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Arbitrage: L’État mauricien face à une nouvelle réclamation

20 août 2018, 22:26

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Arbitrage: L’État mauricien face à une nouvelle réclamation

 

Christian Doutremepuich et son fils Antoine, deux investisseurs français, ont initié une procédure d’arbitrage international à l’encontre de la République de Maurice, le 30 mars. La raison: l’abandon, en 2016, sans explication aucune, de leur projet de laboratoire d’ADN. Les autorités mauriciennes l’avaient pourtant formellement approuvé en 2014.

Cette affaire figure dans le registre de la transparence de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international. Le 30 mars, Christian Doutremepuich et son fils Antoine, deux investisseurs français, ont initié une procédure d’arbitrage à l’encontre de la République de Maurice. Pour en connaître les motifs, l’express a joint le professeur Christian Doutremepuich, en France, hier. Cet expert en ADN (acide désoxyribonucléique) est propriétaire d’un laboratoire spécialisé dans l’analyse de l’ADN potentiellement déposé sur des scènes criminelles, à Bordeaux.

Il parle d’un projet ambitieux pour les Mauriciens, qui aurait eu un rayonnement mondial. Un laboratoire d’envergure internationale sur 800 à 1 000 mètres carrés, pour une analyse d’ADN extrêmement performante, que ce soit pour des tests de paternité ou pour toute la partie Forensic (médico-légale). Le terrain avait déjà été identifié, près de l’aéroport. Le projet a, selon le professeur Doutremepuich, mobilisé quatre ans d’énergie et «pour une raison que je ne connais pas, le gouvernement a tout arrêté. Quand un projet s’arrête en plein vol, c’est dramatique. Nous sommes K.O, tristes». Il soutient n’avoir reçu aucune explication. «Quand on a voulu acheter le terrain, il fallait l’autorisation officielle. Et on ne l’a pas eue.»

Il affirme avoir, avant cela, pourtant eu des autorisations pour réaliser le projet. Y compris, plusieurs réunions avec des représentants de l’ex-Board of Investment (Economic Development Board aujourd’hui), des consultations avec l’ancien directeur du Forensic Science Laboratory (FSL) qui, selon lui, n’était pas du tout opposé au projet, tout comme avec des membres de l’université de Maurice. Dans un communiqué que nous a fait parvenir son avocat Bruno Poulain, de la société d’avocats Ernst &Young, basée à Paris, le projet de laboratoire des Doutremepuich a été formellement approuvé en 2014 par les autorités mauriciennes. Ces dernières l’ont promu comme l’un des projets biotechnologiques phares du pays. Puis, «les autorités mauriciennes ont mis brutalement fin au développement de ce projet en 2016, sans aucune justification», peut-on y lire. C’est la raison pour laquelle les Doutremepuich ont décidé de demander un dédommagement, à travers une procédure d’arbitrage, pour violation des droits, et ainsi obtenir réparation. Le montant de la réclamation ne nous a pas encore été communiqué. Pour le professeur Doutremepuich, c’est une mauvaise chose pour Maurice, qui aurait eu une technologie avancée, qui aurait été bénéfique aux étudiants en biologie. «On ne comprend pas ce qui s’est passé. Quel gâchis pour tout le monde», regrette-t-il. Ajoutant que «si un jour le Premier ministre de Maurice vient à Bordeaux, je serai très heureux de l’accueillir et lui montrer ce qu’on aurait fait à Maurice».

Que dit le gouvernement dans cette affaire ? Surtout que ce projet dont le montant d’investissement direct étranger estimé à Rs 120 millions, est arrivé jusque sur la table du Fast Track Committee (FTC) présidé par le secrétaire financier Dev Manraj en septembre 2015 ? Suivant une réunion du FTC, au ministère des Finances, le 15 octobre de la même année, il était question que le bureau du Premier ministre analyse les amendements à apporter à la DNA Identification Act pour permettre l’entrée en opération d’un laboratoire privé de ce genre.

Nous avons posé la question à un préposé officiel de la Government House qui n’est pas étranger au dossier. Sa réplique : «La loi n’autorise pas les tests sur des êtres humains mauriciens.»

Qui est Christian Doutremepuich ?

Le professeur Christian Doutremepuich n’est pas une figure inconnue à Maurice. Fort d’une réputation internationale, il a été sollicité à de multiples reprises par les autorités mauriciennes pour réaliser des expertises d’ADN dans le cadre de procédures judiciaires criminelles. Ses services ont notamment été retenus dans les affaires Vanessa Lagesse et Michaela Harte. C’est dans ce contexte qu’un projet d’implantation d’un laboratoire ADN à Maurice a vu le jour.

 Il est expert près la cour d’appel de Bordeaux et près la Cour de cassation en France. Il enregistre, le 23 février 2015, DNA SERVICES (MAURITIUS) LTD, dont les actionnaires sont Antoine Doutremepuich et lui, à travers la société International DNA Services Holding Ltd. Ce, pour leur projet de laboratoire sur le sol mauricien.

 L’arbitrage international

«Ce mécanisme a pour but de résoudre des litiges devant un “tribunal arbitral” constitué par les parties elles-mêmes.» Dans un entretien accordé à l’express en octobre 2015, Me Salim Moollan, Queen’s Counsel, réputé pour ses compétences en droit commercial international, explique, qu’en général, chaque partie au litige désigne un arbitre. Les deux arbitres choisissent ensuite un président du tribunal. Les trois forment le tribunal arbitral qui entend les explications des parties et résout le litige. Il ne s’agit pas là d’une médiation: la procédure devant le tribunal arbitral ressemble en bien des points à une procédure devant une cour de justice «normale», avec audition de témoins et plaidoiries. Le jugement des arbitres, que l’on appelle une «sentence arbitrale», lie les parties comme n’importe quelle autre décision de justice.

Dans quels cas a-t-on recours à l’arbitrage international ? «Dans la grande majorité des litiges commerciaux importants notamment, pour la confidentialité que recherchent souvent les parties commerciales, surtout lorsque le contrat en question est commercialement sensible ou concerne des données confidentielles», soutient Me Salim Moollan.

Combien ça coûte ?

Le dernier cas contre l’État devant un tribunal d’arbitrage qui a fait grand bruit est celui de Betamax. Le 5 juin 2017, Michael Pryles, arbitre du centre international d’arbitrage de Singapour, a sommé l’État mauricien de payer des dédommagements de Rs 5 milliards à la compagnie de Veekram Bhunjun, pour rupture de contrat le 2 février 2015. Une sentence arbitrale que conteste la State Trading Corporaton (STC) en Cour suprême. Les frais légaux pour l’arbitrage à Singapour se sont élevés à quelque Rs 200 millions pour les deux parties. Ce montant a été rendu public dans l’affidavit juré par Rajanah Dhaliah, directeur général de la STC, pour contester la sentence arbitrale de Singapour. Les honoraires pour les avocats de Betamax totalisaient Rs 102 millions (3 millions de dollars). L’arbitrage a coûté 465 223 dollars singapouriens.