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Yousuf Mohamed: «Je n’oublierai jamais ce que la dame m’a fait»

2 septembre 2018, 18:30

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Yousuf Mohamed: «Je n’oublierai jamais ce que la dame m’a fait»

C’est une histoire d’ex qui tourne mal. D’un côté, l’ex-présidente de la République. De l’autre, son ex-avocat. Entre les deux, une accusation mutuelle de tromperie, la première reprochant au second de l’avoir induite en erreur, qui l’accuse à son tour de manipuler l’opinion. Ce n’est pas joli-joli et c’est Yousuf Mohamed qui a les mains dans ce cambouis. Voici ce qu’il en dit.

Commençons par le commencement : le 14 mars dernier, tandis que la présidente est embourbée dans l’affaire «Platinum Card», vous débarquez à la State House…
Pour lui proposer mes services. On parlait à l’époque d’un tribunal spécial pour la destituer, j’avais très envie de plaider devant cette instance. Si j’avais su…

Vous regrettez ?
Je regrette amèrement (il appuie). J’ai voulu aider la présidente et au final elle me poignarde dans le dos. Vous réalisez ce qu’elle raconte ? Je l’aurais, soi-disant, incité à violer la Constitution. Parce que c’est ce qu’elle a fait en instaurant - de son propre chef, sans passer par le cabinet - une commission d’enquête. Moi, donner un conseil pareil ? Un avocat de ma trempe ?

La trempe n’interdit pas de se tromper…
(Il se cabre) Monsieur, j’ai 57 ans de barreau. Je n’ai jamais conseillé à quiconque d’être dans l’illégalité. Comment aurais-je pu ? Madame, ce que vous faites n’est pas permis, mais allez-y… Enfin, soyons sérieux : l’avocat qui ferait cela, non seulement coulerait sa cliente, mais, en plus, il se mettrait en danger. Je peux être couillon mais je ne suis pas fou.

Donc, quelqu’un ment…
Effectivement.

À la question du juge Caunhye «qu’est-ce qui vous a fait penser que mettre sur pied une commission d’enquête n’était pas illégal ?», l’ex-présidente a répondu : «Lorsque j’ai parlé à Me Yousuf Mohamed, je n’ai pas eu de réponse négative.»
Ce n’est pas vrai ! (il tape du poing)

Une semaine plus tard, elle précise : «Me Yousuf Mohamed m’a dit que je pouvais aller de l’avant ».
Certainement pas !

Elle vous cite : «No, you can’t do it, but tactically you can. Go ahead»…
Je n’ai jamais dit cela. C’est elle qui a utilisé le terme «tactique» : «I’ve done it for tactical reason», ce sont ses mots. Ce jour-là, je lui ai même dit devant ses autres avocats : «Madame, vous réalisez ce que vous avez fait, vous ne pouviez pas !» mais elle essaie de me faire porter le chapeau. Malheureusement, les faits ne plaident pas en sa faveur : j’ai retrouvé dans l’express une interview qui en dit long sur son art de la tactique. C’était en 2014, elle voulait être nommée à la tête de l’université de Maurice. Comme elle n’y arrivait pas, elle a prétexté une discrimination communale. Dans cet entretien, elle reconnaît que c’était «une stratégie». Elle avoue même à demi-mot avoir manipulé l’Equal Opportunities Commission. J’ai une copie si ça intéresse la commission Caunhye.

Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si vous l’avez envoyé dans le mur…
Si vraiment je l’avais mal conseillé, expliquez-moi pourquoi m’a-t-elle recontacté par la suite, à plusieurs reprises. Pourquoi me demander de rédiger sa lettre de démission ? Il fallait en finir avec moi ! Cette dame est d’une mauvaise foi sidérante… Si on l’écoute, tout le monde ment : Gilbert Noël, Nadeem Hyderkhan, le Premier ministre, tous, sauf elle.

Mais alors, pourquoi l’avoir aidé à rédiger les «Terms of reference» ?
Je n’ai rien rédigé, j’ai demandé à mon junior (Me Nadeem Hyderkhan, NdlR) de travailler sur des Terms of reference à transmettre aux autorités. Cette dame répétait sans cesse : «Je veux clear my name», d’où son idée de commission d’enquête. Moi, je lui disais : «Je comprends, mais il va falloir soumettre tout cela aux autorités». Et elle avait accepté.

La suite, c’est quoi ?
Le lendemain matin, Nadeem Hyderkhan m’envoie l’ébauche des Terms of reference. Je fais deux petites corrections.

Donc, vous saviez qu’elle allait de l’avant…
Oui, mais j’ignorais qu’elle court-circuiterait le cabinet !

Quarante-huit heures plus tard, vous demandez à la voir en urgence…
Faux !

C’est ce qu’elle a dit devant la commission Caunhye…
Ça ne s’est pas passé comme ça, c’est elle qui m’a appelé, un samedi matin. C’est là où je lui ai dit : «Madame, vous n’avez d’autres choix que de démissionner.»

Résumons : jeudi soir vous lui tendez la main, samedi matin vous la lâcher…
Elle s’est sabordée toute seule. Mon idée, c’était de la défendre devant un tribunal spécial mais elle a tout gâché. Elle s’est tiré une balle dans le pied en abusant de sa position de présidente.

Comment l’avez-vous convaincu de partir ?
Je lui ai dit plusieurs choses. D’abord, Madame, vous êtes allés à l’encontre de mes conseils, vous avez violé la Constitution. Je connais votre père, on se côtoie à la mosquée, c’est un homme dévasté. Pensez à votre réputation, à celle de votre famille. Pensez aussi à l’intérêt supérieur du pays : ce conflit au sommet de l’État doit cesser.

Comment a-t-elle réagi ?
Elle a demandé du temps pour consulter sa famille. On l’a laissé seule.

Qui «on» ?
Gilbert Noël, Nadeem Hyderkhan et moi. Trois ou quatre heures plus tard, elle nous a fait revenir. Elle a dit : «J’ai consulté mon mari, je m’en vais.»

Durant ces trois jours, vous étiez en contact permanent avec elle. Quel était son mood ?
J’ai vu une femme lucide et déterminée.

«J’étais complètement perdue», a-t-elle dit devant la commission Caunhye…
Pas du tout. Elle était tout sauf abattue, en mode fighting spirit. Elle m’a demandé des éclaircissements sur son immunité présidentielle en cas de démission - je lui ai rappelé l’affaire Chirac. Elle savait très bien ce qu’elle faisait, elle avait une copie de la Constitution sur son bureau.

Les avocats ont l’habitude de contre-interroger leur client. L’avez-vous fait ?
Oui. Je lui ai même demandé une déclaration écrite qu’elle ne m’a pas donnée. J’étais sceptique sur ses «inadvertances» de carte bancaire, comme l’impression d’être mené en bateau. Et puis, il y avait cette déclaration du Premier ministre disant qu’elle s’était engagée à démissionner, ce qu’elle a nié. J’ai trouvé ça bizarre, je me suis demandé pourquoi Pravind Jugnauth irait inventer ça.

Vous tirez sur une ambulance, c’est moche.
C’est de la légitime défense : elle m’attaque, je riposte.

Combien votre «assaillante» vous a-t-elle payé d’honoraires ?
Nous n’avons jamais parlé d’argent, je n’ai pas touché un sou. Ni moi ni Hyderkhan.

Si elle entrait dans votre bureau maintenant, que lui diriez-vous ?
Salam Aleykoum, Madame. Que puis-je faire pour vous ?

Vous en redemandez !?
Surtout pas ! Je l’écouterais poliment avant de lui conseiller d’aller voir un autre avocat. Cette dame m’a trop fait souffrir.

Le mot est fort…
(Sur un ton grave) Il est juste. Moralement, j’ai souffert. Elle m’a blessé dans mon amour-propre. Pour sauver sa réputation, cette dame a sali la mienne. Je lui pardonne mais je n’oublierai jamais.