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Affaire Platinum Card: l’ICAC, un ogre aux pieds d’argile
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Affaire Platinum Card: l’ICAC, un ogre aux pieds d’argile
C’est donc l’Independent Commission against Corruption (ICAC) qui va enquêter sur les ramifications d’Álvaro Sobrinho à Maurice. Annonce faite par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, vendredi 23 mars. Mais la commission anticorruption ne fait pas peur. Au-delà du fait qu’elle est dirigée par un nominé du Premier ministre, l’ICAC est un ogre aux pieds d’argile. Depuis sa création en 2002, elle a coûté Rs 2 milliards pour de «faibles» résultats. Voici cinq faits qui le démontrent.
1. Une enquête sur Sobrinho… un an après les dénonciations
Pravind Jugnauth dit avoir reçu une lettre anonyme, cette semaine, faisant état de dénonciations ciblant certaines personnalités et hauts fonctionnaires ayant été arrosés par Álvaro Sobrinho. Le Premier ministre (PM) a remis cette lettre à l’ICAC et celle-ci va commencer son enquête. Or, cela ne fait pas sérieux – ça sonne même faux, voire comique – quand on sait que le premier article de l’express sur Sobrinho remonte à mars 2017. Depuis, il y a eu une série de dénonciations. Et bien que l’ICAC ait le pouvoir d’instituer d’elle-même une enquête (pas la peine de recevoir une lettre anonyme), il n’y a eu aucune avancée connue.
Pravind Jugnauth ne semblait pas le savoir hier, vendredi 23 mars, mais l’ICAC avait déjà effleuré le sujet Sobrinho. Le 6 mars 2017, Navin Beekarry, le directeur général, déclarait dans les colonnes de l’express que «l’ICAC déterminera s’il faut enquêter dans l’affaire Sobrinho». Un an après, une lettre anonyme du PM va soi-disant «initier» une enquête.
2. High profile, low results
Voici une liste des affaires «high profile» qui traînent toujours devant l’ICAC :
(i) Une note manuscrite signée Reddy, l’ancien Chairman de la State Bank of Mauritius. Il écrit, sur un dossier d’évaluation d’une offre, que le ministre Lutchmeenaraidoo lui a envoyé son fils pour décrocher un contrat informatique. Révélée en juin 2017, l’affaire n’a eu aucune suite.
(ii) Les faveurs de Soodhun à l’Arabie saoudite et vice versa. En janvier 2016, Showkutally Soodhun ment en affirmant que Maurice soutient les attaques saoudiennes contre l’Iran. Il émet plus tard un autre communiqué mensonger qui prétend que Maurice rompt les relations diplomatiques avec le Qatar. Ce même Soodhun bénéficiera d’un jet privé du prince d’Arabie et de vivres pour sa circonscription.
(iii) Le #Biscuitgate. Le maire de Quatre-Bornes, dont la proximité politique avec Maya Hanoomanjee est connue, a avoué avoir «goûté» aux biscuits Esko by Hanoomanjee et qu’il les a recommandés au Procurement de la mairie.
(iv)Le #Poissongate. Basoodeo Seetaram, homme qui fut pendant un certain temps sur toutes les photos du Premier ministre, est l’unique fournisseur de poissons aux prisons. Il a aussi obtenu le contrat de transport à la Mauritius Duty Free Paradise qui, sous ce présent mandat, a employé son épouse.
(v) Le lobbying de Choomka. L’ex-directrice de l’Independent Broadcasting
Authority avait sollicité et obtenu des milliers de dollars pour «faire jouer ses contacts» et faire avancer des dossiers de certains investisseurs.
En septembre 2017, l’express avait écrit à l’ICAC pour essayer de comprendre où en sont ces enquêtes. La réponse de la commission : «Nous travaillons sur une formule qui nous permettrait de communiquer sur les enquêtes dites high-profile.» Or, un an plus tôt, soit le 1er décembre 2016, Navin Beekarry avait affirmé avoir commencé à travailler «sur une formule pour communiquer sur les enquêtes et rendre l’ICAC plus efficace». Il n’y est visiblement pas parvenu jusqu’à ce jour.
Entre-temps, la liste des enquêtes sans suite s’allonge. Avec notamment le Yerrigadoogate, révélé par l’express et dont les preuves ont été remises à la commission anticorruption.
3. Les casseroles de Beekarry
L’actuel directeur général de l’ICAC avait reçu en 2005 un véritable savon de la Cour suprême. L’épilogue d’un procès intenté à la commission anticorruption par Roshi Bhadain était marqué par un jugement très sévère envers Navin Beekarry, qui était alors chef commissaire de la commission. Les juges Bernard Sik Yuen et Bushan Domah avaient estimé que Navin Beekarry et son équipe se cachent derrière des corporate affidavits. «Leurs versions ne font aucun sens et sont en fait des official white lies.» Faute de le qualifier de «menteur», les juges trouvent qu’il débite des mensonges.
4. Mike Brasse ou la bourde monumentale
L’express a révélé le mois dernier que le trafiquant de drogue Mike Brasse a pu voyager grâce à la signature de nul autre que Mario Nobin, le no1 de la police. Lors de ce voyage précis, les autorités réunionnaises ont intercepté le Mauricien avec Rs 600 millions d’héroïne. Dans une défense qui tient moyennement la route, Mario Nobin a répondu qu’il ne savait pas que Mike Brasse était un trafiquant de drogue. Sauf que ce dernier était bel et bien sur le radar de l’ICAC. En somme, la cible de la commission anticorruption lui a filé entre les doigts par manque de coordination police-brigade antidrogue. Heureusement que les Réunionnais étaient là.
5. Rs 9,6 millions par condamnation
Depuis 2002, l’ICAC nous a coûté Rs 2 milliards. Selon les derniers chiffres officiels publiés sur le site Internet de la commission anticorruption, 217 personnes ont été condamnées à la suite de poursuites par l’ICAC. La moyenne est peu flatteuse : chaque condamnation coûte Rs 9,6 millions. Pour l’année en cours, l’ICAC bénéficie d’une enveloppe de Rs 212 millions, soit Rs 580 000 par jour (dimanches et jours fériés compris).
Réactions
Yousuf Mohamed,Senior Counsel :
«L’annonce du Premier ministre, Pravind Jugnauth, de la mise pied de cette commission d’enquête et le fait de confier l’affaire Álvaro à l’ICAC est un subterfuge pour cacher la vérité.» C’est ce qu’a déclaré, à l’express, hier, Me Yousuf Mohamed. «Personne ne connaîtra la vérité lorsque l’affaire Álvaro sera confiée à l’ICAC. Qu’est-ce que Pravind Jugnauth veut cacher par cette façon de faire ?» En tout cas, Me Yousuf Mohamed a confié qu’il ira déposer devant la commission d’enquête, puisque l’ex-présidente de la République l’avait approché à plusieurs reprises.
Gilbert Noël, homme de loi :
«Il ne serait pas approprié pour moi de faire de commentaire à ce stade.»
Ajay Gunness, secrétaire général du MMM :
«On ne connaît même pas les terms of reference de la commission d’enquête. On ne sait toujours pas qui seront ceux qui la présideront. On sait déjà que la commission d’enquête a créé une crise au sommet de l’État. Une crise constitutionnelle. La population pensait qu’il y aurait eu une commission sur l’affaire Alvaro Sobrinho. Mais le PM a référé l’affaireà l’ICAC. Et nous savons tous que l’ICAC, c’est un white washing machine, un outil entre les mains du gouvernement. C’est dommage que le gouvernement ait raté l’occasion pour instituer une enquête sur toute cette saga.»
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