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Arjoon Suddhoo: «L’innovation ne peut se produire dans un vacuum»
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Arjoon Suddhoo: «L’innovation ne peut se produire dans un vacuum»
Le Global Competitiveness Report positionne Maurice à la 54e place sur 137 pays en termes de capacité à innover. Qu’est-ce qui entrave l’innovation ? Quelles solutions existent ? Dès l’enfance il faut axer davantage les enseignements scolaires sur les domaines stratégiques à développer, affirme Arjoon Suddhoo, directeur exécutif du Mauritius Research Council (MRC).
L’édition 2017/18 du Global Competitiveness Report souligne l’incapacité de Maurice à innover. Qu’est-ce qui bloque ?
D’après ce rapport, Maurice est en 54e position sur 137 pays. On est dans le «top half», ce qui est bon signe. Maintenant, le pays ambitionne de devenir une économie à revenu élevé, résolument tournée vers l’avenir. Cela implique plus d’efforts et de défis.
À cet égard, je ne parlerai pas de barrières mais plutôt de facteurs à améliorer tels que la recherche et le développement, de meilleurs partenariats entre le monde universitaire et l’industrie ainsi qu’une nouvelle culture d’innovation et de «technopreneurship».
En tant que «Small Island Developing State» (SIDS), Maurice a parcouru un long chemin mais nous pouvons mieux faire. Le progrès socioéconomique démontre que l’innovation a toujours été présente. Il est temps d’identifier ces bonnes et fructueuses pratiques.
Qu’implique le terme «innover» pour vous ?
La définition classique est l’amélioration d’un produit, procédé ou service. Mais la signification dépend du temps et du contexte. Par exemple, le Global Competitive Ranking inclut plusieurs critères de mesures, notamment le Foreign Direct Investment qui met en exerge la complexité infrastructurelle, entre autres.
Il faut savoir quel type d’innovation est symbolique pour le pays. D’ailleurs, c’est pour cela que le gouvernement a décidé de transformer le MRC en Mauritius Research and Innovation Council (MRIC). Plusieurs personnes sont d’avis qu’une bonne capacité à innover contribue à accroître la richesse d’un pays. Mais le véritable objectif va bien au-delà des gains matérialistes, aussi importants soient-ils. Que ce soit en termes de développement de produits, d’amélioration de services ou des processus, l’issue finale de l’innovation converge vers un changement dans le comportement humain.
Innover, est-ce inné ou est-ce que cela s’acquiert ?
Cela peut être les deux. Si certaines personnes sont par nature, plus créatives que d’autres, tous les êtres humains ont la capacité de créer, à condition d’être encadrés, élément essentiel pour exprimer ses capacités de création.
C’est là où le système éducatif est important. Il faut donner l’opportunité aux enfants, dès leur jeune âge, de développer l’aptitude à innover. Cela peut se faire à travers des activités de groupe, des exercices et des activités artistiques. C’est un peu la dimension de la nature contre le «nurture».
Le changement ne peut se produire dans un vacuum. Il y a des «push and pull factors» qui lui permettent de sortir d’un stade embryonnaire d’émergence à son institution. L’éducation et l’environnement multiculturel sont des facteurs encourageants.
Le changement prospère quand les gens sont encouragés à être créatifs à travers une pensée inquisitrice plutôt qu’académique. L’apprentissage multi-disciplinaire, le travail collaboratif et le partage d’informations sont aussi significatifs. Nous devons d’ailleurs capitaliser sur cet atout qu’est notre multiculturalité car c’est un conducteur d’innovation.
«Les opérateurs locaux seront appelés à collaborer avec ceux de l’international pour intégrer davantage les nouvelles technologies au pays.»
Le nouveau MRIC sera appelé à gérer un fonds national pour l’innovation. Où en sont les choses ?
Une ébauche du Mauritius Research and Innovation Council Bill a été préparée. La promulgation de la loi va renforcer le conseil en termes de promotion de la recherche d’un standard de haute qualité.
Hormis le fait de susciter cette culture en y incluant science et technologie, il est impératif d’englober un rôle social. Le modèle combinant l’innovation technologique et sociale inclusive est adapté de plusieurs pays. Nous en avons discuté avec plusieurs partenaires locaux et cela sera présenté au MRC.
À mon sens, la dimension humaine et sociale est significative. Aujourd’hui, l’innovation se pose comme une solution plus efficace, juste et soutenable face au problème social, comparée aux méthodes existantes. Sur la base d’une «Strengths, weaknesses, opportunities and threats (SWOT) analysis» sur les défis des secteurs économiques et de la société, nous avons identifié des principales thématiques pour être le fer de lance des stratégies du MRIC.
Nous voulons combler le fossé entre le secteur privé et le monde universitaire. Le MRIC veillera sur les initiatives prises par les institutions locales. Le transfert technologique et le mouvement de la propriété intellectuelle sont importants pour le maintien d’une haute qualité de recherche et de développement.
Que fait le MRC au juste pour accompagner ce changement ?
Sa valorisation est un enjeu pertinent. Le nouveau rôle du MRC et nos nouvelles initiatives convergent vers ce but. Celles-ci impliquent notamment la nouvelle loi, les régimes de financement, les programmes de renforcement de capacité, la reconnaissance d’idées novatrices et la consolidation des talents.
Cette valorisation ne se fera pas en un jour. Et elle tient encore moins à une initiative unique. Ce sera le résultat d’une approche intégrée ciblant divers secteurs de la population. Parallèlement, la propriété intellectuelle est une composante vitale de l’économie et de la société moderne.
Cependant, des faiblesses dans la création, l’accès et la protection de la connaissance peuvent générer une perte non seulement pour les créateurs mais pour l’économie dans son ensemble. À ce sujet, le MRC Technology Transfer Office viendra soutenir l’innovation, tout en permettant d’identifier, de gérer et de faire un usage commercial de la propriété intellectuelle.
Déjà, le MRC a concrétisé plusieurs projets tels que la formation de 300 jeunes en robotique, le design d’un nanosatellite pour renforcer les capacités dans cette technologie ou encore d’un système de prédiction d’inondation, entre autres. Des modèles pour la prévision de vents cycloniques sont également étudiés.
Y a-t-il des secteurs où le changement est valorisé ? Lesquels et pourquoi ?
Je ne dirais pas que c’est plus facile dans certains domaines. L’innovation est dirigée par le «mindset» et la motivation. Cela dit, il existe des secteurs où l’île Maurice est sujette à un avantage compétitif et à des éléments de transformation préétablis.
Par exemple, considérons l’agriculture ou plus précisément l’industrie sucrière. Il y a un historique des partenariats entre le monde universitaire, la recherche et l’industrie elle-même. C’est plus facile de construire sur ces forces. Dans d’autres filières, on assiste à une demande pour l’innovation, ce qui a motivé les acteurs à le faire.
La demande et la motivation doivent être examinées. À cet égard, certaines moyennes et grandes entreprises produisant localement ou qui sont dans l’exportation ont investi dans les nouvelles technologies. Les entreprises innovantes majeures ne semblent pas avoir de problèmes d’accès aux technologies et services de l’étranger.
Par contre, les petites firmes dans des domaines traditionnels tels que le textile, la bijouterie, l’agriculture, etc; ne sont pas au courant de ces avancées et ont des difficultés d’accès.
Quelles stratégies doit-on mettre en place pour être plus efficace ?
L’innovation nécessite la collaboration et la multidisciplinarité. Comme stratégies, il faut privilégier les partenariats public-privé, internationaux et bilatéraux.
Le «Collaborative Research and Innovation Grant Scheme», par exemple, constitue un tremplin entre le monde universitaire et le secteur privé. Maintenant, comme nouveaux axes, les prochains «Poles of Innovation» et «Research and Innovation Bridges», les schémas de financement, entre autres, vont créer une prise de conscience publique pour encourager l’innovation.
Les opérateurs locaux seront appelés à collaborer avec ceux de l’international pour intégrer davantage les nouvelles technologies au pays. Les stratégies permettront aux innovateurs et chercheurs d’arriver avec leurs propres idées et d’être en compétition pour les différents «grants».
Il est essentiel de synthétiser les efforts nationaux dans des domaines spécifiques comme les énergies renouvelables, la technologie alimentaire et la biotechnologie, la nanotechnologie, la robotique, l’intelligence artificielle, l’océanie, le changement climatique, entre autres.
Bio express
<p>Né en 1958, le Dr Arjoon Suddhoo, ancien lauréat, a étudié en Angleterre. Il a complété un programme en <em>«Aeronautical Engineering» </em>à l’université de Manchester. Il détient un MBA de l’université de Liverpool et un doctorat en aéronautique de l’université de Manchester.</p>
<p>Après son post-doc, il prend de l’emploi comme chercheur scientifique chez Rolls-Royce Aerospace, en Angleterre. Il y est promu <em>Principal Scientist and Research Manager.</em></p>
<p>De retour à Maurice, en 1993, il est engagé comme <em>Head of Research and Planning</em> par la <em>Tertiary Education Commission</em>. En 1998, il est nommé directeur exécutif du<em> Mauritius Research Council. </em>Parallèlement, il a été élu <em>Chairman</em> du comité d’Air Mauritius en 2015.</p>
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