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Enseignement supérieur gratuit: une mesure irréfléchie ?
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Enseignement supérieur gratuit: une mesure irréfléchie ?
Des parties prenantes du secteur n’ont pas tardé à réagir suivant l’annonce du PM. Elles craignent la baisse de qualité de l’éducation supérieure. Ou encore que la recherche soit sacrifiée.
«Personne ne peut contester l’éducation gratuite.» Si, comme le dit Vasant Bunwaree, ancien ministre de l’Éducation, l’enseignement supérieur gratuit n’est une mauvaise nouvelle pour personne, dans le milieu concerné, la tension monte après l’annonce faite par le Premier ministre Pravind Jugnauth lors de son discours à la nation le 1er janvier. Les parties prenantes du secteur déplorent le «populisme irréfléchi» d’une telle mesure.
Les opérateurs craignent la catastrophe économique ainsi qu’une baisse conséquente de la qualité de l’éducation supérieure. D’une part, l’on évoque l’absence d’une stratégie d’identification de secteurs prioritaires afin de mieux canaliser les étudiants. De l’autre, il y a les universités publiques qui, déjà «tombent en ruines». Avec le manque à gagner qu’occasionnera l’abolition des frais d’études, la qualité de l’éducation ne descendra-t-elle pas en flèche ? se demande-t-on.
Qu’est-ce qui sera sacrifié ? Interrogation de Roukaya Kasenally, Senior Lecturer à l’université de Maurice (UoM) et cofondatrice de la Mauritius Society Renewal. «La question est simple : Where will the money come from ? Il y aura des sacrifices en termes de recherche et d’infrastructures. Et nous savons que les universités ont déjà des problèmes d’infrastructures, soutient-elle. Les bibliothèques, les laboratoires, les livres et même les salles de classe laissent à désirer et donnent lieu aux critiques.»
D’ailleurs, l’université de Technologie (UTM) a fait l’objet de deux Private Notice Questions. Justement parce que la qualité de l’enseignement dispensé était sévèrement décriée par des membres du corps enseignant ainsi que les étudiants. «L’on alloue un milliard de roupies à l’infrastructure des institutions publiques et ce n’est jamais assez. Et là, il va falloir que l’on récupère ce manque à gagner quelque part. Dan UTM lecturers ankor pé bizin laguer pou gayn enn klas pu fer lecture», indique Vasant Bunwaree.
Pour notre interlocuteur, dans un premier temps, la qualité de l’éducation devrait baisser drastiquement. «Ayant été ministre des Finances, je peux dire qu’on trouve toujours l’argent. Mais aux dépens de quoi et de qui ?»
L’ancien ministre ainsi que Roukaya Kasenally s’accordent aussi à dire que cette mesure aurait dû faire partie d’une stratégie d’investissement massif dans l’éducation. «Mais là, il semble que c’est seulement une annonce populiste politique. Enseignement supérieur gratuit. Ça s’arrête là», soutient la Senior Lecturer.
«Il n’y a eu aucune consultation avec les différentes institutions», souligne-t-elle. D’ailleurs, les acteurs principaux du secteur n’étaient pas au courant de cette mesure avant l’annonce du Premier ministre. Et cette initiative prend complètement à contre-pied l’administration de l’UoM qui avait une nouvelle vision pour l’institution. En effet, le professeur Dhanjay Jhurry, vice-chancelier de l’UoM, avait annoncé l’année dernière une restructuration des cours disponibles avec une rationalisation des formations de premier cycle et un accent particulier sur la recherche et le «postgraduate teaching».
L’administration espérait que cette stratégie rehausserait la qualité de l’enseignement et le classement de l’université. «Mais là, tout cela est en suspens. Faire de l’UoM une research institution est en suspens. D’ailleurs, c’est la recherche qui risque, encore une fois, de prendre un sale coup. Aurons-nous encore l’argent pour la recherche ?», se demande Roukaya Kasenally. Le professeur Dhanjay Jhurry est, lui, resté injoignable.
L’UoM est elle-même dans le rouge. En 2017, l’État a dû éponger le déficit budgétaire de Rs 43 millions de l’institution. Avant de consentir à cela, le ministère de tutelle et la Tertiary Education Commission (TEC) ont revu à la baisse son budget. L’université a alors dû réduire son Research Credit à Rs 4 millions alors qu’il se chiffrait auparavant à Rs 12 millions.
En outre, les frais d’études couvrent environ 40 % des dépenses de l’université à la hauteur d’une moyenne de Rs 400 millions par an (incluant les frais d’études pour les étudiants de second cycle qui ne seront pas abolis). La situation actuelle étant déjà inquiétante, l’on se demande comment l’État compte pallier ce besoin avec la prise en charge des frais additionnels d’études.
«Manque de vision»
Les parties prenantes évoquent également un manque de vision de la part du gouvernement. «L’éducation gratuite est une très bonne chose pour Maurice. Nous n’avons que nos ressources humaines donc il faut investir. Mais il faut savoir comment. Il faut faire un mapping à 360 degrés de la situation. Comprendre quels sont les jobs qui seront créés dans quelques années. Savoir où canaliser les étudiants. Est-ce que cela a été fait ?» s’interroge Roukaya Kasenally.
Pour Surendra Bissoondoyal, président de la TEC, il faut aussi inclure les écoles polytechniques pour que les étudiants puissent se parfaire dans des métiers, ce qui est tout aussi important. Un point que rejoint Reaz Chuttoo, syndicaliste président de la Confédération des travailleurs des secteurs privé et public. Regroupement qui a, pendant les 10 dernières années, fait cette demande auprès des gouvernements. «Il faut que ceux qui veulent se parfaire dans les métiers puissent avoir des diplômes, des licences. Qu’ils soient reconnus et que leur salaire soit calqué dessus.»
D’autre part, s’il accueille cette nouvelle sans réserve, Reaz Chuttoo dit comprendre les interrogations au sujet du financement d’une telle mesure. «Mais avec le salaire minimum, il y a une fermeture, petite mais bien présente, du wage gap. Les gens se remettent à consommer. En plus, dans les années à venir, nous aurons des centaines de milliers de travailleurs étrangers. Nous n’aurons pas à leur payer de prestation sociale de la retraite mais ils vont dépenser chez nous et payer la TVA par exemple.»
Quid de l’inquiétude que la qualité baisse ? Pour lui, pour que cela ne se produise pas, il faut promouvoir la filière vocationnelle. «Zot krwar ki zanfan pu galoupé pu al dan lékol. Mé selma si ankouraz zot al ver vokasyonel, pa pu éna mem rush ver liniversité», avance-t-il. D’ajouter que c’est surtout le niveau d’enseignement des chargés de cours qu’il faudra revoir et contrôler.
Quant à Surendra Bissoondoyal, il confie que les inquiétudes sont injustifiées. «Nous aurons bientôt la Quality Assurance Authority. Elle s’assurera de la qualité de l’éducation, qu’elle soit la meilleure possible. La Tertiary Education Commission accrédite maintenant tous les cours.»
Quid des infrastructures ? S’il conçoit qu’il y aura du boulot à faire, Surendra Bissoondoyal affirme que cela se fera avec ou sans enseignement supérieur gratuit. Et la recherche ne sera pas en reste, dit-il. «Nous avons alloué Rs 200 millions à la recherche. Nous n’avons pas beaucoup d’intérêts pour ce milieu, par contre.»
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