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Les Chagos: les juges de La Haye partagés
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Les Chagos: les juges de La Haye partagés
En sus de l’avis consultatif, 11 juges de la CIJ ont soumis leurs opinions personnelles. Des 14 juges qui siègent, 13 ont voté pour et la juge américaine Joan Donoghue a voté contre.
Pour la juge américaine, il ne fait aucun doute que cette affaire concerne un problème bilatéral entre deux États car il est question de souveraineté sur un territoire. Joan Donoghue a rappelé plusieurs tentatives de Maurice de porter cette affaire devant les instances internationales sur la question de la souveraineté. Dans le cas présent, même si le mot n’apparaît pas dans la demande de Maurice, «Court’s pronouncements can only mean that it concludes that the United Kingdom has an obligation to relinquish sovereignty to Mauritius». Ce qui lui fait dire que la CIJ n’aurait pas dû se prononcer sur cette affaire.
De son côté, le juge slovaque Peter Tomka a souligné qu’il n’a pas un avis tranché sur la question. S’il est d’accord avec le fait que l’excision des Chagos «n’a pas été validement menée à bien» et qu’il éprouve de la sympathie pour le peuple déraciné, il estime toutefois que la CIJ n’était pas l’instance appropriée pour se prononcer sur cette affaire. Le juge ajoute qu’il est «préoccupé par le fait que la procédure consultative est maintenant devenue un moyen de soumettre à la Cour des affaires contentieuses dont l’Assemblée générale n’a pas traité avant de demander un avis consultatif à l’initiative d’une des parties au différend». Pour soutenir ses dires, il explique qu’entre 1969 et 2016, la question des Chagos n’a jamais figuré à l’agenda de l’Assemblée générale.
Il n’a pas été le seul à émettre des réserves. Le juge français Ronny Abraham conçoit que «le respect de l’intégrité territoriale d’un territoire non autonome ‘constitue le corollaire du droit à l’autodétermination’». Néanmoins, il précise que la CIJ est allée trop loin en utilisant des termes donnant «une portée quasi absolue». Selon lui, «au regard en tout cas du droit international coutumier en vigueur à l’époque», cette portée quasi absolue est «des plus douteuses».
Le juge russe Kirill Gevorgian a, lui aussi, indiqué ne pas être en désaccord avec le contenu de la conclusion de la CIJ. N’empêche qu’à son avis, une telle déclaration traverse la ligne de démarcation qui sépare le rôle consultatif de la Cour et la juridiction contentieuse.
Mais d’autres déplorent le fait que la CIJ ne soit pas allée assez loin dans son avis. Le juge brésilien Antônio Augusto Cançado Trindade n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. «The Court, for reasons which escape my comprehension, in face of such an important matter (…) limiting itself to refer (here and there) (in paragraph 180) to ‘respect for the right to self-determination’ as ‘an obligation (for everyone)’. This does not make much sense to me, as it is utterly incomplete.» Il revient à la charge sur le même point dans une deuxième opinion qu’il a signée avec le juge jamaïcain Patrick Robinson.
La juge chinoise Xue Hanquin, vice-présidente de la CIJ, a exprimé son approbation totale avec cette décision. Selon elle, la question ne porte pas sur une dispute bilatérale, mais bien sur une dispute territoriale sur laquelle l’avis de la CIJ est sollicité pour guider l’Assemblée générale des Nations unies.
Quant au juge italien Giorgio Gaja, il a parlé de la décolonisation d’un territoire non autonome, du principe d’intégrité territoriale et du rôle de l’Assemblée générale des Nations unies pour déterminer comment procéder à la décolonisation. La création d’une nouvelle colonie (Territoire britannique de l’océan Indien) et l’expulsion de la population autochtone ne sauraient être considérées comme une forme de décolonisation conforme aux obligations découlant de la Charte des Nations unies. S’il est d’accord avec l’avis consultatif, il précise toutefois que l’Assemblée générale n’a pas demandé à la CIJ de dire comment la décolonisation aurait dû être menée et de ce fait, la Cour n’aurait pas dû se prononcer sur ce point.
Toujours est-il que selon la juge ougandaise Julia Sebutinde, l’avis consultatif omet certains faits importants, comme la possibilité de reconnaître que le droit à l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation a atteint un stade impératif, et qu’aucune dérogation n’est prévue. Comme ce droit inaliénable n’a pas été respecté lors de la décolonisation, la CIJ aurait dû examiner pleinement les conséquences de sa violation en répondant à la question du droit de retour.
Patrick Robinson a évoqué le droit à l’autodétermination en vertu du droit international coutumier. Il a parlé du rôle de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux nations et peuples coloniaux. Le prétendu consentement au détachement de l’archipel des Chagos n’était pas une expression libre et authentique de la volonté du peuple mauricien, y compris des Chagossiens. Le juge est revenu sur l’intervention de Liseby Elysé pour conclure que «the right to return to one’s country is a basic human right protected by Article 12 of the ICCPR. It is the humanity of the Chagossians that has been violated».
Nawaf Salam souscrit à l’essentiel du raisonnement de la CIJ. Cependant, le Libanais a fait ressortir que la Cour n’est pas allée assez loin et il trouve «regrettable que celle-ci n’ait fait, dans ce contexte, aucune mention expresse de la question de l’indemnisation éventuelle des Chagossiens».
Yuji Iwasawa, juge japonais, a parlé du droit des peuples à l’autodétermination et de l’expression libre et authentique de la volonté des personnes concernées. Il a évoqué le principe d’intégrité territoriale ainsi que le pouvoir discrétionnaire de donner un avis. Mais, selon lui, certains aspects du raisonnement suivi par la CIJ pour parvenir à ses conclusions peuvent ne pas être suffisamment clairs.
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