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Nitish Joganah: «Mo pa pou less personn bez mwa dan loubli»

20 août 2017, 16:00

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Nitish Joganah: «Mo pa pou less personn bez mwa dan loubli»

Pour ses quarante ans de carrière, Nitish Joganah, membre du groupe Latanier, s’offre une scène inédite : la partielle de Belle-Rose–Quatre-Bornes. Pourquoi, comment ? Il s’en explique avec sa gouaille inimitable.

Votre nouvel album se vend-il mal au point de chercher la lumière ailleurs ?

(Furax) Pas du tout ! Je suis un chanteur engagé, alors je m’engage. Ça fait quarante ans que je suis ‘en lutte’ en tant qu’artiste. Mo bien ferfout ek la glwar, je n’ai jamais chanté pour des médailles mais pour un idéal.

Lequel ?

Un idéal de justice, de dignité, de respect de chaque Mauricien. Quelle que soit sa couleur, sa condition sociale ou ses revenus.

Ça vous agace que votre candidature ne soit pas prise au sérieux ?

Ce qui me fait enrager, c’est d’entendre ki mo pé rod mo bout, comme si à 60 ans j’allais commencer à prostituer ma conscience. Kouyonad sa !

Autres doutes entendus : «C’est l’envoyé d’untel», «il va nuire à sa carrière»…

(L’index pointé) Get sa, mo pa trap kalson personn mwa ! Quand je chante pour soutenir un parti, je ne gâche pas ma carrière, mais quand je défends mes idées, là oui. Bann imbésilité, foutour !

Alors de quoi cette candidature est-elle le nom ?

Être élu, rien à foutre. Je veux réveiller les gens pour qu’ils s’intéressent aux vrais sujets.

Vous trouvez les Mauriciens endormis ?

Ils se laissent endormir par notre classe politique pourrie. Ces gens-là ont fini par m’écoeurer. Ils passent leur temps à insulter notre intelligence. Certains sont tellement forts qu’ils pourraient inciter des végétariens à manifester contre la hausse du prix de la viande (rire). Servez-vous de votre esprit, voilà mon message. Et à 60 ans, le temps joue contre moi.

Pourquoi, dans notre pays aujourd’hui, un artiste n’a-t-il aucune chance d’être élu ?

Ça, on n’en sait rien. Pour le savoir, il faut essayer. Devenir député ne devrait pas être réservé à une élite, aux médecins, aux avocats, aux comptables. Ils ont tous le mot «unité nationale» à la bouche mais sé zot ki gat nou linité. Vous avez aussi des incompétents, des illettrés sans vision. Être populaire et avoir un peu d’argent, malheureusement ça suffit pour se faire élire. Je ne blâme pas les élus, nous sommes tous coupables. Kouma dir nou met dimounn afamé gardien lamal gato. C’est nous qui portons ces genslà au pouvoir, nous qui «fabriquons» des corrompus. Les électeurs sont des quémandeurs. Résultat, on a des dirigeants politiques obsédés par l’argent. Et des marionnettes au Parlement.

Vous allez faire des meetings et tout le tralala ?

Enn sou mo péna pou fer kanpagn ! Mon seul revenu fixe, c’est mes Rs 5 000 de pension de vieillesse. Rien à foutre de l’argent, je ne compte pas mendier des votes à coup de propagande. Ni courir derrière les médias.

En gros, vous n’avez besoin de personne pour ne pas être élu…

Je suis un média ambulant à moi tout seul (rire), je n’ai pas besoin de tout ce cinéma. Quatre-Bornes, c’est chez moi. Je parle aux habitants tous les jours, ils connaissent mes colères.

Quelle est votre colère du moment ?

L’individualisme, le chacun pour soi. On bâtit l’avenir de nos enfants dans la compétition et la haine du faible. L’orgueil est trop fort dans ce pays, c’est ce qui freine le développement. Mais le pire, ce sont les hypocrisies. À Maurice, on les empile.

Exemple ?

Prenez le gandia : arrêtons l’hypocrite criminalisation. La vérité, c’est que les fumeurs sont partout : dans la police, le judiciaire, parmi les députés, les médecins, les journalistes. Eux aussi m’énervent. La presse, soi-disant des intellectuels… De quoi vous nous parlez ? Vols, viols, accidents, sa mem tou. Ça fait peut-être vendre, mais ça n’aide pas les gens à réfléchir, à progresser. Arrêtez de banaliser les vrais problèmes. Cinquante ans après l’Indépendance, l’accès à l’eau 7 jours sur 7, 24 h sur 24, est encore un défi. Ce qui me choque, c’est que ça ne choque plus.

Vous avez été un militant engagé. Pourquoi avez-vous délaissé le MMM ?

Parce qu’ils ont fait le contraire de ce qu’ils prônaient. Enn sel lepep enn sel nasyon, j’y ai cru. Zot mem ki dir sa, zot mem ki kraz sa. Ce sont des escrocs intellectuels.

Du coup, il reste qui dans votre playlist politique ?

Nelson Mandela, Martin Luther King, Mahatma Gandhi, Mère Teresa.

Aucun Mauricien ?

Si. Emmanuel Anquetil, Renganaden Seeneevassen, même bolom Ramgoolam pour ses années de lutte.

Personne de vivant ?

Je vais vous dire une chose : si je devais écrire une chanson-hommage à un politicien du moment, je serais bien emmerdé, aucun ne le mérite.

Donnez-nous deux raisons de voter pour vous.

D’abord, pour défoncer les portes que les élites ont verrouillées. Ensuite, mo pa pou less personn bez mwa dan loubli. Ne cherche pas à m’isoler, frère. N’oublie pas que je suis Nitish Joganah.

Vous en faites aussi une question d’ego ?

Ouais frère ! Parski zot badinn ar mwa. Zot rod fer krwar mo enn vorien. Quand je sors un album, ça n’intéresse personne, mais le candidat, tout le monde court derrière. Ça veut dire quoi ? Seule la politique est digne d’intérêt dans ce pays ?

Si vous pouviez remonter le temps, vous changeriez quoi dans votre parcours ?

Je perdrais moins de temps avec les politiciens.

Lesquels en particulier ?

Monn trap tou pavyon, comme tout le monde. J’aurais mieux fait de dépenser cette énergie autrement.

Qu’y a-t-il de meilleur en vous ?

Je suis quelqu’un de tolérant et sage malgré les apparences. Mo éna gran lagel mais je suis faible à l’intérieur. Je peux pleurer devant un film à l’eau de rose.

Et de pire ?

Si mo éna pou koz lavérité kouma bizin, mo bour difé dan sa péi-la.

Le crapaud ne se transformera jamais en Prince charmant ?

(Droit dans les yeux) Get mwa bien : eski mo éna lagel prins sarman ? Ou pé trouv mwa asiz lor trone ?  Mo enn krapo ki pou kontinyé kriyé. (Les dents serrées comme s’il allait donner un coup-de-poing) Ziska mo mor mo pou kriyé, kriyé, kriyé !

Pensez-vous que l’on écoute celui qui crie le plus fort ?

Celui qui crie le plus juste.