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Université du troisième âge: Philip, diplômé à 102 ans

9 décembre 2018, 20:00

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Université du troisième âge: Philip, diplômé à 102 ans

Il n’a plus de dents, sa mémoire lui fait parfois défaut. Il hésite entre l’envie de mourir et de vivre encore, pour profiter de la plage et de son whisky préféré. En attendant, il a trouvé le moyen d’obtenir un diplôme.

Il y est depuis 18 ans. Philip Marie-Jeanne, 102 ans et zéro dent, se sent at home au St. Hugh’s Anglican Home, à Rose-Hill. On est jeudi, il a sa tête des mauvais jours. L’avantage avec l’âge, c’est qu’on n’a pas besoin de faire semblant. «Who are you ? I am an old man. Pa fatig mwa.» Le tonton flingueur donne le ton.

Ce vénérable ancêtre a presque le même âge de Panoramix le druide. Sauf que sa potion magique à lui, c’est le whisky. «Li kontan bat so ti zafer, gajak salad corned beef ek dipin so.»

Celle qui parle, c’est Sylvie Hofstead, la garde-malade qui est aux petits oignons, qui s’occupe du grand-père grincheux depuis 14 ans. Lui, ne veut toujours pas qu’on «l’emmerde». «Who are you ? Where do you come from ? India ? America ? Africa ? Have you visited Mauritius ?» Faut attendre que ça passe, apparemment, selon Sylvie.

«ti pé fer létour lil ek bann kamarad, marsé dépi Rose-Belle ziska Beau-Bassin. Touzour ek nou whisky…»

Dehors, des têtes grisonnantes sont en mode «louk enn kout ki pé arivé». Mieux que les caméras CCTV, les pensionnaires ont l’œil à tout. Les sourires bienveillants, les yeux remplis d’espoir, attendent la visite des proches. La solitude se lit sur certains de ces beaux visages que les rides n’arrivent pas à rendre laids.

«Bring my fosdan.» Ça y est, la glace est brisée, Philip semble vouloir se confier. Ça démarre fort. «Mo pé atann lamor-la. Mo pé anvi al lamer.» Il a beau être sourd comme un pot, sa voix n’en demeure pas moins douce. Sauf quand il monte dans les aigus. «Ayooo mo pé alé aster. Non, mo pa anvi alé. Isi ou koné ki éna, lao pa koné. Ou’nn déza trouvé ou?» Quand il n’est pas en train de penser à la vie après la mort ou de dire tout haut ce qu’il devrait penser tout bas, Philip fait du sport. Des pompes du matin au soir, puisqu’il est allergique au sommeil. «Li dir mwa si mo fer push-ups mo vinn plat», rigole Sylvie, tout en essuyant le visage de son ami.

Des diplômes, le centenaire en a décroché plusieurs. Il était prof en Australie. Il a fait la Guerre. «God didn’t want me so here I am. Ayo pran mwa bondié.» Le bougre de diable a fait les 400 coups dans sa jeunesse. Non, il ne regrette rien, ça lui a fait des souvenirs. Il a toujours aimé tchaké. «Ti pé fer létour lil ek bann kamarad, marsé dépi Rose-Belle ziska Beau-Bassin. Touzour ek nou whisky…»

L’English est de retour. «Which countries have you visited ? Me, I have been to England, Rodrigues. Ayo I am an old man, ayo, zot fatig mwa.» Tout ça dans le même souffle.

Sa date de naissance exacte, il ne s’en souvient plus, il a arrêté de compter. Des enfants, il en a trois, l’aîné étant âgé de 67 ans. «Eric vient me rendre visite bientôt», avoue Philip en souriant. Son épouse s’en est allée il y a longtemps, très longtemps…

Les heures seraient trois fois plus longues sans la présence bienveillante de son ange gardien Sylvie. «She is a very nice person. God bless her. Li pa konn so valer…» Pour tromper l’ennui, rien de tel que les sorties à la plage donc, la télé ou les activités proposées par l’université du troisième âge dont le ballroom dancing ou encore la peinture, entre autres.

Pour ses efforts, il a décroché un diplôme il y a deux semaines, même s’il semble l’avoir déjà oublié. Ce sacré personnage mériterait bien un trophée.

Rose et sa langue d’épine

Rose Félicité aux côtés d’Armoogum Parsuramen.

Elle n’a pas sa langue dans sa poche, ni ailleurs. Elle est plusieurs radios à elle toute seule et mériterait que l’Independent Broadcasting Authority lui octroie un permis d’opération. C’est que Hermenne Félicité, plus connue sous le nom de Rose et sa langue d’épine, tient à ce que «tout soit dit comme il le faut». Philip a été récompensé pour son assiduité et ses efforts, soutient la vice-présidente et directrice de l’Université de troisième âge (U3A). C’est en 2017, grâce à l’initiative de Monseigneur Ian Ernerst et d’Armoogum Parsuramen, fondateur et président de l’U3A, qu’une antenne officielle a vu le jour au St. Hugh’s Home, géré par Sylvain Collendavelloo. «On propose des ateliers de peinture, sous la houlette de Madame Venise Leutier-Oodoomansaib, de la danse, de la musique et bien d’autres activités.» Philip a reçu son diplôme le 23 novembre, lors d’une cérémonie marquant le cinquième anniversaire de l’U3A, qui coïncidait avec l’assemblée générale annuelle de l’Association internationale des universités du troisième âge. «Il avait sa toge et sa coiffe, Philip avait fière allure», confie Rose Félicité. «C’est le plus âgé de nos 500 ‘étudiants’. Il y a également un couple dont il faut faire mention, il s’agit d’Hélène et de Roland Henry, qui ont 85 et 87 ans. Ils font de la natation, de la flûte, du solfège, de la danse, ils sont dans la chorale depuis le début. Génial non ?» Oui.