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#50ansMoris: quand la télé rassemblait les Mauriciens

28 février 2018, 22:30

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 #50ansMoris: quand la télé rassemblait les Mauriciens

Il fallait avoir les moyens pour posséder un téléviseur, il y a une cinquantaine d’années. Lorsqu’il a été lancé en 1965, seule une poignée de Mauriciens qui avaient les moyens pouvaient se permettre d’en avoir un. Les autres devaient se tourner vers les centres sociaux ou Village Halls de leur localité. Ou bien ils se contentaient d’écouter la radio ou le transistor, alors présents dans presque tous les foyers.

Des habitants d’Arsenal se rappellent encore du téléviseur placé dans une structure en béton, dans la cour du Village Hall. À l’instar des membres des familles Lalloo, Gungooa, Mittoo, Mudun et Harnausing, que nous avons rencontrés lundi. Tous ont aujourd’hui plus de 50 ans. Parmi eux, Hoogree Lalloo, âgée de 94 ans. Même si elle parle peu, elle acquiesce à chaque fois qu’on lui parle de la télévision d’antan.

«Il était difficile d’acheter un téléviseur, même à crédit, car on exigeait de solides garanties du client.»

Le pandit Takeshwar Gungooa, la soixantaine, raconte que ce n’est qu’en 1973, soit huit ans après l’Indépendance, que le Village Hall a été doté d’un téléviseur de 18 pouces, de la marque Sharp. Car, à l’époque, la télé coûtait cher. Le prix pouvait atteindre jusqu’à Rs 20 000, se souvient Vinod Mittoo. 

«Il était difficile d’acheter un téléviseur, même à crédit, car on exigeait de solides garanties du client. C’est notamment grâce au magasin Mammouth, qui a ouvert ses portes en 1985, que de nombreux Mauriciens ont pu en faire acquisition», explique-t-il. Outre le Village Hall, quelques privilégiés d’Arsenal pouvaient regarder la télé chez la famille Kistoo, la première à en posséder un téléviseur.

Longs-métrages

Ravi Mudun se souvient, lui, que tout le village se donnait rendez-vous dans la cour du Village Hall. Ce rassemblement avait lieu chaque jeudi, le jour où la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) projetait des longs-métrages en hindi. «C’était joué en trois parties», se rappelle Mahadevi Mudun. En effet, pour voir un film en entier, il fallait être présent à la projection durant trois jeudis consécutifs. Elle se souvient même du premier titre du long-métrage qu’elle a vu: Dil Apna Pree Parayee, réunissant Raaj Kumar, Meena Kumari et Nadira.

Vinod Mittoo se souvient, pour sa part, qu’un marchand de pistaches était même présent dans la cour du Village Hall. «C’était la grande fête, mais sans alcool. Nous étions comme une famille. Il y avait beaucoup de respect. À la fin de la séance, vers 21 heures, tout le monde rentrait à pied, parcourant parfois jusqu’à un kilomètre ! Et cela, en toute sécurité. Le lendemain, les écoliers parlaient du film de la veille.»

Selon lui, il n’y avait pas seulement des hindous qui regardaient les films en hindoustani. «Même si la majorité des jeunes ne comprenaient pas l’hindi, tous appréciaient les scènes et les chansons.» Quelques années plus tard, d’autres longs-métrages seront projetés les samedis. Surtout des films d’action de Dara Singh.

Présentateurs et présentatrices

Pour Radha Harnausing, ce sont des présentateurs et présentatrices de la télé qui avaient captivé son attention. Elle se souvient des «vedettes» comme Marie-Josée Baudot, Guy Dupuch, Harry Saminaden, Parmanand Ramlakhan, Deepak et Chandrani Nobeen.

Quid des programmes télévisés ? Raj Lalloo raconte qu’ils étaient diffusés de 16 h 30 à 23 heures, au plus tard. Des séries telles que Startrek, Charlie Chaplin, High Chaparral ou encore les feuilletons de Bonanza étaient un must pour beaucoup de jeunes de l’époque. «Et après, on jouait et reproduisait des scènes de Bonanza avec de faux revolvers en bois ou des fizi délo avec les amis.»

«Une cinquantaine de personnes à la MBC en 1970»

Sanjay Seebaluck, qui était chef des cameramen, a rejoint la MBC en 1970. Il n’y avait alors qu’une cinquantaine d’employés, dont quatre à cinq journalistes et quatre cameramen. Le retraité a été témoin de l’évolution de la télévision et aussi des facilités que le personnel a eues pour mener à bien leur mission.

Le retraité se souvient de Gérard Nadal et de Marcel Cabon. «Nous nous rendions souvent aux fonctions du Premier ministre et des autres ministres.» Selon lui, la tâche la plus ardue pour les cameramen était le montage. «Nous prenions plus d’une heure pour monter des images non parlées. C’était en noir et blanc.»

Un des souvenirs qu’il garde est l’incendie à Harel Mallac. C’était en 1975. Sanjay Seebaluck rentrait à la maison, à Port-Louis, lorsqu’il a été informé de cet incendie. Il a alors filmé l’événement et se rappelle que tous les Mauriciens en parlaient.

La radio

Une majorité de Mauriciens possédaient au moins un transistor durant les années 60-70. Toutefois, comme pour la télé, le rendez-vous était donné dans un petit coin où se trouvait le premier Village Hall d’Arsenal pour écouter la radio. Surtout après 14 h 30, lorsque des programmes orientaux étaient diffusés. D’autres ne rataient jamais celui des disques à la demande. 

D’ailleurs, c’est sur une carte postale envoyée à la MBC que les dédicaces étaient faites et que les auditeurs formulaient leurs demandes pour écouter leur chanson préférée. «C’était une grande joie quand on entendait notre nom à la radio», se souvient Vinod Mittoo.

La finale Allemagne–Pays-Bas en 1974 : premier direct de la MBC

C’est le 7 juillet 1974 que la MBC a réussi un grand coup en retransmettant la finale de la Coupe du Monde opposant l’Allemagne de l’Ouest aux Pays-Bas. Un grand événement pour les Mauriciens. Une finale disputée à Munich que la bande à Franz Beckenbauer a remportée par 2 buts à 1.

L’année suivante, la MBC a retransmis la finale de la Coupe des Champions. C’est le Bayern Munich qui a remporté la victoire face à Saint-Étienne. Une autre retransmission en direct qui a marqué les esprits : le mariage du Prince Charles avec Diana Spencer, célébré le 29 juillet 1981. Des souvenirs inoubliables pour de nombreux Mauriciens.

Le pick-up

Le pick-up permettait d’écouter les disques de 33 et de 45 tours.

Un autre appareil incontournable, il y a 50 ans, est le pick-up. Ceux qui s’en souviennent avancent que peu de Mauriciens en possédaient. Le pick-up permettait d’écouter les disques de 33 et de 45 tours et était souvent utilisé dans des bals et même des mariages, avec des haut-parleurs. Plus tard, le pick-up a cédé la place à la radiocassette. Raj Lalloo dit posséder encore le pick-up de ses grands-parents. Un vieux souvenir certes, mais tellement agréable.

Bijaye Madhou: «Il y a d’excellents techniciens et ingénieurs à la MBC»

Bijaye Madhou, ancien directeur de la Mauritius Broadcasting Corporation.

Vous êtes considéré comme un «zanfan lakaz» de la MBC. Pourquoi ?
J’ai fait mes débuts à la MBC en 1975 comme chef de la Current Affairs and Documentaries. Après un séjour au ministère des Finances et à la Mauritius Film Development Corporation, je suis retourné à la MBC en 1995, comme directeur. Et j’ai fait un autre come-back en 2006. Donc, je connais la MBC très bien.

Justement, parlez-nous de l’évolution de la station de radiotélévision nationale.
Avant 1995, la MBC était limitée à l’analogue. Avec l’avènement de la télévision en couleur, nous avions choisi le système français SECAM. Pour la simple et bonne raison que la France nous avait fait don de beaucoup d’équipements. 
Pour des directs de l’étranger ou la retransmission des matches de football, nous utilisions le Cable andWireless, qui est devenu l’Overseas Telecom. La véritable transformation est intervenue à partir des années 1990, lorsque la MBC a introduit deux nouvelles chaînes. Il y a ensuite eu la modernisation, avec l’introduction du digital.

Qu’en est-il de la formation du personnel ?
Nous avons la chance d’avoir pu compter sur le soutien de l’Inde et de la chaîne Doordarshan. Grâce à une collaboration, nous avons pu obtenir des formations pour nos ingénieurs et techniciens. 

Les Mauriciens ont fait preuve de savoir-faire et ont appris très vite. On a réalisé des merveilles à la MBC. Laissez-moi vous dire une chose : les radios privées ont pu être mises sur pied grâce à des personnes formées par la MBC.

Le cinéma mobile

Anant Bheemuck, nostalgique du cinéma mobile.

Avant la télévision, et même quelques années après 1965, voire au début des années 70, un autre phénomène rassemblait les Mauriciens : le cinéma mobile, qui était un projet du ministère de l’Information. Il diffusait notamment des documentaires. Anant Bheemuck, qui habitait alors à Riche-Terre, se souvient du grand van (comme le bibliobus) qui se rendait dans tout le pays. C’est seulement quelques heures avant la projection des programmes que les habitants étaient mis au courant, affirme-t-il. 

À Arsenal, nous dit Raj Lalloo, seuls des conseillers étaient informés de la venue du cinéma mobile. Un attendant attaché au «Village Hall» circulait alors à bicyclette à travers le village pour annoncer que le cinéma mobile arrive à la tombée de la nuit. Anant Bheemuck raconte que la plupart des documentaires étaient en anglais et parlaient de l’Afrique. Quelquefois, il y avait des clips de football, notamment du légendaire Pelé. 

«Cela durait une ou deux minutes, le temps pour nous de voir ses fabuleux buts.» Par ailleurs, le haut-commissariat de l’Inde et l’ambassade de France projetaient des documentaires à travers leurs cinémas mobiles. Les projections avaient lieu à Riche-Terre, à l’emplacement du supermarché Jumbo actuel, et duraient une heure. 

«C’était un grand moment pour nous. Cela nous permettait de faire une sortie nocturne. Le président du village, tout fier de cet événement, remerciait les initiateurs. Il faisait appel au bon comportement de tout un chacun ; au cas contraire, il n’y en aurait plus. Mais, en général, tout se passait sans problème.»