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Loi anticorruption: des lacunes face aux cadeaux
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Loi anticorruption: des lacunes face aux cadeaux
Un ministre, député, ou n’importe quel fonctionnaire peut-il recevoir un cadeau ? La question est toute simple. Mais la réponse l’est nettement moins. La loi censée réguler cette pratique, c’est l’article 7 de la Prevention of Corrution Act (PoCA). Celle-ci stipule qu'«any public official who makes use of his office or position for a gratification shall commit an offence». Un délit passible de dix ans de prison. Le mot gratification est expliqué dans la même loi. Il se réfère à des cadeaux («gifts»), rabais («discount»), récompense («reward»), emprunt («loan»), entre autres.
Évidemment, tout employé ou contractuel du gouvernement, du petit fonctionnaire jusqu’au ministre, est un «public official». À première vue, les législateurs semblent avoir tout balisé. Mais la récente révélation de l’express sur des voitures achetées par Showkutally Soodhun et le Mouvement socialiste militant (MSM) a mis en lumière une faiblesse particulière de la PoCA.
Le mot gratification revient 36 fois dans la loi et concerne 11 des 14 délits de corruption que définit la PoCA. Mais pour qu’il y ait délit, il faut que le «public official» ait usé ou abusé de sa position – ou promis de le faire – en faveur de celui qui lui donne le cadeau. Ainsi, techniquement, un ministre ou un député peut, en toute légalité, recevoir des cadeaux de forte valeur si, dans ses fonctions, il n’aura jamais à avoir affaire à celui qui lui donne le cadeau. Ainsi, le rabais (NdlR : le billet de vente de la voiture fait état de Rs 1,7 million alors que la facture est de Rs 2,1 millions) qu’a obtenu Showkutally Soodhun auprès d’Iframac – alors que les doutes sur le fait qu’il ait réellement payé subsistent – ne constitue pas un délit. Même s’il n’a pas payé pour la voiture, cela ne constitue pas un délit.
Aucune trace de paiement
Idem pour la luxueuse Mitsubishi Outlander que le MSM a mise à la disposition de Pravind Jugnauth et pour laquelle il n’y a aucune trace de paiement. En 2009, quand l’Outlander a été «achetée», Pravind Jugnauth n’était qu’un député de l’opposition et ne pouvait donc pas influer sur des décisions qui concernaient Iframac. En 2010, quand Showkutally Soodhun a «acheté» sa Mercedes E250, il était ministre du Commerce et même si, très indirectement, il pouvait influer sur des décisions en faveur d’Iframac, il faudrait démontrer et prouver lesquelles.
Or, aux États-Unis par exemple, le président ou tout autre employé fédéral ne peut recevoir de qui que ce soit un cadeau valant plus de $ 375 (Rs 13 000 environ) ! Si le président veut tout de même le garder, il lui faut la permission du Congrès ou attendre la fin de son mandat pour l’acheter à valeur marchande. Sinon, tous les cadeaux offerts au président et valant plus de $ 375 sont considérés comme des biens publics! Le couple présidentiel doit chaque année faire une liste de tous les cadeaux reçus, leurs valeurs respectives et l’identité de l’offrant.
Selon nos informations, l’Independent Commission against Corruption (ICAC) avait déjà proposé des amendements au comité parlementaire, en vue de réguler les cadeaux. Mais ces propositions ne sont jamais arrivées à l’Assemblée nationale. Le code de conduite pour les parlementaires, que l’ICAC finalise, devrait traiter de cette pratique, de même que le Public Service Bill, annoncé pour bientôt.
Ce qu’ils en pensent
Shakeel Mohamed, député travailliste
C’est une lacune majeure de la POCA. Je suis partisan d’une transparence totale sur les cadeaux que reçoivent les «public officials». Tous les cadeaux sans exception, du simple stylo aux cadeaux de valeur reçus des officiels étrangers en visite, devraient être enregistrés dans un registre. Si l’on fixe un plafond, quelqu’un peut toujours offrir plusieurs cadeaux juste en dessous du plafond, à différentes périodes. En Angleterre, il existe un Ethics Committee, rattaché au Parlement, qui peut sanctionner tout parlementaire pour son comportement, même en dehors de l’Assemblée. Je propose qu’un tel comité soit créé et qu’il ait le pouvoir de parcourir ce registre.
Reza Uteem, député MMM
Les cadeaux ne sont pas correctement régulés. C’est difficile car empêcher que l’on fasse des dons serait anticonstitutionnel. Je propose que les cadeaux dont la valeur dépasse un certain plafond, Rs 25 000 par exemple, soient notés dans un registre. On n’y inscrira pas les petits cadeaux traditionnels de fin d’année, comme les agendas. Il y a une différence entre une maquette de bateau que reçoit un ministre d’un homologue et une Rolex que lui offre un businessman. Ce registre de cadeaux doit être public.
Rajen Bablee, directeur exécutif de Transparency Mauritius
En l’absence d’un code de conduite qui comprend un «gift policy» pour les parlementaires, il y a un flou. L’ICAC a travaillé sur un code d’éthique pour nos députés mais nous ne savons pas s’il aura force de loi, si les parlementaires y seront soumis. Or, il est important qu’il y ait, à la fois, un code d’éthique qui s’attache aux valeurs et un code de conduite, qui s’attache aux comportements. Ou alors, il se peut qu’il y ait un code unique qui comprend le principe et l’action. En l’absence d’un tel code, les risques d’abus existent.
Dans certains pays évolués, les parlementaires font une séparation entre le rôle officiel et la personne. Un cadeau reçu dans un cadre officiel reste la propriété du gouvernement et non la propriété personnelle du parlementaire. Trois éléments doivent être alignés : une loi régissant le financement des partis politiques et des politiciens, un code de conduite ayant force de loi et comprenant des directives précises sur les cadeaux et, troisièmement, une loi garantissant la transparence en ce qui concerne la déclaration des avoirs.
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