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Elle demande l'aumône: «Mo koné ki été sa, kan gagn faim...»
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Elle demande l'aumône: «Mo koné ki été sa, kan gagn faim...»
Sous un petit parasol, une frêle silhouette. Qu’il fasse beau, qu’il vente ou qu’il pleuve, elle porte toujours des chaussettes. Dans les mains de la petite dame, une boîte de conserve vide, qu’elle agite pour attirer l’attention de ceux qui font leur marché, à Quatre-Bornes. Marie-Josée, 72 ans, mendie pour arrondir ses fins de mois et remplir sa «tant bazar», famélique. Rencontre à l’occasion de la Journée mondiale contre la faim, célébrée le 15 juin.
Comment, pourquoi, depuis quand avez-vous atterri ici ?
Je ne sais pas depuis quand exactement, mais ça fait des années que je viens ici, que je m’appuie contre ce garde-fou, auquel j’accroche mon parasol. Les gens me connaissent à Quatre-Bornes, ils m’appellent grand-mère. Leur sourire m’aide à oublier, pour un temps, mes nombreux problèmes de santé. J’ai eu un cancer, on a dû enlever une partie de «mo gard manzé» (NdlR, ablation de l’estomac). J’ai ravalé ma fierté et je viens ici les week-ends, pour chercher de l’aide.
Qu’en est-il de votre pension ?
Kifer mo pou koz ou manti ? Oui, je touche ma pension de vieillesse, mais ce n’est pas suffisant. Je dois payer le loan pour la maison depuis que mon époux est décédé, en 1996. Je vis dans une maison NHDC avec mon petit-enfant et on doit également payer l’eau et l’électricité. Lavi pas fasil mo zanfan.
Les gens sont-ils généreux ?
Oui, à la fin du jour, dans ma boîte, j’ai Rs 100, parfois Rs 200. J’ai aussi droit aux insultes et aux regards assassins, surtout quand je sors mon téléphone portable.
Ah ?
Je ne l’utilise pas souvent, c’est surtout pour communiquer avec mes proches.
Justement, des enfants, vous en avez ?
J’ai un fils qui est décédé, il avait 42 ans. Quand lui aussi il est parti au ciel, avec mon mari, j’ai sombré dans une dépression, c’est trop de douleur pour une seule personne. Aujourd’hui, je n’arrive même plus à sourire. J’ai un autre fils et une fille, mais ils sont eux aussi dans le besoin. Pou zot mem pas asé, kouma zot pou ed zot mama ?
Et votre enfance à vous, était-elle heureuse ?
Non, l’argent ne nous a jamais aimés, ma famille et moi. J’ai appris très tôt ce qu’était la misère noire, mais je me suis toujours battue, jusqu’à ce que la maladie prenne le dessus. Même quand je me suis mariée, à 23 ans… (elle baisse les yeux)
Que s’est-il passé ?
J’ai enduré beaucoup de souffrance. Mo prémié mari ti pé gard fam, il me maltraitait. Nous avons eu trois enfants ensemble avant que ne je décide de m’en aller. Je me suis mariée une deuxième fois, j’avais 50 ans. Mais la vie ne supporte pas de me voir heureuse, alors elle a pris celui que j’aimais.
Vous est-il déjà arrivé d’aller dormir le ventre vide ?
Oui. Avant, vous savez, je travaillais, comme tout le monde. J’ai passé plus de 20 ans à l’usine. Et puis, les docteurs ont découvert mon cancer, tout a basculé. Quand mon mari était là, on s’en sortait. Mais quand il est parti, il a emporté avec lui mon bonheur et ma joie de vivre. J’ai mal partout, dans le coeur, dans la tête, aux pieds, au cou, partout.
Que faites-vous quand vous n’êtes pas ici, sous votre parasol ?
Je vais chez le médecin. À l’hôpital, il ne prenne pas toujours bien soin de moi. Du coup, parfois, quand j’ai un peu de sous en plus, je vais voir un spécialiste du privé, pour mon diabète, mes douleurs aux pieds. Vous voyez, je marche avec ma béquille. Si mo ti éna ‘foto’ mo kolonn vertébral la mo ti pou montré twa…
Et quand vous n’êtes pas chez le médecin ?
Je reste à la maison, je ressasse mes souvenirs. Je regarde très peu la télé, je préfère écouter la radio. Je fais quelques courses.
Combien vous coûte votre panier à provisions ?
Cela dépend de la somme d’argent dont je dispose. Je fais mes courses au jour le jour. À cause de mon estomac, je ne peux pas trop manger. (Elle montre son panier) Vous voyez, là, j’ai une pomme, un paquet de biscuits et mon thermos de thé.
Est-ce là tout ce que vous mangez en une journée ?
Oui, mais il me faut absolument avoir mon thé. Le lait coûte cher… Sinon, je me rabats sur du gruo, parfois un peu d’oatmeal. Quand l’estomac le permet, je me fais un petit plaisir, mais c’est rare.
Qu’est-ce qui vous rend heureuse ?
Rien, la vie m’a trop malmenée. Si je ne venais pas ici… En fin de compte, mon malheur m’a permis de trouver un peu de bonheur. Quand je viens ici, au marché, les gens viennent me parler, prendre de mes nouvelles, ça me fait chaud au coeur. Enn sans ankor éna inpé bon dimounn lor sa later la. Vous partez ? Attendez…
Oui ?
J’ai réfléchi… Même si je n’ai pas grand-chose, ce qui me rend heureuse, en fait, c’est de donner quelque chose, ne serait-ce qu’une pomme, à ceux qui sont dans le besoin. Mo koné ki été sa, kan gagn faim.
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