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[Vidéo] Une nuit sous les étoiles avec les grévistes
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[Vidéo] Une nuit sous les étoiles avec les grévistes
La montre affirme qu’il est 23 heures. Le temps semble s’être arrêté. Politiciens, sympathisants, proches, sont rentrés à la maison. À la rue Mère Barthelemy, sous le clair de lune, un chat noir s’agite, déboussolé telle une poule à qui on aurait coupé la tête. Il fuit les chiens errants qui prennent leurs quartiers pour passer la nuit.
À côté, le Jardin qui tient compagnie aux grévistes depuis dix jours (NdlR, ce reportage a été réalisé dans la nuit de mercredi à jeudi 18 mai). Une pancarte se fait malmener par les bourrasques glaciales. Elles s’infiltrent dans le campement de fortune où sont allongés les indignés.
Des palettes font office de sommiers. Dessus, des matelas, des molletons fleuris, multicolores, offerts par des donateurs, comme tout le reste d’ailleurs. On a beau chercher, pas de trace de biscuit ou de grain de riz en vue. Les cafards non plus n’ont rien à se mettre sous la dent.
Nirmala Sharma, elle, a le visage livide. Dans son T-shirt rose, elle broie du noir, tout en pianotant sur son portable. On lui doit Rs 1 million. Elle a les cheveux blancs en bataille, le combat a bien failli avoir raison de sa santé physique. «Monn travay tout long mo lavi pou ramass sa kass-la. Zot bizin rann mwa.» À côté d’elle, certains dorment du sommeil du juste, la bouche entrouverte. Ils rêvent d’obtenir justice.
Les chaises rouges en plastique, les bâches qui ont servi à confectionner un semblant de salle verte; l’atmosphère rappelle celle d’une veillée mortuaire, malgré quelques rares sourires fatigués. Une odeur d’hôpital surprend les narines ankylosées. À côté d’une table, des packs d’eau. Dessus, une bouilloire, une boîte de donation cadenassée, enchaînée et un «livre d’or» où sont inscrits des centaines de noms de visiteurs.
«Goulou Goulou»
Il est minuit passé. Le silence est pesant. Brisé de temps à autre par le va-et-vient des filles de joie, des joueurs de casino, venus tenter leur chance. Le vent joue à cache-cache entre les feuilles des banians centenaires. Les lianes se balancent de droite à gauche, elles ont perdu le Nord.
Garé à quelques mètres, un véhicule de police. À l’intérieur, un officier qui tue le temps en jouant à Candy Crush. Des vigiles privés font leur ronde de nuit. Ils vont casser la croûte dans leur 4x4, par respect pour ceux qui n’ont rien avalé depuis des jours.
Sans les passants pressés, les gens affairés, Le Jardin de la Compagnie offre, lui, un nouveau visage. Les fleurs cannas, l’herbe fraîche, les lions, les dauphins en ciment reprennent leurs droits. Le dioxyde de carbone émanant des pots d’échappement a cédé la place à l’air frais, qui régénère les poumons, qui aide à garder les yeux ouverts.
L’heure passe à une vitesse follement lente. Les grévistes sont tous partis faire un tour au pays des songes. Leurs ronflements se mêlent aux gazouillis stridents de quelques oiseaux de nuit. Le thermomètre affiche 22 oC. Les mégots de cigarette qui jonchent le sol ne fument plus depuis longtemps.
Il est 2 heures. Quand un véhicule de l’Emergency Response Service fait son apparition fantomatique, ses gyrophares aussi rouges que les lèvres du Joker. Tiens, Titeuf. Un policier à la coupe improbable, le sommet du crâne orné d’une crête rouillée et son acolyte viennent pour le «check de routine». «Nounn vinn guété sipa tou korek, sipa bizin amenn kikenn lopital. Fer atansion, éna bann dimounn danzéré dan sa sekter-la», lâche bienveillamment Riquet à la houppe. Un petit tour et puis s’en va.
Les minutes s’égrènent aussi vite que des gouttes d’eau au-dessus de la tête d’un prisonnier torturé. Merci smartphone, merci Facebook, merci WhatsApp.
Dans quelques minutes, il fera jour. Le ciel troquera sa robe à paillettes contre son costume jaune soleil. Les ventres se mettent à faire «goulou goulou», les estomacs crient famine, l’imagination s’oriente vers des «gato pima soso ek enn bon dité».
Les grévistes, eux, resteront sur leur faim.
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