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Prisons: ce qui se trame derrière les barreaux

23 juillet 2017, 18:34

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Prisons: ce qui se trame derrière les barreaux

La revanche de la mafia contre une poignée d’irréductibles officiers. La hit list du tandem Gro Veeren-Ti Ner. Règlements de comptes tous azimuts: au moins un quart des officiers de prison seraient impliqués dans divers trafics. Un «consortium» de trois barons derrière l’importation des 157 kilos d’héroïne saisis en mars 2017. Pourquoi Very Good et Gro Derek se tiennent à carreaux. On vous raconte ce qui se passe dans nos prisons, documents exclusifs à l’appui.

Navind Kistnah n’est qu’un pion sur l’échiquier. Ce serait un «consortium», comprenant Gro Veeren et Siddick Islam, alias Ti Ner, qui serait derrière l’importation des 157 kilos d’héroïne retrouvés dans des compresseurs, en mars, indiquent nos sources. Si les éléments incriminants ont pu être réunis contre Peroomal Veeren, alias Gro Veeren, et Siddick Islam, en revanche, il n’a pas encore été possible d’incriminer Alain Louis Emilien, affectueusement surnommé Very Good, le troisième baron de drogue mauricien, qui, lui aussi, se la coule douce, nourri et blanchi en prison aux frais des contribuables.

Depuis la saisie record effectuée en mars, les barons ont compris que leur modus operandi a été découvert. Si contrairement à Gro Veeren et Ti Ner, qui ne tiennent plus en place, Very Good, lui, reste very discret, c’est parce qu’il va sortir de prison dans pas longtemps. Et il ne veut pas que d’autres embrouilles viennent retarder sa libération Il possède un passeport britannique en raison de ses racines chagossiennes et entend prendre le large dès sa sortie en 2019... C’est ce que fait ressortir une source au sein de la prison. Autre figure connue qui reste dans son coin : le lieutenant de Very Good, Gro Derek. Il est confiant qu’il pourra sortir dans pas longtemps et préfère rester loin des gangs de Gro Veeren et de Ti Ner.

Notre enquête révèle qu’au moins 25 % des officiers de prison «travaillent» pour les prisonniers et sont «employés» par les barons. Les autres font leur travail en restant loin de toute magouille. «Éna lamor ladan. Mo fer mo travay mo alé. Mo pa ésanz avek bann-la, mo anvi amenn mo lavi trankil», nous dit un des officiers, témoin depuis plus de 20 ans de tout ce qui se passe derrière les barreaux, mais qui préfère garder ses distances. Deux avocats abondent dans le même sens, ayant senti le danger potentiel de se frotter aux trafiquants.

Pour arrondir les fins de mois

Gro Veeren, Ti Ner et Very Good contrôlent tout un réseau d’informateurs et d’hommes de main dans les prisons, dont des officiers et des avocats visiteurs, qui se sont souvent laissé corrompre. «Je touche moins de Rs 30 000 et j’ai un enfant qui étudie à l’étranger, sans compter les dettes contractées pour la maison. J’ai dû faire livrer quelques ‘commissions’ pour arrondir les fins de mois», confie un officier de prison. Il s’est ressaisi depuis qu’il a compris qu’il risquait d’y laisser sa peau. «Deux anciens collègues avaient été agressés parce qu’ils avaient arrêté après une ou deux ‘courses’. Des membres de ma famille ont été menacés, mais heureusement qu’il existe des gardiens qui n’ont pas peur des Veeren et des Ti Ner», confie un officier de la prison de Beau-Bassin.

Selon un autre basé à Melrose, la situation était hors de contrôle avec les méthodes «douces», qui avaient bonne presse, de l’ancien commissaire des prisons, Jean Bruneau. Depuis l’arrivée de Vinod Appadoo, ancien patron de l’ADSU, la situation a commencé à évoluer positivement – et les «bons» gardiens ont repris du poil de la bête. Ils ont décidé de déclarer la guerre aux mafieux qui ternissent l’image de tout le système. «Le nombre d’objets saisis en prison démontre clairement qu’il y a complicité à plusieurs niveaux à l’intérieur.»

«Ils veulent nous éliminer»

Face aux officiers de prison trempés dans des combines, il y a ceux qui font de la résistance. Qui font fi des menaces quotidiennes. Mais leurs collègues véreux incitent les prisonniers à les rapporter devant la commission des droits humains, et maintenant devant la commission Lam Shang Leen. «Comme nous refusons d’entrer dans leur jeu, ils veulent nous éliminer afin qu’il ne reste que des gardiens pourris.» Un ancien officier de prison a choisi de prendre sa retraite avant l’heure «car [j’ai] appris qu’il y avait un plan machiavélique pour me faire payer mon honnêteté»

Lors de la déposition à huis clos devant l’ancien juge Lam Shang Leen et ses deux assesseurs, Sam Lauthan et Ravi Domun, Ti Ner met la commission au défi. Il y a du poison et de la drogue dans sa cellule, souffle-t-il. Il invite la commission à venir vérifier ses dires. Dans la foulée, il implique Vinod Appadoo  et quelques officiers, dont un assistant surintendant des prisons (ASP) (voir hors texte). «Vinod Appadoo et l’ASP sont connus pour damer le pion aux prisonniers qui font la loi. Ils ont non seulement mis un frein à leur business à l’intérieur mais également à l’extérieur des prisons. Les caïds ont promis d’avoir leur tête. Et c’est ainsi qu’ils ont inventé l’histoire du Lannate», affirment nos sources.

«Le Lannate a été introduit par des officiers qui veulent, de concert avec les trafiquants, éliminer d’autres officiers. Depuis que la commission sur la drogue siège, la donne a changé. Les langues se délient et c’est ainsi que plusieurs cargaisons de drogue ont été saisies, dont celle record de 157 kilos d’héroïne», fait ressortir un membre de l’ADSU, qui travaille en étroite collaboration avec les gardiens et l’actuel commissaire des prisons.

Sauf que ces saisies ont provoqué l’ire des barons, qui se sont regroupés en «consortium» pour importer collectivement de la drogue, par l’intermédiaire de l’Ougandais James Kanamwanje. Cet ancien détenu de la prison de Beau-Bassin, à la tête d’un vaste réseau, approvisionne nos parrains locaux, qui, eux, misent sur leurs connexions communes...

<h2>Le mystère de l&rsquo;hélicoptère</h2>

<p>Vous l&rsquo;aurez peut-être remarqué. L&rsquo;hélicoptère est de sortie dès que Gro Veeren et Ti Ner mettent les pieds hors de la prison. Pourquoi ? La raison est simple. Les services d&rsquo;intelligence des prisons, l&rsquo;ADSU et le Groupe d&rsquo;intervention de la police mauricienne (GIPM) sont au courant de plusieurs plans d&rsquo;évasion échafaudés par les deux barons de la drogue et leurs hommes de main. Comme Rajen Sabapathee bien avant eux, ils tentent la grande évasion en multipliant les stratégies. &laquo;<em>C&rsquo;est leur sport favori. Réfléchir à des moyens pour recouvrer la liberté</em>&raquo;, relate un ancien membre du gang de Gro Veeren.</p>

<p>Ces menaces sont prises un peu plus au sérieux depuis que les deux barons affichent leur déception, après que leur cargaison de 157 kilos a été saisie. Ils ont alors montré des signes d&rsquo;impatience et ont mobilisé d&rsquo;anciens prisonniers aujourd&rsquo;hui en liberté.</p>

<p>Il faut savoir que quand ils ne sont pas placés en isolation, Gro Veeren et Ti Ner bénéficient d&rsquo;un traitement royal et ont toute une équipe de personnes à leur service&hellip;</p>

<p>&laquo;<em>Il y en a un qui frotte le dos de Gro Veeren, un autre qui lui lave les pieds, un troisième qui tient la serviette quand il prend sa douche afin que les autres ne le voient pas en tenue d&rsquo;Adam. Leur nourriture est testée par des détenus, justement parce que le poison circule librement en prison. Il y a eu des morts suspectes, mais cela n&rsquo;a pas été ébruité</em>&raquo;, indique une source.</p>

<p>Depuis que la chaîne en or de Gro Veeren, valant Rs 1 million, a été saisie par l&rsquo;escouade de la commission Lam Shang Leen et les membres de la Prison Security Squad, le caïd a été transféré à Beau-Bassin. Ce qui n&rsquo;est pas au goût de ce dernier, qui considère Melrose comme &laquo;<em>lakaz mama</em>&raquo; des barons. En attendant, c&rsquo;est Ti Ner qui assure le contrôle les troupes...</p>

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Les pions

<p>Gro Veeren est prêt à tout pour intimider ceux qu&rsquo;il considère comme étant des &laquo;<em>obstacles de taille</em>&raquo;, ceux qui l&rsquo;empêchent de pratiquer ses activités illicites. L&rsquo;une de ses ruses consiste à utiliser d&rsquo;anciens détenus pour &laquo;<em>faire peur</em>&raquo; aux membres de l&rsquo;Intelligence Unit de la prison.</p>

<p>Ainsi, le 8 août 2014, des voleurs ont fait irruption à la prison de Beau-Bassin dans le but d&rsquo;y voler plusieurs objets. Selon des sources concordantes au sein de la prison, un ancien détenu, Jean Louis Andy Ladouceur, avait reçu des ordres de Gro Veeren, qui a commandité cette opération. Le 8 mai 2015, un membre de l&rsquo;Intelligence Unit de la prison est verbalement agressé par un ancien détenu, Pascal Valery, ancien bras droit &ndash; il en a plusieurs &ndash; de Gro Veeren. Rappelons que l&rsquo;ASP Omrahoo avait été sauvagement agressé en 2009 par un ex-détenu, Patrice Lincantee, quelques jours après qu&rsquo;une fouille a été effectuée dans la cellule de Gro Veeren. Par ailleurs, nos recoupements d&rsquo;informations indiquent que ce dernier a déjà ourdi un complot afin que d&rsquo;importantes sommes d&rsquo;argent soient reversées sur les comptes bancaires des responsables des prisons qu&rsquo;il souhaite éliminer. Le but : brouiller les pistes et forcer les autorités à enquêter sur eux pour blanchiment d&rsquo;argent.</p>

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<h2>Enter frigidaire&hellip;</h2>

<p>Il est considéré comme étant un &laquo;A-list detainee&raquo;. Ses moindres faits et gestes sont scrutés par la Prison Intelligence Unit. Pour cause, Vishnu Dussoruth, alias Frigidaire, n&rsquo;est autre que le bras droit de Gro Veeren. Il avait été arrêté en 2009 pour possession d&rsquo;héroïne. Depuis, il donne du fil à retordre au personnel de la prison. Frigidaire a, en effet, été épinglé pour mauvaise conduite une dizaine de fois depuis son incarcération. Il avait plusieurs produits prohibés en sa possession, dont des cellulaires, des seringues ou encore du subutex. Cet homme de 47 ans, originaire de Cité Beau-Séjour, Quatre-Bornes, a été reconnu coupable, à pas moins de trois reprises, d&rsquo;avoir agressé d&rsquo;autres détenus.</p>

<p>En 2009, alors qu&rsquo;il est incarcéré dans la cellule n&deg; 23, à la prison centrale de Beau-Bassin, en compagnie de Gro Veeren, et d&rsquo;un autre acolyte, Gilbert Louise, une fouille est effectuée par les membres de la Prison Security Squad. Les trois compères font de la résistance et profèrent des menaces. Malgré cela, plusieurs articles prohibés sont découverts en leur possession. Qui plus est, Frigidaire a déjà essayé d&rsquo;entacher la réputation de hauts gradés de la prison, y compris l&rsquo;ancien commissaire des prisons, Jean Bruneau, en formulant des allégations contre ce dernier. C&rsquo;était en juillet 2014. Le 20 mai 2017, un mandat d&rsquo;arrêt est émis contre Frigidaire, celui-ci ne s&rsquo;étant pas présenté en cour.</p>

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Fac-similé d’une lettre envoyée par un détenu à la National Human Rights
Commission, alléguant qu’il a été brutalisé par l’assistant
surintendant des prisons.

<h2>L&rsquo;ASP sur la hit list</h2>

<p>Il est l&rsquo;assistant surintendant des prisons (ASP) le plus haï au sein du milieu carcéral. Et s&rsquo;il y en a bien un qui ne peut pas le sentir, c&rsquo;est Gro Veeren. Les plaintes, critiques et allégations formulées contre lui sont légion. L&rsquo;ASP a rejoint le service pénitentiaire en tant qu&rsquo;officier en 1981, avant d&rsquo;être choisi pour intégrer la Prison Security Squad au sein de laquelle il exerce toujours. En 2010, Peroomal Veeren a juré un affidavit, accusant l&rsquo;ASP de lui avoir fourni des médicaments. Le caïd avait également fait ressortir qu&rsquo;il avait eu une altercation avec l&rsquo;ASP, en février 2010. En 2016 et 2017, les détenus Brian Petricher et Kamlesh Bhuruth ont sollicité la National Human Rights Commission, accusant l&rsquo;ASP d&rsquo;avoir proféré des menaces contre eux. Kamlesh Bhuruth, qui est incarcéré à Melrose, a même allégué qu&rsquo;il avait été battu. Malgré les menaces de mort qui se succèdent, l&rsquo;ASP reste en poste. Il tient ferme. Même si, la semaine dernière, son sac a disparu de son bureau, à la prison&hellip;</p>

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