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Surmenage au travail: allô patron, bobo
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Surmenage au travail: allô patron, bobo
Les chiffres s’affolent. Quelque 200 000 Mauriciens souffriraient de troubles mentaux, a annoncé le ministre de la Santé, Anwar Husnoo, durant la semaine écoulée. Il y en aurait bien plus, renchérit le Dr Geeaneswar Gaya, psychiatre. Parmi les racines de ce mal : le surmenage, le stress lié au travail. Alors, le boulot peut-il vraiment rendre fou ?
Elle ne tient pas en place. A les mains qui tremblent légèrement, les mâchoires serrées. Elle se frotte souvent les mains, sorte de TOC qu’elle s’efforce de contrôler. Emilie (prénom modifié) a 31 ans, mais on lui en donnerait 25, malgré le teint blafard. «Merci aux crèmes qui coûtent cher et que je peux me permettre grâce à mon salaire confortable», lance-t-elle avec ironie. Du haut de son 1 m 70, elle ne voit pas forcément la vie en rose. Son temps, elle le passe au travail.
Elle est cadre dans une compagnie spécialisée dans le tourisme. Elle est «chef», surnom que lui ont donné ses proches, qui se moquent affectueusement d’elle. Sa famille, ses amis, qui s’inquiètent surtout de la voir «dans cet état» de nervosité. «Quand elle rentre, elle passe souvent ses nerfs sur moi. Mais je la comprends… Je lui ai dit d’arrêter de travailler autant…» confie sa maman, résignée.
Emilie part au bureau à 8 heures, parfois avant. Elle fume cinq à six clopes par jour, avale des litres de café, répond à des mails, assiste à des réunions, gère le «staff» et des sous, doit faire face aux critiques des patrons. L’esclave des temps modernes a deux téléphones portables, qu’elle trimballe avec elle-même quand elle est à la plage. «Je ne me déconnecte pratiquement jamais.»
«Pez néné bwar delwil»
Elle rentre à la maison à 20 h 30 tous les soirs. Le temps de dîner, de se doucher, de câliner sa nièce de quatre ans – «son antidépresseur» – elle se remet au boulot. Jusqu’à 23 heures, voire minuit, au risque de griller sa «centrale électrique», doux surnom qu’elle a donné à son cerveau, qui fonctionne parfois grâce à ces générateurs que sont les automatismes.
Il lui arrive souvent de disjoncter, de péter un câble, un fusible. De vouloir une autre vie que celle-là. Mais franchir le cap de la démission après avoir gravi les échelons n’est pas chose aisée. Qu’importe si elle ne vit plus pleinement, que jeunesse se passe, que la perspective de regrets sur le lit de mort, lui font peur. «J’ai des responsabilités familiales. Je me suis habituée à un certain train de vie… Si je pars, je vais devoir tout recommencer… Encore faut-il que je trouve autre chose, avec le marché du travail en ce moment…»
Comme elle, nombreux sont ceux qui «pez néné bwar délwil» jour après jour. Quitte à devenir mabouls, à perdre la boule. Selon le ministre de la Santé, Anwar Husnoo, qui participait à une cérémonie dans le cadre de la Journée mondiale de la santé mentale, mercredi 11 octobre, 200 000 Mauriciens, soit 22 % de la population, souffriraient de troubles mentaux. Un chiffre qui serait en deçà de la réalité, selon le Dr Geeaneswar Gaya, psychiatre. Qui affirme que le pourcentage doit osciller autour de 30 %. Les coupables : le stress, le surmenage, bref, trop de travail.
Morte après avoir effectué 159 heures d’«overtime»
Un mal qui devrait travailler davantage les salariés puisqu’il peut tuer. Le cœur d’une journaliste japonaise a lâché après qu’elle a effectué 159 heures d’«overtime» en un mois… Miwa Sado, 31 ans, avait été retrouvée morte dans son lit en juillet 2013. Un an plus tard, les autorités japonaises avaient conclu que son décès avait été causé par un trop grand nombre d’heures supplémentaires.
La chaîne de télévision publique japonaise NHK, qui l’employait, a fini par rendre l’affaire publique durant la semaine écoulée, soit quatre ans plus tard… Au pays du Soleil Levant, le phénomène est tel qu’on lui a donné un nom : le «karoshi», qui signifie mort au surmenage par travail. Au Japon, une personne sur cinq travaille plus de 49 heures par semaine.
À Maurice, ce mal silencieux, insidieux, grappille également du terrain. «Une surcharge de travail, de mauvaises conditions d’emploi, une direction défaillante sont les causes qui entraînent les problèmes mentaux dans 70 % des cas. Nous avons mis en place un Community Psychiatric Care à Flacq et des facilités à l’hôpital Victoria afin de suivre les patients atteints de ces maux», a précisé le Dr Aumeer, consultant en charge de la section psychiatrie à l’hôpital Brown-Séquard, mercredi.
Mais les consultations psychiatriques ne sont pas encore entrées dans nos mœurs, selon le Dr Gaya, qui déplore le fait que beaucoup de Mauriciens «souffrent en silence», en raison du tabou autour des troubles mentaux. D’autres personnes ne savent même pas qu’elles sont atteintes. «Chez les hommes, la dépression est souvent noyée dans l’alcool ou la drogue. Chez les femmes, cela passe pour de la nervosité, de l’agressivité ou alors de la paresse…» a déclaré le psychiatre au quotidien bonZour!, dans son édition du jeudi 12 octobre.
Salaire confortable
Anish (prénom modifié), lui, est bien conscient du fait qu’il y a quelque chose «qui cloche». Employé dans un cabinet de design depuis sept ans, il lui arrive de travailler 48 heures d’affilée, sans fermer l’œil. Enfin presque. «Ariv enn moman, lizié aret fonksioné, les pupilles se dilatent», plaisante-t-il. Mais les dossiers urgents, les «deadlines» trop serrés, la pression exercée par les patrons, ne font pas rire son médecin.
À force de trop travailler, sa santé en a pris un coup. Côlon irritable, douleurs aux articulations, aux reins, aux fesses, stress, il a eu droit au «package» complet. Pourquoi ne pas changer de métier ? «Je touche un salaire confortable, qu’on ne me proposerait pas ailleurs. J’ai mes habitudes, la routine s’est installée, j’aime quand même ce que je fais.»
Pourquoi n’essaie-t-il pas de lever le pied fatigué ? «Allez dire ça aux patrons…»
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