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Thierry Lagesse: «Le coup de massue est venu de l’instauration du salaire minimum…»
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Thierry Lagesse: «Le coup de massue est venu de l’instauration du salaire minimum…»
Entrepreneur connu, ayant des intérêts dans plusieurs secteurs économiques, Thierry Lagesse revient sur les raisons ayant entraîné la fermeture de Palmar qu’il a lancée en 1980. Dans la première partie de l’interview que nous publions aujourd’hui, il précise que depuis 2008, ses proches et lui ont réinjecté Rs 800 millions pour sauver Palmar. Il insiste que le coup de massue est venu de l’introduction du salaire minimum et de la hausse des charges sociales. Dans un second volet, il livrera ses analyses du secteur manufacturier d’exportation et des mesures pour booster celui-ci, s’expliquera sur sa Mercedès qui a défrayé la chronique et parlera de son avenir post-Palmar.
Nommés Receiver-Managers, Afsar Ebrahim et Yacoob Ramtoola n’ont pu redresser le groupe Palmar, dont vous êtes le propriétaire, entraînant ainsi sa mise en liquidation, avec 1 300 travailleurs qui se retrouvent sans emploi. Comment en est-on arrivé là après 30 d’existence du groupe ? Qu’avez-vous fait concrètement pour restructurer l’usine et la sauver éventuellement de cette fermeture et de tout le drame humain auquel on assiste actuellement ?
Disons d’emblée qu’Afsar Ebrahim et Yacoob Ramtoola, les «Receiver-Managers» de Palmar Ltée, ne pouvaient redresser une compagnie en 14 jours ! C’est impossible ! En revanche, ce que je peux dire à leur demande, c’est que nous avons présenté un plan de relance de sauvegarde de deux mois en nous basant sur les commandes évaluées à Rs 90 millions dont nous disposons.
Ce plan aurait nécessité du principal créancier, la MCB, une avance de Rs 30 millions pour financer cette opération incluant le paiement des salaires de janvier. Une démarche qui aurait permis de se préparer graduellement, soit à la vente de l’entreprise «as a going concern», soit à l’arrêt programmé de nos opérations. Or, pour diverses raisons, les «Receiver-Managers» et l’institution bancaire n’ont pas accepté cette proposition, ce qui a entraîné la fermeture de l’usine.
Il faut peut-être souligner que depuis le 7 février, Afsar Ebrahim et Yacoob Ramtoola avaient pris possession de l’entreprise. Du coup, les directeurs n’étaient pluds aux commandes et n’avaient aucune influence sur l’avenir de Palmar.
N’empêche que les travailleurs veulent savoir s’ils vont être adéquatement récompensés suivant la fermeture de l’entreprise ?
Indépendamment de la décision qui aurait été prise pour payer les salaires de février, il y a aussi la compensation à être accordée aux 1 300 employés et ce, conformément aux dispositions de la loi et du nombre d’années de service complétées.
Je sais par ailleurs qu’un certain nombre d’employés (Palmar employait 900 Mauriciens et 400 étrangers) avaient déjà été sollicités par d’autres entreprises. Je ne peux que les remercier pour avoir été associés à l’entreprise pendant ces 38 ans – plus d’un tiers comptant 15 ans de service et 96 autres plus de 25 ans. J’ai certains noms en tête comme Nicolette Bucktorah, Suzette Aza, Nadine Li Shim, etc.
Par ailleurs, il faut noter que Palmar était une des entreprises avec un ratio d’emploi de Mauriciens plus élevé par rapport à la totalité de sa main-d’œuvre, soit 70 % contre 30 % d’étrangers. Ce qui démontre notre intérêt de faire travailler plutôt des Mauriciens de certaines régions, dont l’Est.
Y a-t-il eu des mesures concrètes prises pour sauver l’entreprise ?
Bien sûr que oui. Toutes les décisions qui ont été prises, notamment par le biais d’injections de fonds propres par ma famille et moi-même, l’ont été pour faire croître l’entreprise, notamment dans une conjoncture internationale et locale défavorable, tout en préservant les emplois, plus particulièrement ceux des Mauriciens.
Les mesures, dois-je le souligner ?, ont été nombreuses et coûteuses. Chez Palmar, nous avons réinjecté quelque Rs 800 millions depuis 2008. Cette injection de fonds a mis à risques d’autres activités de ma société holding.
Je pense que nous avons pris notre part de risques tout en respectant nos obligations auprès des banques ainsi que les contributions sociales de l’État et ce, pendant les 38 ans d’existence de l’entreprise.
C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que je sollicite l’intervention de l’État pour prendre en charge le paiement de la «severance allowance» des employés de Palmar, dont le montant se chiffre à quelque Rs 73 millions. Ce qui devrait achever dans les meilleures conditions la formidable histoire de cette compagnie.
Avec le recul, quelles ont été les raisons qui ont entraîné la fermeture de Palmar ? Était-ce le coût croissant de la production ajouté aux nouvelles charges sociales et le faible niveau de productivité de la main-d’œuvre ?
Les raisons qui ont entraîné la fermeture de Palmar et d’autres entreprises sont d’ordre multiple. En premier lieu, il s’agit de l’application de la nouvelle norme comptable d’IRFS 9 (International Financial Reporting Standards) à partir de juin 2019. Je comprends qu’une banque ou un établissement de crédit ne peut continuer à financer une entreprise ou des particuliers si ceux-ci n’arrivent pas à repayer leurs intérêts et leurs dettes dans les trois mois après l’échéance, sans que les dirigeants de la banque ne soient accusés de soutien abusif.
C’est la principale raison technique qui a poussé Palmar à la fermeture car elle n’a pu démontrer suffisamment de cash-flow (capacité d’autofinancement) au-delà de mars 2019, même si elle était en attente de commandes pour assurer la continuité de ses opérations et malgré le fait qu’elle a été quasiment profitable pour les six derniers mois de l’exercice financier 2018.
Serait-ce, selon vous, des défis auxquels sont généralement confrontées des entreprises manufacturières tournées vers l’exportation ?
Une entreprise tournée vers l’exportation connaît des hauts et des bas. Tantôt elle est profitable, tantôt elle est déficitaire. Tout est une question de commandes, de volumes et de prix. Le coût de production est le facteur essentiel de compétitivité chez une entreprise manufacturière. À Palmar, nous avions un coût de production compétitif alors même que nous étions dans une phase de transition, passant du moyen de gamme à la fabrication de produits griffés.
Il est important de noter que pour abaisser les coûts de production, dans un marché international où les prix de vente sont dictés par la concurrence, il faut constamment, d’une part, augmenter le volume produit et vende par jour afin de maintenir sa profitabilité et, d’autre part, évoluer dans un mix de produits griffés et moyens de gamme à prix inférieur.
Nous n’avions pas eu le temps de compléter cette transition, faute de fonds additionnels à injecter outre les Rs 800 millions déjà investies. Il faut se dire que le passage d’un produit moyen de gamme vers le haut de gamme est nécessairement coûteux de par le petit volume de commandes, la difficulté de les réaliser et l’exigence de qualité de la clientèle.
Par ailleurs, refuser des commandes à des prix bas et non-rémunérateurs équivaut à ne pas remplir les capacités de production, donc s’exposer à des pertes en attendant la prise de commandes plus rémunératrices.
Certains opérateurs se plaignent de l’introduction du salaire minimum et d’autres augmentations de charges sociales comme facteurs ayant contribué à alourdir leurs coûts de production, à dégrader les finances de leurs entreprises et provoquer la chute des exportations. Cela a-t-il été le cas pour Palmar ?
Le coup de massue donné aux entreprises manufacturières d’exportation demeure évidemment l’instauration du salaire minimum et l’augmentation additionnelle de Rs 400 par travailleur, les deux combinées entraînant une hausse de 61 % du salaire de base sur deux ans, auxquels il faut ajouter près de 23 % de charges sociales incluant le 13e mois. Résultat des courses : une élévation de presque 75 % du coût de l’emploi d’un travailleur mauricien. Ce que je considère comme insupportable pour une entreprise textile et habillement opérant à l’export.
Et quid de la productivité ?
Autant que je sache, la productivité à Maurice n’a jamais crû dans le même sens que l’augmentation de salaires. Il y a toujours eu un décalage défavorable pour les producteurs et un avantage certain pour le travailleur/consommateur. Par ailleurs, un ouvrier sur une machine à coudre peut difficilement faire plus que son rythme normal de travail.
«Nous avons pris notre part de risques, tout en respectant nos obligations et ce, pendant les 38 ans d’existence de l’entreprise.»
Est-ce que la délocalisation de vos opérations aurait pu être une solution pour éviter le pire ?
Je ne voulais pas délocaliser mes opérations hors de Maurice car j’ai fait le choix d’y rester. Cette formidable aventure industrielle a apporté des satisfactions, des moments de joie et forcément des déceptions. Cette entreprise est issue de l’acquisition en 1979 de Sportswear Ltd à Argy, une unité de textile placée en liquidation par la MCB.
C’était mon premier acte d’entrepreneur quand j’ai racheté l’entreprise que nous avons démarrée sous le nom de Palmar le 1er octobre 1980 avec 24 employés, dont une certaine Maryse Michel, qui a été mon bras droit pendant les dix premières années.
Il faut dire que la croissance de l’entreprise s’est faite par des acquisitions. Car par la suite il y en a eu une série. Nommément Clemence Garment et Jeanswear Ltd, deux fabricants de pantalons, Tee Sun et Magnum Garments.
A posteriori, en regardant le relevé de mon «floating charge» depuis mes débuts dans le secteur, je me rends compte que j’ai racheté l’entreprise Sportwear Ltd avec ses dettes pour un montant totalisant Rs 675 000, outre des fonds propres d’une valeur de Rs 200 000 que j’ai injectés. Je suis fier d’avoir, sans compter les heures, avec mes frères Stéphane et Amaury et tous les employés fait grandir l’entreprise qui est devenue une référence dans son créneau.
Par la suite, les conditions économiques locales, avec une roupie trop forte de 30 % face l’euro, ont fait que les directeurs n’ont pu continuer pour pouvoir léguer l’entreprise à la prochaine génération.
Vous avez été associé au secteur manufacturier pendant de nombreuses années. Quel constat faites-vous de la manufacture mauricienne, plus particulièrement la filière textile et habillement. Estimez-vous que la fermeture de Palmar soit symptomatique d’une crise plus profonde à laquelle le secteur textile est confronté actuellement ?
Comme souligné plus tôt, mon engagement dans le secteur manufacturier remonte à plus de 40 ans. Pour situer l’évolution de ce secteur et répondre éventuellement à votre question sur la crise à laquelle il est confronté, il faut rappeler les différentes vagues d’industrialisation quel le pays a connues.
Il y a eu d’abord la période de 1973 à 1979, où l’investissement dans ce secteur était majoritairement étranger avec une faible proportion d’industriels mauriciens venant essentiellement du secteur sucre. Et cela pour une raison simple : c’était un territoire inconnu.
Cette période, rappelons-le, était aussi caractérisée par un taux d’inflation élevé et une conjoncture économique difficile. De nombreuses entreprises d’exportation avaient dû cesser leurs opérations.
Par la suite, il a eu une première incitation gouvernementale avec la double dévaluation de la roupie, près de 50 % au total, en 1979 et 1980. Ce qui a boosté la compétitivité de la production mauricienne, celle tournée vers l’exportation. D’où ma décision de saisir cette opportunité pour lancer Palmar.
C’était le début d’une nouvelle reprise industrielle dans le pays ?
Tout à fait. à compter de 1980 et suivant la double dévaluation de la roupie, les opérateurs ont commencé à avoir plus confiance en la production faite à Maurice, attirant par la même occasion bon nombre d’industriels hongkongais qui ont profité des avantages liés au quota vers les États-Unis pour lancer des entreprises et créer massivement des emplois pour des Mauriciens. Par ailleurs, la décision d’une légère dépréciation de la roupie de l’ordre 5 % annuellement par rapport aux devises étrangères a permis de maintenir des emplois dans le secteur manufacturier d’exportation et assurer la croissance jusqu’à 2010.
On relèvera que ce climat d’affaires et cet environnement industriel ont duré jusqu’à 2006. Depuis, la roupie n’a fait que se maintenir vis-à-vis de l’euro, qui est la principale monnaie d’exportation dans le secteur. Parallèlement, au cours des 12 dernières années, si on estime qu’il y a eu une croissance annuelle de 3 % nette de l’inflation, on constate que le coût de production moyen a du coup augmenté de 47 %. Ainsi, il est devenu impossible à une entreprise manufacturière opérant à Maurice de prospérer. En conséquence, il est facile de comprendre la délocalisation vers Madagascar, le Bangladesh et le Vietnam de mes concurrents, dont la CMT, Ciel Textile ou encore World Knits.
Je n’ai pas pris la même décision car mon objectif était de rester producteur exclusivement à Maurice.
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