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Chagossienne à Crawley: Marie-Orange en voit de toutes les couleurs
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Chagossienne à Crawley: Marie-Orange en voit de toutes les couleurs
Elle a 86 ans, souffre de plusieurs maladies, a toute sa tête. Marie-Orange Jacques est la doyenne des Chagossiens à Crawley, en Angleterre. Cette mère de 10 enfants y habite depuis 13 ans déjà. Et elle ne voit pas la vie en rose.
«Je dois porter une ceinture pour soutenir mes reins, mes ongles me font mal et j’ai des problèmes cardiaques. Entre autres…» Marie-Orange Jacques précise qu’elle a pratiqué le yoga lorsqu’elle était plus jeune, raison pour laquelle son apparence «ankor impé korek». Même avec tous ses ennuis de santé, elle n’a droit qu’à une visite du médecin une fois l’an. Malgré les idées reçues, sa vie, comme la plupart de celles des Chagossiens, n’est pas de tout repos en Angleterre…
Certes, à son âge, elle a droit à une petite maison et une pension, mais c’est à peu près tout. Après avoir payé l’eau, l’électricité et autres factures, elle se retrouve avec le strict minimum. «Si ou konn zéré, ou pa fer dépans initil, ou kapav viv selman.»
Ce qui lui manque, ce sont les soins médicaux. Elle a fait des demandes à plusieurs reprises pour avoir droit à une visite des médecins plus régulièrement, mais elles ont toutes été rejetées. Ce qui la met hors d’elle, c’est que les sujets britanniques, eux, sont mieux traités, ils ont même droit à un garde-malade. «Tir mwa dan mo zil, met mwa isi, zet mwa parla apré dir mwa mo péna mem drwa. Ou pa trouvé zot pé fout dimounn ?»
Mais il n’y a pas que la vie qui est compliquée pour les Chagossiens en Angleterre. La mort fait doublement peur, surtout à cause du prix. Lorsque l’époux de Marie-Orange Jacques est décédé, il a fallu qu’elle trouve £4 500 (environ Rs 202 000) pour l’enterrement. De quoi achever le porte-monnaie. Heureusement, on s’organise, on se cotise. «Nounn demann enn funeral grant. Mé sa ousi pa gagné», déplore Marie-Orange.
Comment s’occupe une dame de 86 ans en Angleterre, surtout qu’elle ne maîtrise pas la langue de Shakespeare ? «Je ne parle pas anglais parce que les Anglais n’avaient pas construit d’école aux Chagos !» Elle regarde la télé, discute dans sa tête mais à haute voix avec ses acteurs préférés, regarde le foot. Les dimanches, elle joue au loto avec les autres Chagossiennes. Elle aurait aimé faire plus, mais elle n’en a pas les moyens.
«Lisien lagal»
Dans ce cas, pourquoi ne pas retourner à Maurice ? Perchée sur son fauteuil, la main posée sur sa canne, elle laisse échapper un soupir. Elle aime son pays, mais les épreuves lui ont laissé un goût amer. «Tou séki pé ariv nou, sé akoz gouvernman Moris inn tir nou laba kouma lisien lagal. Si li pa ti fer sa, nou ti pou trankil kot nou !»
Comme beaucoup d’autres, elle était venue à Maurice pour recevoir des soins et n’a jamais pu repartir. «Mo bolom ti pe travay débarder. Mo ti pé okip zanfan. Nou ti korek. Mais inn vin isi akoz bann zanfan…» Làbas, en Angleterre, ils ont pu obtenir un travail et un salaire décents, ce qui n’aurait pas été le cas à Maurice, selon elle.
Songe-t-elle à rebrousser chemin ? Son regard se tourne vers la photo prise lors de ses 60 ans de mariage. Elle y est, entourée de son mari maintenant décédé et de ses 10 enfants. C’était en 2005. Oui. Elle ne sait pas ce qu’elle y fera, mais elle veut retrouver sa terre natale, sa maison qu’elle a quittée. «Laba, mo ti pé travay. Tou pwason mo ti anvi manzé mo bolom ti pé amené. Pa koné kouma li ti pé fer sa.»
Si elle a la chance de retrouver sa «maison» avant de mourir, elle est bien consciente du fait que ce ne sera pas pareil sans lui, sans son travail et avec une probable présence des militaires à côté. Qu’importe, «lakaz res lakaz»…
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