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Ancien prof, ancien alcoolique, nouvel homme

12 novembre 2017, 13:07

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Ancien prof, ancien alcoolique, nouvel homme

Il y a quelques années, il se promenait dans les rues de Quatre-Bornes, avec sa dégaine de clochard, son haleine de «biver larak» et son sourire édenté. Aujourd’hui, il enfile chaque matin une chemise impeccablement repassée, une de ses nombreuses cravates en soie «Made in England» et dégage un parfum de crème. Ses dents ne sont pas revenues, ses esprits presque, sa bonne humeur complètement. Ainsi que ses coups de gueules.

La maison est vide. À côté, dans une sorte de «dépendance», où des serviettes font office de vitres, habite un homme à la vie bien remplie. La chambre qu’il occupe est pleine à craquer, un peu comme sa tête. Au milieu du désordre, des livres bien rangés, des chemises sans pli, des pensées et des paroles qui vont dans tous les sens, parfois.

Kesaven Coopamah a 66 ans. Il est célibataire, même s’il a été «fiancé 75 fois», lâche-t-il avec un sourire largement édenté. Les prémolaires du dandy ont été rongées, sans doute, par l’alcool. Mais sa langue, elle, est restée incisive, il n’a rien perdu de son mordant.

«The stronger the wind, the stronger the tree. The past is a bucket of ashes, ce qui ne tue pas rend plus fort.» À côté des bouquins traitant de philosophie, du Larousse de poche, les «dialog sok» pleuvent.

Kesaven Coopamah a été prof d’économie et de comptabilité, jadis, dans des collèges qu’on appelle aujourd’hui des «star schools». Il a fait des études à l’université de Madras, en Inde. «I don’t want to blow my own trumpet, but I came out first in all of India...» Son diplôme en Advanced Currency Management en poche, il débarque en Angleterre, où il enseigne aussi.

En parallèle, il fréquente la bouteille, sa vie se brise, le goulot d’étranglement n’est pas loin. «Sa lépok-la, dan sak bifé éna enn boutey. Pli tar, monn kontinié bwar ek bann kamarad.» À la mort d’un de ses meilleurs amis, l’alcool devient son meilleur pote. «J’errais dans les rues sans but. Le cancer tue mais la solitude est la plus assassine de tous les criminels… » Pendant longtemps, les Quatrebornais, surtout, ont cru qu’il était un clochard. Mais «je rentrais chez moi, je n’étais pas SDF».

Et puis, un jour il en a eu assez de vivre dans un monde parallèle. Avec l’aide de ses soeurs, qui vivent en Angleterre et surtout celle qui vit à la Réunion – il en a quatre, en fait – il a refait surface après avoir navigué en eaux troubles.

Depuis, il a troqué son T-shirt de «déleryom» contre un costume d’homme d’affaires. «L’habit ne fait pas le moine, les gens jugent rapidement.» S’il enfile de nouveau ses chemises repassées comme des leçons apprises par coeur et ses cravates en soie de chine Made in England, c’est parce que «[mo] kontan glasé. Lanvlop vié, let ankor nef».

Aujourd’hui, il a une mission : poursuivre un ancien locataire pour loyers impayés. L’affaire est en cour. «Ma maman m’a légué des biens, mes proches ont accepté de me donner cette maison. Dimounn krwar akoz monn travay Langléter mo éna enn ta kas. Mais je suis penniless.»

Quelques «zouré» métaphoriques adressés à une «fourmi qui voulait grimper sur le dos de l’éléphant en passant par sa queue» plus tard, Kesaven avoue qu’il a été poursuivi pour avoir insulté une dame. Il s’est défendu tout seul – puisqu’il ne fait pas toujours confiance aux avocats – et «the case was dismissed », souligne-t-il.

Dans sa grosse mallette noire style homme d’affaires très affairé, ses précieux documents, des copies de plaintes envoyées à la police, des photocopies de son «rent book» et d’autres trésors juridiques qu’il garde précieusement. «Excuse me, sometimes I am confused.»

Dans la rue, il distribue des salutations distinguées aux voisins. Enfin ceux avec qui il est en bons termes. Au loin, un chien qui passe. Allez, une dernière pour la route. «Éna berzé alman, ti roké, chihuaha. Ou kapav pran lisien éran ou met dan salon ou ?» Toute allusion à des politiciens serait purement fortuite.