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Enquête: Choomka courtière à plein-temps ?
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Enquête: Choomka courtière à plein-temps ?
Youshreen Choomka devra avoir de bonnes explications. Une enquête de «l’express» met au jour des pratiques questionnables de la directrice de l’Independent Broadcasting Authority auprès d’investisseurs étrangers. Hier, elle n’a pas répondu à nos multiples sollicitations pour qu’elle puisse donner sa version des faits…
Nous sommes en octobre 2015. Jerry Brassfield, Chief Executive Officer (CEO) d’Earthcore, une compagnie basée à Accra, au Ghana, est en visite à Maurice, avec son partenaire coréen Su Dae Won (connu comme Randy Su). Ils cherchent à investir dans divers projets... Selon nos recoupements d’informations, c’est Youshreen Choomka, avocate, alors Chairperson de l’Independent Broadcasting Authority (IBA), qui leur sert de guide et se propose de leur présenter des officiels susceptibles de faire avancer les projets. Jerry Brassfield, qui dirige une compagnie engagée dans l’achat et vente de carburants et d’autres projets énergétiques, lorgne une demi-douzaine de projets à Maurice : production d’énergie éolienne (l’affaire qui fera éclater le scandale), fourniture de lumières LEC, production d’enzymes naturelles, immobilier et hôtellerie, voire même une banque.
Youshreen Choomka leur fait visiter l’île, elle les aurait même emmenés au Central Electricity Board (CEB), au Mauritius Research Council, à Anse-La-Raie (où elle leur aurait proposé de faire construire un hôtel).
Elle les a aussi présentés à Dev Phokeer (alors Permanent Secretary au ministère de l’Information, récemment nommé à l’Integrity Reporting Board). Une fois la délégation repartie, l’avocate aurait commencé son lobbying. «I have to stress again the fact that these possibilities have been extended to only your projects based on my reference and contacts. No other foreign investor will get such proposal facilities with government.» C’est ce qu’écrit, le 27 octobre 2015, Youshreen Choomka dans un courriel au Dr Jerry Brassfield, et elle conclut par cette phrase : «I have several appointments with High Authorities this week to conclude arrangements for the projects.»
Youshreen Choomka enchaîne sur WhatsApp dans une conversation avec la représentante de Jerry Brassfield à Maurice. «Il faut que vous me donniez $3 000 pour qu’on crée notre compagnie, $10 000 pour le projet de ferme éolienne, et $10 000 pour le projet LEC.» Elle explique dans un autre message WhatsApp, que plusieurs ministères sont concernés par les six projets. «En principe, c’est $15 000 pour chaque ministère, mais pour vous, ce sera $10 000.»
Voulant concrétiser au moins le projet de ferme éolienne pour lequel il sollicite une technologie sudcoréenne inventée par le Dr Lee Soo Song (directeur de Koland Natural Resources Development Co. Ltd), Jerry Brassfield transfère le 20 novembre 2015 – après des signes d’impatience de Youshreen Choomka – $10 000 au compte personnel de la jeune femme, à la Barclays Bank.
Mais à partir de là, les choses se gâtent. Jerry Brassfield et son équipe soupçonnent que Youshreen Choomka les a doublés et a proposé ses services directement au Dr Lee Soo Song. Ce dernier a d’ailleurs transféré, en plusieurs tranches, au moins $35 000 au compte personnel de Youshreen Choomka entre décembre 2015 et février 2016. Ces transferts ont été effectués à partir d’un compte à la Korean Exchange Bank et l’argent a transité par Hong Kong.
«Je n’ai jamais travaillé aussi dur pour un projet», écrit Youshreen Choomka, dans un e-mail au Dr Lee, le 5 février 2016. Dans ce courriel, elle explique avoir participé à une réunion avec le CEB, qui accepte d’acheter son électricité jusqu’à Rs 6 le kilowatt/ heure. «Il faut juste que vous veniez signer le contrat et qu’on trouve un terrain pour vos éoliennes», conclut-elle.
L’express s’est procuré une copie de ce Power Purchase Agreement signé le 11 mars 2016 par Mootoosamy Naidoo, Chairman, Gérard Hébrard, General Manager, et le Dr Lee. Le consultant sur le projet n’est autre que Ziyaad Ramjan, l’epoux de Youshreen Choomka.
Joint au téléphone hier, Mootoosamy Naidoo déclare ne pas connaître Mme Choomka. «Cet accord est arrivé sur le board et je n’ai nullement été mêlé aux négociations. De toute façon, avec moi, il n’y a aucun passe-droit. Pour qu’il y en ait, il faudrait que les choses se déroulent à mon insu. Mais de toute façon, Rs 6 le kilowatt/ heure, c’est dans les normes pour un projet pilote.» Mootosoosamy Naidoo a promis d’enquêter pour savoir si Youshreen Choomka était effectivement à cette réunion et ce qu’elle y faisait.
Notre rencontre avec le Dr Lee
<p>Vendredi 30 avril 2017, 19 heures. Nous allons à la rencontre du Dr Lee, au Voilà Bagatelle. Une légère poignée de main trahit sa pensée. Il n’est visiblement pas intéressé à nous parler. Il tire énergétiquement sur sa cigarette, fait le va-et-vient entre son ordinateur portable posé sur une table haute et le salon, où il nous reçoit.</p>
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<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="271" src="/sites/lexpress/files/images/une-pravind-oiv.jpg" width="299" />
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<p>Le Dr Lee ne parle pas un mot d’anglais. Pour communiquer, il faut utiliser son ordinateur portable, où <em>Google Translate</em> est déjà ouvert. Il se présente. Nous écrivons que nous sommes journalistes et que nous enquêtons sur des pots-de-vin potentiellement payés à Youshreen Choomka. L’homme se fâche et pianote : <em>«Je ne veux pas parler de Madame Choomka. Je suis un chercheur. Je n’ai pas le temps pour des peccadilles. Maintenant, je fais affaire avec le Premier ministre mauricien. Désolé. Mais au revoir.»</em> Il ramasse son ordinateur et s’en va.</p>
Earthcore veut récupérer ses $10 000
<p>Ayant versé $10 000 à Youshreen Choomka en novembre 2015 et ayant été écarté du projet de ferme éolienne, <em>Earthcore Investment Ltd </em>demande à être remboursée. Elle a écrit une lettre en ce sens à Youshreen Choomka et menace de la traîner en justice.</p>
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<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="877" src="/sites/lexpress/files/images/earthcore_refund_0_0.jpg" width="720" />
<figcaption>Earthcore Investment veut être remboursé.</figcaption>
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L’ICAC dans tout cela
L’équipe de Jerry Brassfield a porté toute cette affaire devant l’ICAC, le 30 mars dernier. La Commission anti-corruption le confirme et précise qu’une enquête est en cours. Elle ne peut cependant pas donner d’autres précisions à cause des restrictions légales. Selon toute logique, l’enquête de la Commission anti-corruption devrait tourner, entre autres, autour de l’article 10(4) du POCA, qui se lit comme suit :
«Any person who solicits, accepts or obtains a gratification from any other person for himself or for any other person in order to make use of his influence, real or fictitious, to obtain any work, employment, contract or other benefit from a public body, shall commit an offence and shall, on conviction, be liable to penal servitude for a term not exceeding 10 years.»
En attendant les explications
<p>Tous les facteurs sont réunis pour la mettre à mal : documents, messages <em>Whatsapp</em>, et attestations de virements bancaires effectués en sa faveur. Confirme-t-elle avoir eu des contacts avec les investisseurs que nous évoquons<em> (voir ci-contre)</em> ? Quelle est sa vérité ? Nous avons donc sollicité Youshreen Choomka à plusieurs reprises, et ce, dès la mi-journée hier, pour qu’elle puisse tirer au clair toutes ces allégations à son encontre. Par tous les moyens possibles : appels téléphoniques, e-mails, via ses proches, et même à travers un Advisor au Prime minister’s Office. En vain.</p>
<p>En attendant voici une sélection de ses conversations WhatsApp avec la représentante mauricienne de Earthcore Investment.</p>
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<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="372" src="/sites/lexpress/files/images/choomka_impatiente.jpg" width="650" />
<figcaption>Ne voyant pas le paiement de Jerry Brassfield arriver, Youshreen Choomka s'impatiente.</figcaption>
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<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="478" src="/sites/lexpress/files/images/choomka_pm_son_0.jpg" width="650" />
<figcaption>Youshreen Choomka propose aux investisseurs de rencontrer Pravind Jugnauth "our future Prime Minister and the Leader of our Political Party"</figcaption>
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Note de la rédaction
<p>Par souci de transparence, ces faits méritaient d’être soulignés. L’un des journalistes ayant travaillé sur cette enquête, en l’occurrence <a href="https://www.lexpress.mu/article/283767/document-recrutement-conteste-liba-un-journaliste-reclame-une-judicial-review" target="_blank">Axcel Chenney, poursuit par ailleurs en justice l’IBA et Youshreen Choomka</a>. Et ce, par rapport au recrutement, ou l’autorecrutement de celle-ci comme directrice de l’IBA, alors qu’elle siégeait comme Chairperson de ce même organisme. Pour nous, ce sont deux faits d’actualité distincts. Après avoir porté le recrutement de Youshreen Choomka sur la place publique, nous avons cru utile d’entrer au nom d’Axcel Chenney une action en justice. On attend désormais que celle-ci suive son cours et que la Cour tranche.</p>
<p><strong>La Direction</strong></p>
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