Publicité
#50ansMoris: ces grands commis de l’État
Par
Partager cet article
#50ansMoris: ces grands commis de l’État
«Bliyé dégré tousa. Résévwar manb piblik ki vinn get ou avek so lanngouti ou sa madam ki vinn dan minister san savat, mé ki avan ti pé per pou met lipié dan lotel gouvernman.» Propos combien inspirateurs de feu sir Dayendranath Burrenchobay, premier Mauricien à assumer les fonctions de Permanent Secretary et de secrétaire au Conseil des ministres.
Sir Harry Tirvengadum, qui n’a pas toujours été le patron d’Air Mauritius, se rappelle avec émotion ces paroles entendues alors qu’il exerçait encore au ministère des Communications. En ce temps-là, sir Harry fait partie de cette formidable équipe de fonctionnaires à qui incombe la lourde mais combien exaltante tâche d’assurer les premiers balbutiements de l’État mauricien naissant.
Les chantiers sont immenses dans ces années de décolonisation. L’agriculture, seule activité économique, ne peut subvenir aux besoins d’un pays surpeuplé. D’autant que Dame Nature semble s’acharner sur l’île Maurice en lui envoyant successivement cyclones et sécheresses.
Sur le plan social, la situation est catastrophique. Le chômage livre au désœuvrement des milliers de pères de famille et les tensions entre les communautés sont vives. «Toute la force était mobilisée. Il fallait apaiser toute tension avant l’Indépendance. La police était peu nombreuse mais crainte», raconte Albert Jupin de Fondaumière, assistant commissaire de police à l’époque.
Et les sombres prédictions des experts étrangers semblent vouloir s’avérer. L’un d’eux avait conclu, dans un rapport, que Maurice ne pourrait échapper aux conflits interethniques en raison de l’insuffisance des ressources pour satisfaire sa population.
Au départ annoncé des Anglais, les administrateurs locaux qui prennent la relève doivent relever les défis du développement d’un pays. Il ne s’agit plus d’administrer une colonie. Ce vaste programme, au lieu de décourager les administrateurs mauriciens, les stimule au contraire. Il faut dire que Maurice a la chance d’être bien servie en fonctionnaires de qualité à ce moment crucial de son histoire.
Aux postes de commande se trouvent des hommes de calibre exceptionnel. Parmi les plus connus, Freddy Parfait, Madhukar Baguant, France Empeigne, Philippe Chan Kin, Benoît Arouff, Dayachand Heeralall, Ram Pyndiah, Hervé Duval, Raymond Chasle, Chitmansing Jesseramsing, Régis Fanchette, Bramduth Ghoorah, Vishwanaden Sooben…
D’autres encore jeunes apporteront l’énergie et l’enthousiasme de leur âge avant de devenir eux-mêmes des piliers de la fonction publique. Quelques noms : Bhinod Bacha, Jacques et Clency Rosalie, Armand Maudave, Iswarduth Purang, Dawood Zmanay, Rundheersing Bheenick… Les deux générations de ceux qui allaient devenir des grands commis de l’État partagent la même ambition pour le pays. C’est ainsi qu’ils accomplissent des miracles.
Daya Heeralall explique qu’à l’époque, «les éléments de l’élite intellectuelle mauricienne n’ont qu’un seul plan de carrière possible : la fonction publique». Le secteur privé encore embryonnaire n’offre aucune perspective aux jeunes universitaires. Cette situation fait l’affaire des Anglais qui ont besoin de cadres compétents pour assurer l’administration de la colonie. Il faut dire que le pouvoir colonial commence déjà à préparer le pays à l’Indépendance dès le début des années 60.
Les meilleurs cadres bénéficient de stages de formation en gestion dans les institutions britanniques. Harry Tirvengadum se plaît à remémorer cette solide formation qu’il a reçue en compagnie de Robert Honoré et de Chitmansing Jesseramsing sur les bancs de la prestigieuse université d’Oxford. Ils y ont appris les clés de l’administration et les méandres de l’économie de développement.
À Maurice, la démographie galopante inquiète. Il faut trouver un moyen pour la juguler. La contraception est suggérée, mais elle ne fait pas l’unanimité. L’Église catholique n’adhère pas aux méthodes préconisées. C’est alors que l’interface entre fonctionnaires et membres de la société civile vient à la rescousse du secteur public.
La Mauritius Family Planning Association, fondée par des volontaires, dont Leckraz Teelock et Balmick Naïk, vient soutenir l’État dans le travail de sensibilisation sur le terrain. Aujourd’hui, plus de cinq décennies après, on peut mesurer l’apport de cette initiative au développement du pays.
Cependant, le nouvel État indépendant fait face à un problème : la planification est encore un domaine inconnu. Les hauts fonctionnaires ne sont pas eux-mêmes habitués à cette discipline. Pourtant, un plan de développement est un outil essentiel.
C’est alors que la coopération indienne envoie à Maurice le Dr Om Prakesh Nijhawan. Ce dernier vient jeter les bases du premier bureau du Plan. Freddy Parfait, France Empeigne et Madhukar Baguant sont ses premiers lieutenants. Plus tard, Rundheersing Bheenick les rejoint. Le premier plan quadriennal formule la philosophie du développement préconisée par le gouvernement et pose les jalons de l’avenir du pays.
En dépit de tous les efforts déployés, le chômage demeure un problème épineux. Les séances régulières de brainstorming sont organisées afin de permettre l’émergence des idées nouvelles.
Benoît Arouff, secrétaire au Développement industriel, constate que les incitations accordées aux investisseurs ne donnent pas les résultats escomptés. Les investisseurs ne se bousculent pas au portillon car le marché mauricien, trop exigu, n’offre pas beaucoup de perspectives.
Quelques hommes d’affaires mauriciens osent prendre le risque de lancer des entreprises non agricoles. Benoît Arouff se souvient de Kanta Ramphul qui lance la production de lames de rasoir Elite, des frères Dookun qui produisent de la pâte de dentifrice et de Michel de Spéville qui met sur pied l’élevage de poulet en batterie.
Le salut est dans l’exportation. Benoît Arouff en parle à Alan Bates, un Britannique qui officie comme secrétaire financier. Et pour toute réponse, il s’entend dire : «Mais Benoît, qui achètera les produits mauriciens ?» Une sorte de fin de non-recevoir à la suggestion des fonctionnaires mauriciens.
Ces derniers, tenaces, n’en démordent pas. Ils continuent leur réflexion. Ainsi, lors des discussions avec Edouard Lim Fat, professeur à l’université de Maurice, et José Poncini, industriel, l’idée de mettre sur pied une zone franche manufacturière est émise.
En 1969, une délégation entreprend un périple de deux mois, visitant plus d’une dizaine de pays pour collecter des informations. Et quelques mois après son retour à Maurice, elle lance la zone franche. Suzy Toys et Resultants Ltd, fabriquant respectivement de jouets et de gants, sont parmi les premières unités à s’installer à Maurice. Benoît Arouff se souvient comment avec Ram Pyndiah, secrétaire financier mauricien, et Yves Appassamy du service des douanes, ils constituaient un trio qui pouvait traiter rapidement les dossiers afin de ne pas décourager les investisseurs.
Ce déploiement pour résoudre les problèmes d’ordre socio-économique doit s’accompagner d’une visibilité sur le plan diplomatique. Mais les Mauriciens n’ont évidemment pas d’expérience dans ce domaine. Parmi les premiers fonctionnaires désignés pour ces missions dans l’inconnu sont Raymond Chasle qui s’en va à Londres et Chitmansing Jesseramsing qui, lui, est envoyé à Washington.
Avec d’autres comme Armand Maudave, Joseph Tsang Mang Kin, ils vont au prix d’innombrables efforts parvenir à mettre Maurice sur la carte du monde. Mieux : ces premiers diplomates parviennent à relayer les efforts des politiques pour permettre au pays de bénéficier des accords bilatéraux et des conventions multilatérales.
La nation doit une fière chandelle à ces fonctionnaires et à tant d’autres qui n’ont pas été mentionnés et qui sont aussi méritants. Ils ont permis à l’île moderne de sortir des limbes. L’indépendance réussie, c’est l’œuvre de ces grands hommes qui se sont faits commis de l’État.
C’est sir Dayendranath Burrenchobay qui déclarait à l’express en 1992 : «Nos effectifs étaient squelettiques et nous avions à tout faire et bien. Nous n’étions pas réellement préparés. Dans un sens nous avons inventé, à partir de 1968, la fonction publique mauricienne avec ses qualités et ses défauts.»
Symbole de la discipline anglaise: Simpson la terreur
Le prédécesseur de sir Dayendranath Burrenchobay comme chef de la fonction publique, le Britannique Freebairn Liddon Simpson (photo), est un personnage qui a marqué pratiquement tous les hauts fonctionnaires de l’époque. Dans les couloirs de l’hôtel du gouvernement, on parlait de ses méthodes, jugées trop dures, pour assurer la bonne marche des différents ministères. On le qualifiait même de «tyran». Pour lui, le sens de la discipline des fonctionnaires était un élément incontournable. Chaque «file» devait être annoté et rangé convenablement, sinon malheur ! On raconte qu’il prenait une demi-heure pour passer à la loupe des documents officiels, à la recherche d’une virgule de trop. Et quand il la détectait, le rédacteur du document était appelé pour être sermonné. Simpson avait aussi horreur qu’on laisse traîner un dossier. En revanche, «sa capacité de travail et sa méthodologie» forçaient l’admiration. «Si les fonctionnaires de l’époque étaient respectés, c’est grâce à lui», reconnaît l’un d’eux. Comme quoi, la méthode dure avait du bon…
Concertations
<p><br />
En une du journal du 12 février 1968, les concertations sont menées pour finaliser les documents nécessaires à l’accession à l’Indépendance. Deux hauts fonctionnaires britanniques sont en visite à Maurice pour mener à bien cette mission baptisée la «mission Rushford». L’article de une de «l’express» d’il y a tout juste 50 ans parle d’une éventuelle visite d’officiers mauriciens en Grande- Bretagne. Les questions abordées auraient surtout été celles du traité de défense et de la sécession de l’île Rodrigues.</p>
Publicité
Les plus récents