. Les cuisines tournent sans arrêt. Le chaland trouve de quoi se sustenter à n’importe quelle heure de la journée. Des litres de thé y sont servis. «Ne me demandez pas combien de pain ou de beurre nous utilisons tous les jours. Dépi lontan inn aret konté sa», lâche Younouskhan Allykhan avant même que la question ne fuse.
Il est l’un des cinq frères qui gèrent le lieu. Âgé de 67 ans, il explique que la décision de priver la rue Deforges de l’un de ses hauts lieux est liée davantage à la fatigue qu’à autre chose. C’est avec une pointe de regret dans la voix qu’il déclare que la jeune génération des Allykhan ne veut pas reprendre le lieu.
«Zot tou profesionel dan zot domenn. Il faut dire aussi que c’est un travail qui est loin d’être reposant.»
Actuellement, ils sont cinq à gérer le commerce. C’est l’héritage que le patriarche de la famille, Mahmoodkhan Allykhan, a laissé à ses fils. Il l’avait ouvert à l’époque où les lotel dité étaient l’espace de rencontre de la population. On est en 1957. Le prix de la location est de Rs 80.
Le fondateur de l’hôtel Providence meurt en 1990 à l’âge de 72 ans. Son frère prend la barre jusqu’à son décès en 2006. Younouskhan Allykhan et ses frères prennent le relais. Mais seuls trois d’entre eux s’occupent du commerce.
Au fil des décennies, les édifices coloniaux autour sont transformés en colosses en béton. Aujourd’hui, le bâtiment abritant l’hôtel Providence est le seul à être en pierre taillée. Un lieu unique, commente Younouskhan.
Son père avait fait l’acquisition du bâtiment en 1963. En 2008, ses fils rachètent celui qui se trouve à l’arrière pour en faire la cuisine. «Auparavant, il y avait une annexe, où on servait de vrais repas – briyani, kalya, daube, tout. Mais après le passage d’un cyclone, il a été détruit et depuis, l’hôtel existe sous sa forme actuelle», dit le gérant. Il se tait un instant, fixant l’arche qui orne l’entrée. De la pierre taillée aussi.
À son ouverture, l’hôtel Providence est loin d’être «unique». «Il y en avait quatre ou cinq, rien qu’à la rue Deforges. Dans toute la capitale, il y en avait plus d’une dizaine», explique-t-il. Il faut dire qu’à l’époque, Port-Louis était une ville qui vivait, même la nuit. «Les gens se retrouvaient autour d’un thé après les séances de cinéma nocturnes. Il y avait une autre ambiance.» Entre le Majestic, le Rex, le Luna Park et le Cinéma des Familles, il y avait de la place pour tous.
Ces soirs-là, un client qui n’aurait pas vu le film sortirait de lotel dité avec un récit complet de ce qui s’était déroulé à l’écran. «Mais il n’y a pas que les films ! Vous ne pouvez même pas imaginer le nombre de rumeurs qui sont nées ici.» Le gérant s’esclaffe. Effectivement, les discussions de ceux qui venaient pour le petit déjeuner tournaient autour de la politique, des faits de société... ou des gens. Des exemples? Ceux qui lui reviennent en mémoire sont «trop sensibles pour qu’on puisse en parler»…
À l’heure où des fast-foods pointent leur nez et que les jeunes délaissent, petit à petit, les gato brinzel qui ont fait la renommée du lieu, la clientèle des irréductibles fait de la résistance et le commerce tourne encore à plein régime.
Toutefois, au fil des ans, la fatigue se fait sentir pour les trois gérants de l’hôtel Providence. Il faut dire que faire tourner un établissement de ce genre n’est pas de tout repos. «On ouvre à cinq heures. Les préparatifs commencent donc à trois heures. Actuellement, on ferme vers 23 heures. Mais à la grande époque, lotel ti pé ress ouver zisla dézer parla», rappelle Younouskhan.
Les horaires d’ouverture : c’est l’une des raisons qui poussent les enfants et les neveux de Younouskhan Allykhan à refuser de se lancer dans l’aventure. Cette décision, souligne le gérant, est au cœur de discussions familiales depuis 2015. Avant de décider de la fermeture, les frères ont évoqué la rénovation. L’idée ? En faire un restaurant avec des horaires plus souples. Mais investir dans un lieu, sans personne pour prendre la relève ? Ils ont longtemps hésité.
Au même moment, le frère aîné de Younouskhan est tombé malade. Ça a été la goutte d’eau de trop. «Nous sommes fatigués et usés. Ziska ki laz nou pou kapav tini ? Cela fait mal, nous n’avons d’autre choix que de vendre notre patrimoine familial.»
Son espoir aujourd’hui, c’est que le repreneur conserve le nom du lieu. Et son âme aussi.
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