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Corruption: «Flou total au sein du secteur privé en matière de recrutement ou des avantages»
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Corruption: «Flou total au sein du secteur privé en matière de recrutement ou des avantages»
Rajen Bablee, directeur exécutif de Transparency Mauritius, appelle le gouvernement à se ressaisir à la lumière des résultats d’un sondage sur la perception de la corruption, mené par StraConsult. Une enquête d’opinion défavorable sur la police, le judiciaire et même le bureau du Premier ministre.
69 % des sondés sont d’avis que la corruption a augmenté par rapport à l’année dernière. C’est aussi votre sentiment ?
Il faut savoir que lorsqu’on parle de corruption, on se réfère surtout à la perception. Il est difficile, voire impossible, d’obtenir des données factuelles.
Le rapport 2018 projette une image plus sombre sur l’état de cette perception. Ce que nous retenons, c’est que le gouvernement a, quelque part, été élu sur la base de son programme qui faisait la part belle à la lutte contre la corruption, les abus, les passe-droits, mais aussi pour le méritocratie, la bonne gouvernance et la transparence. Le gouvernement a aussi promis des lois pour réguler le financement des partis politiques, pour l’accès à l’information et la divulgation publique des avoirs des parlementaires.
Il faut se dire qu’on vit maintenant dans l’ère de l’instantané et que personne ne veut attendre. Or, le gouvernement est au pouvoir depuis plus de trois ans. Et, même si on ne voudrait pas être de mauvaise foi, les changements promis se font toujours attendre. Cette attente de la population à laquelle s’ajoute une situation perpétuelle de surenchère politique sert de terreau où foisonnent le doute et le sentiment d’avoir été trahi.
Ils sont nombreux à penser que les fonctionnaires, les parlementaires et même le bureau du Premier ministre sont impliqués dans des actes de corruption. Pourquoi, selon vous ?
Avec les promesses non tenues jusqu’à présent et, surtout, le manque de communication de la part du gouvernement, cette situation était, je dirai, prévisible. Une loi garantissant l’accès à l’information aurait pu retourner cette situation. L’étude d’Afrobarometer a d’ailleurs révélé qu’une majorité de Mauriciens souhaite plus de transparence, même si les mesures annoncées prendraient plus de temps à aboutir. Le silence ou le manque de consultation avec le peuple crée une perception d’arrogance ou d’incompétence.
Pourtant, il n’y a pas eu de cas de corruption récemment qui incrimine directement le PMO…
Il y a le recours en appel au Conseil privé de la Reine qui est toujours en suspens en ce qui concerne le Premier ministre (Ndlr, dans l’affaire MedPoint). Et aussi un conseiller qui répond d’une accusation pénale dans le cadre de l’affaire Boskalis.
«Tant que certaines institutions seront dirigées par des nominés politiques, sans un appel à candidatures, les citoyens auront toujours l’impression qu’elles sont à la solde des paillassons du pouvoir.»
Le bureau de la Présidence n’est pas épargné non plus. L’affaire Sobrinho a-t-elle un effet sur cette enquête d’opinion ?
Je ne peux affirmer à quel point cette affaire a eu un impact sur les personnes sondées. Sans vouloir trop m’étendre dessus, cette affaire soulève une interrogation pertinente concernant les procédures dans tous les pays qui se projettent comme des centres financiers.
À quel moment peut-on décider de ne pas entrer en affaires avec une personne ? Du moment qu’il y a des allégations ou qu’il y a eu condamnation ? Il ne faudrait pas oublier, non plus, la sacro-sainte présomption d’innocence. Cela dit, il est important d’avoir des personnes compétentes et indépendantes à la tête des institutions.
Les Mauriciens ont plus que jamais une mauvaise opinion de la police. Maintenant, le judiciaire (magistrature) aussi est concerné. Est-ce inquiétant ?
C’est définitivement inquiétant. Il faudrait que chaque institution fasse son introspection pour déterminer comment elles en sont arrivées à cette situation.
Cela dit, il ne faudrait pas que cela nous pousse à ne plus reconnaître des institutions mais au contraire, les aider à mieux répondre de leurs rôles respectifs dans le processus démocratique et dans un État de droit.
Les dirigeants religieux et les ONG sont aussi jugés comme étant douteux. Personne n’est intègre dans ce pays finalement ?
Il y a une vaste éducation à faire dans notre île. Il faudrait se débarrasser de cette culture de corruption, celle qui fait que nous n’hésitons pas à contourner les lois ou règlements à notre avantage et à rationaliser quant à notre intention.
On oublie trop souvent que pour diriger une entité légale, qu’elles soient une Organisation non gouvernementale ou une association socioculturelle (NdlR, lobby sectaire), il faut connaître ses responsabilités et ses pouvoirs fiduciaires et agir pour le bien de cette entité et tous ses membres. Il y a toujours ceux pour qui méritocratie veut dire celui qui «mérite» une récompense, après avoir aidé un politicien à se faire élire.
Est-ce vrai que les riches s’en sortent mieux dans des cas de corruption à Maurice grâce à leurs connexions, comme semblent le penser les Mauriciens dans ce sondage ?
Il ne faudrait pas faire des amalgames faciles. Notre système judiciaire est correct et nous sommes dans un État de droit où la présomption d’innocence existe. Des abus ont certes été rapportés. Ce que nous remarquons surtout, c’est que les riches ont les moyens pour retenir les services des ténors du barreau qui, pour défendre leurs clients, n’hésitent pas à utiliser la moindre faille pour ralentir ou stopper les procédures.
Ce sondage nous apprend aussi que les citoyens ont toujours peur de dénoncer des cas.
En l’absence d’une loi-cadre pour encadrer et protéger les lanceurs d’alerte et comme nous vivons sur une petite île où quasiment tout le monde se connaît, cette peur existe. Et tant que certaines institutions seront dirigées par des nominés politiques, sans un appel à candidatures, le doute subsistera. Les citoyens auront toujours l’impression que les institutions sont à la solde des paillassons du pouvoir.
«Il faudrait se débarrasser de cette culture de corruption, celle qui fait que nous n’hésitons pas à contourner les lois ou règlements à notre avantage et à rationaliser quant à notre intention.»
Pourquoi la perception de la corruption s’est-elle dégradée à ce point ? Est-ce la faute du gouvernement ?
Je dirais qu’il y a surtout un effet cascade ou avalanche. Il y a, d’un côté, le gouvernement qui tarde à concrétiser ses promesses électorales et qui fait que le peuple se sent trahi ou utilisé. Et de l’autre, le fait que les institutions régulatrices ou celles chargées de faire respecter les lois, sont souvent dirigés par des nominés politiques.
Si, par exemple, le gouvernement lâche les pouvoirs discrétionnaires qu’il donne à ses ministres au profit de la méritocratie en termes de qualifications professionnelles et académiques, les choses pourraient changer. Il n’est pas trop tard. Mais il faut se ressaisir. Le jeune veut qu’il soit jugé selon ses compétences, et non selon ses affinités politiques.
Du côté de Transparency Mauritius, il y a des contacts avec des institutions ainsi qu’avec des représentants du gouvernement. Nous sommes disposés à apporter notre aide pour que Maurice adopte les meilleurs outils disponibles à travers le monde en ce qui concerne la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.
À en croire cette enquête, la corruption n’existe pas dans le secteur privé. Est-ce vrai ?
La corruption est définitivement présente au sein du secteur privé aussi. La République de Maurice reconnaît les principes de la Convention des Nations unies contre la corruption, dont l’article 12 s’applique à la criminalisation de la corruption au sein du secteur privé. Le Code national de la bonne gouvernance impose une conduite exemplaire et la mise en place de structures adéquates au sein du secteur privé pour prévenir les risques de corruption. Mais là aussi, il n’y a pas de précipitation. Et il y a des plafonds de verre que certains ne franchiront jamais et souvent, en matière de recrutement ou des avantages, c’est le flou total.
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