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#50ansMoris: des vétérans de la presse racontent…
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#50ansMoris: des vétérans de la presse racontent…
La presse n’est pas uniquement l’affaire de quelques journalistes : elle est une véritable chaîne humaine. Nous donnons la parole aux témoins de l’époque, qui nous racontent ces moments agités de notre histoire.
Si Maurice n’a pas connu de reporters de guerre, comme bien de journaux internationaux de l’époque, ceux qui travaillent en ce mois de janvier 1968 font face à beaucoup d’obstacles sur l’échelle mauricienne. D’un côté le gouvernement contrôle et distille les informations au compte-gouttes : pas question, selon les autorités, de révéler le nombre exact de morts. De l’autre, des journalistes aguerris veulent rétablir les faits, pour séparer les palabres des vraies infos susceptibles de dépeindre la situation.
Il n’y a ni Internet, ni Facebook encore moins Whatsapp en janvier 1968. Outre la radio, qui existe depuis 1927, et la télévision (qui n’avait que trois ans), les Mauriciens se fient aux journaux pour avoir des nouvelles des bagarres raciales dans la capitale. Une tâche colossale pour les journaux, notamment l’express, le Mauricien, le Cernéen, Advance et Week-End.
Guy Nynapen : «J’agissais comme cuisinier»
Guy Nynapen, aussi connu sous le nom de Pedro, s’est joint à l’express en 1966, au niveau de la production, alors que le journal paraissait en letterpress. Formé par le ministère de la Défense en mécanique et technique, il remplace Karl Offmann qui se joint à la Jeunesse ouvrière chrétienne.
Pedro travaille sous l’égide du Dr Philippe Forget, qu’il qualifie de quelqu’un d’intègre, intransigeant sur la discipline et l’indépendance de son journal. S’il a connu de belles années à l’express, c’est surtout grâce à la camaraderie et à l’esprit d’équipe qui y règnent. Et cela s’est renforcé lors des bagarres raciales, se souvient-il.
«C’est un épisode de triste mémoire. Au niveau de la typographie, il y avait deux shifts : ceux qui travaillaient de 9h à 14h et un autre groupe qui rentrait à 14h pour terminer aux alentours de 2h du matin». Pedro raconte que durant cette période de bagarres, il faut attendre l’aube pour pouvoir rentrer chez soi. Pour entrer à Port-Louis, il faut alors présenter un laissez-passer, qu’il faut montrer à chaque point de contrôle de la police dont nombre d’officiers sont encore des Britanniques.
Le plus gros problème des employés qui travaillent la nuit, à cette époque-là, est la nourriture. «On se rendait chez Chan, situé à la rue Mère Barthélemy, à quelques pas du bureau de l’express, pour s’approvisionner surtout en boîtes de conserve.» Et c’est dans un petit coin de l’atelier que Pedro préparait les repas. «Apré kan fini kwi, enn par enn bannla vinn pran zot manzé. Même le Dr Forget venait manger avec nous.»
Pedro raconte que c’était difficile d’obtenir des nouvelles durant cette période. «Il y avait des bulletins de Reuters et aussi on devrait se fier aux informations de la police. Comme toujours, la police ne voulait pas être trop alarmiste et essayait de donner des informations plutôt rassurantes.»
Bouck Pillay-Vythilingum : «Ti pé ramas dimounn par ta»
Bouck Pillay-Vythilingum, qui s’est joint à l’express depuis le début, soit en avril 1963, est à un certain moment distributeur du journal. Lors des bagarres, pendant la période du couvre-feu, il se rend chaque matin soit à bicyclette soit à pied aux gares Victoria et Immigration, à Port-Louis, pour remettre des journaux aux conducteurs d’autobus qui vont ensuite les déposer chez des revendeurs dans les villages.
Pour ce service, il faut donner gratuitement deux journaux par autobus, un pour le conducteur et l’autre pour le receveur. Il remet une copie au chef-de-gare aussi. Bouck Pillay-Vythilingum a aussi la responsabilité de livrer des journaux chez des abonnés, jusqu’à la Plaine-Verte.
«Kouma mo ouver mo laport kot mwa, à la rue St-Georges, Anglé vinn avek bayonet. Bizin montré mo pas.» Finalement, au fil des jours, ces soldats parviennent à le reconnaître et ils deviennent amis. Dans la capitale, se souvient-il, plusieurs rues ont des barrières en barbelé. Personne n’a le droit de traverser sans le laissez-passer.
«Beaucoup de personnes, ignorant qu’il y avait un couvre-feu, se mettaient devant leur porte, au bord des routes, car à cette périodelà il faisait chaud à l’intérieur. Anglé pasé, ramas zot. Éna ti avek lamores ek bann madam avek rob désam. Amenn zot Kazern ek prézant zot Lakour ek zot pey lamann Rs 50».
Bouck Pillay-Vythilingum se souvient des difficultés que les employés ont, surtout ceux qui habitent la région de Roche-Bois, pour venir travailler à la rue Brown-Séquard. Il se rappelle qu’un des employés a eu les mains et les pieds liés à un poteau avant d’être sauvagement agressé.
Désiré Appou : «Notre champ d’action était restreint»
Il est journaliste au défunt Cernéen, en 1968. Désiré Appou raconte : «Le métier de journaliste était déjà difficile durant les années 60-70 et pendant les bagarres raciales, il l’était encore plus. Il y avait beaucoup de spéculations et ce n’était pas facile de vérifier les informations.»
Désiré Appou et ses amis doivent passer la nuit au bureau pendant la période de couvre-feu. «Nous avions notre brosse-à-dents et le dentifrice en notre possession. » Pour manger, des employés vont à Mumtaza, sis à la gare Victoria, pour acheter des pains et des gâteaux piments. Et ils y avalent un verre de thé «tiède ou chaud».
Toujours actif dans la presse, Désiré Appou, âgé aujourd’huide 76 ans, affirme que le métier a beaucoup évolué. «Il n’y avait pas toutes ces facilités d’aujourd’hui. Il fallait marcher pour aller couvrir une conférence de presse, parfois jusqu’à la route Nicolay, au BAT. Et il n’y avait pas de hand-outs.»
Il dit que sans posséder de grands diplômes ou de certificats universitaires, les journalistes des années 60-70 ont cette culture de la lecture et aussi une bonne connaissance générale.
Jean-Luc Balancy : «Je véhiculais des collègues»
Jean-Luc Balancy est opérateur de monotype en 1968. Il a plus de chance que ses collègues car il possède une voiture. Malgré cela, il reste bloqué au bureau en raison des difficultés pour faire sortir le journal. «C’était une période sombre à la rue Brown-Séquard, car des employés arrivaient avec beaucoup de difficultés au bureau. Ils peinaient également pour rentrer. C’est ainsi que souvent j’ai déposé des collègues chez eux.»
Il raconte que ceux qui vont à Port-Louis sont exposés à de gros risques. Jean-Luc Balancy se souvient de plusieurs agressions du côté du jardin de la Compagnie. «On dépouillait des passants et cela n’avait rien à voir avec les bagarres. Certains profitaient de la situation durant laquelle la police était prise ailleurs pour s’adonner à cette sale besogne.»
Cinq quotidiens
En 1968, il y avait cinq quotidiens : l’express, le Mauricien, le Cernéen, Advance et le Citoyen. Le dimanche, il y avait Week-End et Le Dimanche. Les journaux se vendaient entre 10 et 25 sous. Ils étaient composés de quatre pages.
René Noyau parle des troubles de 1968
Dans le volume II d’une série de textes concernant des articles de presse de René Noyau, publiée par la cellule Culture et avenir du bureau du Premier ministre en 2012, l’écrivain disait ceci : «On aura noté que la propagande de ‘décommunalisation’ du football a pris naissance au début des troubles de 1968, où fut proclamé l’état d’urgence en conséquence duquel des matches de football au stade George V durent se dérouler à huis clos. On aura remarqué que la polémique autour de la ‘décommunalisation’ a commencé, elle, au lendemain d’un match de football au même stade à l’issue duquel des désordres avaient eu lieu.
On aura constaté que c’est une discipline du sport, nommée football, qui est mise en cause, à cause de deux phénomènes différents : troubles nationaux, étrangers au dit stade, sans préjudice ni au sport en général ni au football en particulier, et désordres au stade même, sans répercussion sur le plan national – troubles et désordres survenus en des circonstances différentes et une année d’intervalle.»
René Noyau, issu de la petite bourgeoisie, est né en 1912 à Port-Louis. Cet écrivain et collaborateur de presse n’hésitait jamais à dire le fond de sa pensée. Ainsi, il s’attaquait à ceux qui voulaient diviser la population mauricienne. Il mourut en 1984.
Photo du jour
La Croix-Rouge accueille les réfugiés
Plus de 2 000 citadins ont quitté leurs demeures afin de se mettre sous la protection policière aux Casernes centrales, entre autres, depuis le début des bagarres raciales qui ont ensanglanté un faubourg de la capitale. Un millier d’autres se trouvent à l’école de la rue Magon et dans d’autres centres. Ceux des Casernes ont été pris en charge par la Croix-Rouge, dont le rôle principal est la distribution de vivres et de vêtements. Mlle Amina Patel (photo), une des dirigeantes de la Croix-Rouge, s’occupe personnellement des bébés réfugiés.
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