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Kusraj Lutchigadoo: mais qui est-il réellement ?
Par
- Estelle Bastien
- Vinesen Abel
- Axcel Chenney
- Manisha Deena
- Anne-Lise Mestry
- Vilorsha Armoogum
- Hansa Nancoo
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Kusraj Lutchigadoo: mais qui est-il réellement ?
À l’annonce de son arrestation le 30 mars 2018, la police l’avait présenté comme exerçant la profession de mécanicien. Mais selon des proches du suspect Kusraj Lutchigadoo, ce dernier n’a jamais travaillé dans cette filière. Que faisait-il dans la vie? C’est aussi la question que se posent plusieurs proches de cet homme de 35 ans. «Nu pa ti koné mem ki li ti pé fer. Zamé linn éna latélié ouswa linn travay dan enn latélié mékanisien li! Selman nu koné tiéna boukou bel bel masinn kot li», soutient un des proches de Kusraj Lutchigadoo. Avant son arrestation, il habitait, en compagnie de ses frères et de leur mère, à la route Bassin, Quatre-Bornes. Et le train de vie de la famille, c’est justement ce qui avait éveillé les soupçons de leurs proches.
Ce qui est sûr, c’est qu’en mars, ce n’était pas la première fois que les unités de la police entendaient parler des Lutchigadoo, plus précisément de Kusraj Lutchigadoo. Entre 2012 et 2013, une affaire avait mis la police sur les traces des frères Lutchigadoo et Hamod Oufran, 43 ans (qui a véhiculé le trentenaire lors de son escapade), sauf qu’à l’époque, aucune preuve n’avait conduit à une charge formelle.
Un vol impliquant un policier et un jeune homme avait mal tourné à Quatre-Bornes. L’un des deux avait mentionné le nom d’un des frères Lutchigadoo comme étant le cerveau des opérations. Cela avait conduit à une perquisition au domicile de Kusraj Lutchigadoo à la route Bassin. Exercice qui n’avait rien donné. «Les gens que nous avions interpellés dans cette affaire nous ont dit énormément de choses au sujet de Kusraj Lutchigadoo. Mais sans preuve, ce ne sont que des allégations. Mais depuis cette affaire, la police a gardé un œil sur les agissements des frères Lutchigadoo», nous explique un ancien des Casernes centrales.
Même à l’époque, ce qui avait choqué l’entourage de Kusraj Lutchigadoo, c’est l’allure de sa maison et la valse de voitures de luxe devant son domicile. Un privilégié ayant accédé à la maison des Lutchigadoo la décrit comme la «caverne». «Il y avait énormément d’objets décoratifs à l’intérieur. Et elle était grande. Vous entrez par une pièce, vous sortez par une autre. Je me souviens que la famille possédait aussi une camionnette et que des voitures luxueuses faisaient le va-et-vient.»
Kusraj Lutchigadoo était aussi connu comme étant un fêtard. Au fil des années, il s’est lié d’amitié avec le propriétaire d’une grosse boîte de nuit à qui il a donné un coup de pouce afin de faire marcher le business.
Pour obtenir plus d’informations au sujet de Kusraj Lutchigadoo, il faudra quitter la route Bassin pour se rendre à la rue Sewraz, Triolet. Plus précisément au domicile de la belle-mère de Kusraj Lutchigadoo. C’est là qu’il est soupçonné d’opérer un laboratoire clandestin.
Une fois sur place, nous rencontrons un boutiquier. Ce dernier est toujours perplexe. «Je ne peux pas savoir ce qui se passait dans cette maison. Est-ce qu’il venait le soir pour faire des transactions louches ? Je ne sais pas. Il venait souvent à la boutique et me saluait. Je n’aurais jamais imaginé qu’une telle situation aurait pu éclater dans notre ruelle. Je connais sa belle-famille. Elle est respectée», confie le boutiquier.
L'amour parfait
Kusraj Lutchigadoo s’est marié à Ayesha Pazal. Celle-ci est issue d’une famille modeste dont le père était enseignant et la mère s’occupait d’une école maternelle. C’est la passion pour les slaloms et la vitesse qui a réuni les deux tourtereaux. Kusraj Lutchigadoo était amateur de courses automobiles. «Ils filaient le parfait amour car ils aiment tous deux la vitesse», souligne notre source qui dit qu’au temps des fiançailles, Kusraj Lutchigadoo venait voir sa dulcinée à bord de voitures de rallye. Parfois, il s’agissait d’une Subaru ou d’une Citroën.
Un autre membre très proche de la famille Pazal et qui a tenu à rester anonyme avance que Kusraj Lutchigadoo correspondait parfaitement au profil recherché par les parents d’Ayesha. «Nous l’avons toujours connu comme étant un bon garçon. J’espère encore qu’il s’en sortira. Je pleure toujours à cause de ce qui s’est passé.» Nous avons contacté un des avocats d’Ayesha Lutchigadoo, Me Neelkant Dulloo. Ce dernier n’a pas voulu faire de commentaire à ce sujet.
Sa folle aventure policière
30 mars 2018: Un laboratoire de drogue synthétique est découvert par les officiers de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU). Trois cents paquets de thé, un litre de dissolvant, un litre de benzène et une somme de Rs 301 350 sont saisis. Celui qui est suspecté de tenir ce laboratoire ? Kusraj Lutchigadoo. Il est arrêté le jour même.
23 avril : Un peu moins d’un mois plus tard, Kusraj Lutchigadoo, enfermé au centre de détention de Vacoas, s’offre du bon temps. Il s’évade momentanément de sa cellule avec la complicité présumée de trois policiers, Jacques Henry Frédérick Augustin, 30 ans, Akashsing Goomany, 27 ans et Amitsing Narain, 38 ans. Du jamais-vu.
Ce soir-là, un des trois policiers en poste remet les clés de la cellule de Kusraj Lutchigadoo à Ashish Dayal, un autre détenu. Ce dernier se libère, lui-même ainsi que son camarade Kusraj Lutchigadoo. Le «mécanicien» est remplacé dans sa cellule par Jean-Clarel Antoo (photo) et s’en va pour une virée à bord d’un 4x4. Le constable Amitsing Narain l’accompagne lors de son périple qui a duré une heure…
10 mai: L’escapade est rapportée par d’autres policiers postés au centre de détention de Vacoas.
Quelques jours plus tard. L’affaire éclate au grand jour. Les journaux font état de l’escapade de Kusraj Lutchigadoo et de l’implication des trois policiers.
22 mai: Les trois policiers de service au moment de l’escapade de Kusraj Lutchigadoo sont arrêtés et inculpés sous une accusation de complot. Le même jour, ils comparaissent en cour de Curepipe et sont libérés contre une caution de Rs 7 000 et une reconnaissance de dette de Rs 100 000.
24 mai: Hamod Oufran, bras droit et chauffeur du détenu, est arrêté. Le lendemain, il avoue que c’est lui qui a véhiculé Kusraj Lutchigadoo le soir de son escapade d’une heure du centre de détention de Vacoas. Sa version n’a toutefois pas convaincu les limiers du Central Criminal Investigation Department (CCID).
29 mai: L’existence de l’homme au capuchon a été révélée par Hamod Oufran lors deson interrogatoire. Ce «zanfan lakaz» des Lutchigadoo a indiqué que c’était lui qui avait véhiculé Kusraj Lutchigadoo ce jour-là. Et les limiers du CCID ont vite fait de remonter jusqu’à Jean Clarel Antoo, qui habite à Rose-Hill.
Juin 2018 : Stupeur. La bonne étoile de Kusraj Lutchigadoo n’est pas près de le lâcher. Après qu’il est tombé sur des policiers cléments au centre de détention, voilà que les données sur un de ses téléphones disparaissent. C’est ce que révèle le quotidien Le Défi. Et ces données se sont volatilisées bien avant son escapade du 23 avril. Ce téléphone avait été saisi lors de la perquisition dans son laboratoire à Triolet, le 30 mars.
21 juillet: Le mauricien fait état des résultats du Forensic Science Laboratory(FSL) sur les substances saisies au laboratoire de Kusraj Lutchigadoo. Les résultats sont négatifs: il ne s’agit pas de drogue synthétique.
26 septembre: Devant la Bail and Remand Court, un officier de l’ADSU le confirme. Les substances saisies ne sont pas de la drogue synthétique.
La famille et ses casseroles
Kusraj Lutchigadoo est le second fils de Vijwantee, connue sous le nom de Gita, et de feu Luc Roger Lutchigadoo. À la route Bassin, à Quatre-Bornes, cette famille a une réputation qui ne laisse personne indifférent.
«Et cela ne date pas d’hier. Vous trouvez normal que ces personnes qui ne travaillent pas peuvent s’offrir régulièrement des BMW ?» Parlant du garage dans lequel travaillerait Kusraj Lutchigadoo, ce proche avoue que celui-ci n’a jamais été mécanicien. «Je me demande où les gens sont allés chercher cette idée.»
Dans l’entourage de la famille, très peu d’éloges sont exprimés à l’égard de cette famille au passé tumultueux. Le nom de Gita Lutchigadoo avait été mentionné dans le cadre de l’affaire Deelchand en 2004. Ses enfants et elle étaient accusés de fraudes foncières. À l’époque, elle avait riposté : «Nous avons travaillé dans l’honnêteté et nous n’avons rien à nous reprocher.» L’express a tenté de joindre Gita Lutchigadoo au téléphone, à plusieurs reprises, hier. En vain.
Sur place, à la route Bassin, nous avons rencontré un commerçant qui connaît bien la famille Lutchigadoo. Il se souvient surtout des trois frères Kusraj, Rajoo et Kelvy.
«Quand ils étaient petits, ils venaient souvent acheter à manger dans notre restaurant. Toujours un petit sourire et ils étaient polis. Puis, du jour au lendemain, ils ont arrêté de venir. On ne les a plus vraiment revus dans la région», témoigne ce propriétaire d’un restaurant à la route Bassin. Un peu plus loin, la gérante d’une boutique raconte presque la même histoire. «Vous savez on essaie de ne pas trop les fréquenter.»
Justement leur maison à l’avenue Appadoo a été depuis quelque temps désertée. Quatre caméras sont braquées sur la route menant à elle. Un haut portail et un grand mur d’enceinte ne permettent pas de voir ce qui se passe dans la maison. Toutefois, les voisins diront que la famille vit toujours à la route Bassin, mais un peu plus loin. «Ils ont préféré se tenir éloignés de nous. De toutes les manières, ils ne fréquentent pas beaucoup de monde dans les environs.»
Outre Kusraj Lutchigadoo, son frère Kelvy Lutchigadoo, 23 ans, avait été arrêté le vendredi 8 décembre dernier dans l’enquête sur l’importation, de France, de 329 grammes de drogue synthétique valant un demi-million de roupies.
Le DPP aura-t-il suffisamment d’éléments pour objecter à la libération ?
Sur un plan purement technique, le sort de Kusraj Lutchigadoo repose entre les mains de la Bail and Remand Court. C’est devant cette instance que le Forensic Science Laboratory a confirmé, avant-hier, qu’aucune substance pouvant être légalement qualifiée de «drogue» n’a été trouvée dans les «exhibits». Immédiatement, les avocats de l’accusé ont demandé l’annulation pure et simple de l’accusation de Drug Trafficking et présenté une motion de remise en liberté immédiate. Il se pourrait que la magistrate Shavina Jugnauth n’ait pas à intervenir car, si le Directeur des poursuites publiques (DPP) n’objecte pas, l’accusation de trafic de drogue va devenir caduque d’elle-même.
L’argument du panel juridique de Kusraj Lutchigadoo, quand la motion sera débattue le 3 octobre, est simple : «Sans drogue, pas de délit de drogue.» «Nous estimons que le DPP, dans sa sagesse, ne devrait pas objecter. Cela coule de source», soutient Yash Bhadain qui dans cette affaire épaule Rama Valayden et Samad Goolamaully. «Cette histoire a été blown out of proportion par la police», continue Yash Bhadain. «On a même parlé de laboratoire, ce qui est absurde.»
Par contre, même s’ils demandent la «liberté inconditionnelle» et la radiation des trois chefs d’accusation (trafic de drogue, possession d’équipements pour la production de drogue et blanchiment d’argent lié à la drogue), les hommes de loi du suspect se préparent à obtenir au préalable une liberté sous caution de leur client. La confiance est de mise dans le camp de la défense pour les deux premières accusations, mais la prudence est de rigueur pour la dernière.
«Il y a aussi l’accusation de money laundering. Mais pour ce délit, la libertéconditionnelle n’est pas un privilège. Ceserait le cours normal des choses, mais attendons quand même le 3 octobre.» La position du DPP sur la radiation de l’accusation de trafic de drogue est attendue. Qu’en sera-t-il ? Au sommet de la Garden Tower, peu d’informations ont transpiré. Pour que la police arrive à convaincre le bureau du DPP qu’il y a d’autres éléments qui permettent au moins de débattre la motion de remise en liberté, il y a fort à faire. Même les données sur le téléphone de l’accusé ont disparu.
Ce n’est là qu’un énième coup de théâtre dans cette histoire rocambolesque. Même si le panel juridique estime que l’histoire a été «overblown» quand elle a éclaté, les faits qui ont suivi l’arrestation de Kusraj Lutchigadoo n’en demeurent pas moins exceptionnels. Il a eu droit à une virée nocturne, digne de Prison Break. S’est ensuivie la découverte que toutes les données de son téléphone saisi par la police ont été effacées. «Le DPP n’aura même pas un SMS à se mettre sous la dent», confie un observateur.
Des casiers hypothécaires presque vierges
<p>Aussi étonnant que cela puisse paraître, au Registrar General, au nom de Kusraj Lutchigadoo, pas de belles voitures, pas de vastes terrains, ni de belles propriétés en bord de mer. D’ailleurs, seul un terrain de 884,12 m² acheté en 2016 à Rs 1,1 million y figure. Un terrain qui a d’ailleurs été payé en tranches. Rs 700 000 une première fois, et le reste en deux fois. Et ce, alors qu’il avait été convenu devant le notaire que le terrain devait être payé en une seule tranche.</p>
<p>C’est le frère aîné qui possède le plus de terrains… et de dettes. Dhunrajoo Lutchigadoo a deux terrains à La Louise à Quatre-Bornes enregistrés à son nom. Le premier terrain de 964 m² a été acheté en 2003. En 2011, sa mère Gita Lutchigadoo lui vend un deuxième terrain à Rs 4 millions. Dhunrajoo Lutchigadoo et son épouse ont aussi contracté plusieurs emprunts dont un de Rs 2 millions auprès d’une banque commerciale locale.</p>
300 sachets de thé, du benzène et un litre de solvant… mais pour faire quoi ?
<p>Mais que faisait-il avec 300 sachets de thé, un litre de benzène et un litre de solvant ? Ces produits ne sont pas de la drogue et ne font pas partie des produits interdits par la Dangerous Drugs Act. Mais selon une source policière, une fois ces produits mélangés, ils peuvent bel et bien mener à la fabrication de la drogue synthétique. Le thé est utilisé lors de l’étape de vaporisation de la drogue de synthèse en liquide. Une fois séché, le résidu est roulé en cigarettes avant d’être vendu ou consommé. Si la drogue en question est en poudre, elle est diluée dans un solvant.</p>
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