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Álvaro Sobrinho: qu’a-t-il bien pu dire à l’ICAC en six jours ?
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Álvaro Sobrinho: qu’a-t-il bien pu dire à l’ICAC en six jours ?
Sept jours. C’est le temps qu’aura duré le dernier séjour d’Álvaro Sobrinho à Maurice. L’homme d’affaires angolais a pris l’avion jeudi soir vers une destination inconnue. À ce stade, personne ne sait s’il reviendra…
Loin des plages de sable blanc de Balaclava, c’est dans les locaux de l’Independent Commission against Corruption (ICAC), à Ébène, que Sobrinho aura passé six des sept jours. Un exercice contraignant, voire pénible, auquel il s’est, cependant, prêté sans réticence. Ressortant même, avec le sourire. Cette décontraction cacherait-elle le véritable motif de l’interrogatoire par l’ICAC ?
Accompagné de son homme de loi, Me Moorari Gujadhur, Álvaro Sobrinho aurait, selon les échos qui nous sont parvenus, vidé son sac aux limiers de l’ICAC. Mais qu’a-t-il pu bien dire six jours durant ?
Le fait qu’il soit parti en homme libre, sans susciter la moindre réaction de la commission Caunhye, interpelle. Son arrivée «en catimini» en plein déballage d’Ameenah Gurib-Fakim devant les Puisne Jugdes Caunhye, Manna et Devat est-elle une coïncidence ?
Arrivée surprise ou planifiée ?
Stupeur. Álvaro Sobrinho débarque le 23 août. Neuf jours auparavant, Ameenah Gurib-Fakim donnait le ton devant la commission d’enquête Caunhye. Une première audition aux couleurs de représailles. Maneesh Gobin, l’Attorney General, sir Anerood Jugnauth, Pravind Jugnauth, Me Yousuf Mohamed, Me Gilbert Noël… L’ex-présidente ne compte épargner personne pour rétablir son honneur perdu. Si Me Yousuf Mohamed et Me Gilbert Noël ripostent, du côté du gouvernement, c’est silence radio. Comme si l’hôtel du gouvernement accusait le coup.
Sept jours plus tard, soit le 21 août, «Pravind a menti…», assène-t-elle. Si le Premier ministre s’est dit être prêt à déposer devant la commission, le 24 août, comme pour donner la réplique à l’ex-présidente, force est de constater qu’il a joué aux abonnés absents – contrairement à Me Yousuf Mohamed qui s’est imposé devant la commission pour faire entendre sa voix, sa version.
Si l’on en croit Paul Bérenger, le timing de l’arrivée d’Álvaro Sobrinho serait louche. Des propos pas si farfelus puisqu’une semaine plus tard, Shakeel Mohamed et Alan Ganoo ont abondé dans le même sens. «…venu jouer une apparition préparée d’avance», lance Shakeel Mohamed. Alan Ganoo s’interroge, lui, sur l’absence d’un panel d’hommes de loi.
Pressions par un «Senior Minister»
20 septembre 2017. Certains membres du board du BoI assistent à une réunion organisée par un Senior minister du gouvernement. Le motif ? Les convaincre d’agréer à la demande d’Álvaro Sobrinho pour l’obtention de villas au sein de Royal Park. Ken Poonoosamy, Deputy Managing Director de l’Economic Development Board, en a parlé aux limiers de l’ICAC. Pourquoi, donc, ce ministre aurait-il pris la peine d’organiser cette réunion ?
Démissions à gauche et à droite
René Leclézio, ancien membre du board du BoI, Dhiren Dabee, ancien Vice-Chairman de board de la FSC, Warda Dulmar Ebrahim, Rhoy Ramlackhan et Jacques Li Chung, tous membres du board de la FSC… Ils ont tous démissionné. La raison ? Les pressions exercées pour qu’Álvaro Sobrinho obtienne ses licences à la FSC et sa permission pour investissement foncier au BoI. L’express a pu consulter la lettre de démission de René Leclézio, qui a, par la suite, été convoqué à l’ICAC. Une lettre qu’il aurait dû remettre aux enquêteurs et qui mettait en exergue son désaccord avec la décision de donner une permission à Álvaro Sobrinho. Pourquoi, donc, l’Angolais s’en sort-il indemne ? D’où venaient les pressions exercées sur le BoI ?
Une tactique pour discréditer l’ex-présidente ?
Serait-ce, donc, un move pour discréditer l’ex-présidente de la République ? Surtout que le Planet Earth Institute (PEI), ONG fondée par Álvaro Sobrinho, avait, semble-t-il, déjà lâché Ameenah Gurib-Fakim depuis un moment. L’ONG, qui avait auparavant fait publier des communiqués extensifs dans la presse, avait fini par balancer deux phrases sur son site après l’éclatement, dans l’express, de l’affaire Platinum Card le 28 février 2018. Le 11 mars 2018, le site du PEI fait état qu’Ameenah Gurib-Fakim a «apparently inadvertently» utilisé la carte de crédit Platinum offerte par le PEI. Aujourd’hui, d’ailleurs, c’est le seul détail de l’interrogatoire d’Álvaro Sobrinho qui a transpiré dans la presse : la carte de crédit ne devait être utilisée que pour les besoins du PEI. Des propos qui insinuent qu’Ameenah Gurib-Fakim aurait, en effet, abusé de ce privilège.
Dass Appadu dans tout cela ?
Le haut fonctionnaire Dass Appadu pourrait se trouver dans de sales draps. Ce dernier a pris de l’emploi au sein de Vango Property Ltd, compagnie d’immobilier d’Álvaro Sobrinho. Sa fille y a aussi obtenu un stage, fait-on ressortir. «Dans l’exercice de ses fonctions» diton, celui qui avait pris un congé sans-solde, avait même reçu une berline immatriculée D 1955.
S’il semblerait que Dass Appadu ne s’en sortira pas si facilement, Álvaro Sobrinho aurait, lui, fourni des explications qui «tiennent la route». Mais les articles 5 et 14 de la Prevention of Corruption Act prévoient qu’un individu qui «bribe» ou «treat» un «public official» est aussi passible de poursuites.
Le money trail de Sobrinho : le connaît-on ?
Tchau* Sobrinho. L’homme d’affaires a déjà repris l’avion jeudi soir. Comment a-t-il pu convaincre l’ICAC alors qu’il traîne des casseroles au Portugal et en Suisse ? Si la commission voulait vraiment le coincer, cela aurait pris beaucoup plus de temps – surtout eu égard à ses multiples placements, de l’Angola au Canada en passant par Londres, le Portugal, la Suisse…
La commission anti-corruption s’est-elle intéressée à la provenance des fonds qui se trouvent à La Barclays ou à la State Bank of Mauritius (SBM) ? «Il faut savoir d’où vient l’argent transféré sur le compte d’Álvaro Sobrinho à Maurice», s’offusque Reza Uteem. Et avant cela, hormis le due diligence vite fait bien fait d’Ivan Collendavelloo, un retracement complet des fonds d’Álvaro Sobrinho a-t-il été complété par les autorités mauriciennes ? Dans les milieux concernés, l’on explique que seules la banque et la Financial Intelligence Unit (FIU) sont aptes à remonter un money trail.
Ce n’est pas la SBM qui aurait fait cet exercice en tous les cas. D’ailleurs, la banque s’était fait sévèrement réprimander par la Banque de Maurice (BoM) pour cela en octobre de l’année dernière. La SBM avait soutenu que la BoM, dans une lettre à sa direction, aurait enfreint les articles 6.13, 6.15, 6.29 et 6.35 des Guidance Notes de la Banque centrale. Et ce, puisqu’elle n’avait pas conduit de due diligence et parce qu’elle n’avait pas alerté la FIU des transactions douteuses.
Ce n’est pas, non plus, le BoI qui a remonté la piste de la richesse d’Álvaro Sobrinho. C’était, d’ailleurs, une des conditions pour l’obtention d’une permission pour acheter les 12 villas réservées auprès de Royal Park. Álvaro Sobrinho devait s’assurer que des «entities in the complete money trail shall not be subject to any investigation of any criminal offence». Condition qu’il n’a pas respectée et pour laquelle l’achat des villas de Royal Park a été refusé.
La FSC aurait-elle remonté la source de la richesse d’Álvaro Sobrinho ? Dans un communiqué de la FSC émis le 2 mars 2017, une analyse de sa source of funds n’est pas mentionnée. L’ICAC explique que la demande d’Álvaro Sobrinho, pour l’obtention des licences de Global Business, était soutenue par des «constitutive documents ; customer due diligence on promoters, beneficial owners, shareholders and directors ; prospectus ; administration agreement». D’ailleurs, dans les milieux, l’on explique que ce n’est pas le travail de la FIU. Cependant, ni par le biais d’un communiqué, ni en réponse à une Private Notice Question, il n’a été expliqué que l’exercice a été fait.
L’on explique, dans les milieux de la finance, que les autorités concernées devraient consulter les agences appropriées des pays où Álvaro Sobrinho opère. L’ICAC compte-t-elle s’enquérir de l’état des choses auprès des autorités de ces pays ? Jusqu’ici, la question n’a, semble-t-il, pas été abordée.
*Au revoir en portugais
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