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Démission de Lutchmeenaraidoo: du miracle à la honte
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Démission de Lutchmeenaraidoo: du miracle à la honte
«Il était de bonne humeur et a même fait des blagues.» C’est ce qu’on confie au ministère des Affaires étrangères au sujet de Vishnu Lutchmeenaraidoo. Ce dernier a remis, jeudi 21 mars après-midi, sa lettre de démission en tant que ministre des Affaires étrangères et député de la circonscription n°7. Chronologie de cette journée qui chamboule la scène politique, faisant entrer Nando Bodha à ce portefeuille et partir la conseillère Shakuntala Jugmohun.
La démission du ministre des Affaires étrangères est loin de n’être qu’une brève, comme celle glissée entre les derniers sujets du JT de 19 h 30 de la Mauritius Broadcasting Corporation, jeudi soir. Son départ comme ministre et député de l’Assemblée nationale aura des répercussions sur la scène politique. D’autant que Vishnu Lutcmeenaraidoo n’est pas un novice en politique…
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Pourtant, à hier matin, rien ne présageait un tel chambardement. Vishnu Lutchmeenaraidoo est parti au bureau comme à l’accoutumée. Il a aussi eu des réunions de travail, dans la matinée, avec des membres du personnel.
«Il était de bonne humeur et a même fait des blagues», confie-t-on au ministère. D’ailleurs, à l’heure où il remettait sa lettre de démission au président de la République par intérim, Barlen Vyapoory, on recevait, nous, à la rédaction, une invitation du ministère de l’Intégration sociale pour une remise de clefs, cet après-midi, à Petit-Raffray, où ce dernier figurait parmi les dix parlementaires invités. Et où, finalement, n’étaient présents que Ravi Rutnah et Alain Wong…
Pravind Jugnauth informé
Tout s’est joué en début d’après-midi. Avant de tirer sa révérence, l’ex-ministre en a informé le chef du gouvernement, Pravind Jugnauth, actuellement à Londres, ainsi que la présidente de l’Assemblée nationale, Maya Hanoomanjee, elle aussi en déplacement à l’étranger.
Au retour du Réduit, c’est en simple civil que Vishnu Lutchmeenaraidoo est retourné au ministère des Affaires étrangères, à la Newton Tower. Il est alors peu avant 15 heures. Il annonce son départ, d’abord à la secrétaire aux Affaires étrangères, Usha Dwarka-Canabady, et ensuite, à la demande de cette dernière, aux autres fonctionnaires de ce ministère.
Les dessous d’une démission
Que cache l’«Enough is enough! » de Vishnu Lutchmeenaraidoo ? «Une accumulation de choses, même s’il se montrait très bien dans sa peau aux Affaires étrangères. Son départ n’a pas été décidé sur un coup de tête», résume-t-on dans l’entourage du principal concerné.
Port de pêche et «hub» maritime
L’on évoque, d’abord, comme rapporté dans notre édition de mardi, la délocalisation du port de pêche de Bain-des-Dames à Fort-William. Mais, plus largement encore, le retard pris dans le développement du hub maritime, au programme de son Budget lorsqu’il était Grand argentier, en 2015. Dans son discours à Balaclava, mercredi 13 mars, en présence du président malgache, Andry Rajoelina, Vishnu Lutchmeenaraidoo a été on ne peut plus clair.
«(…) Un port qui soit à la hauteur de l’ambition de la région. Là aussi – je suis assez brutal, Monsieur le président. Ça fait trois ans qu’on en parle. Le projet est encore actuellement au niveau de projet. Comment développer l’industrie de la pêche si on n’a même pas de port de pêche ? Donc, je dois ici seek indulgence. C’est-à-dire que nous avons de grands projets qui ne partent pas tellement», avait déclaré l’ex-ministre des Affaires étrangères à cette fonction.
Le taux de croissance de «la honte»
«Nous sommes pris dans ce que l’on appelle la trappe d’un pays à revenu moyen. Condamné depuis dix ans déjà. Trois pour cent de taux de croissance. On s’en flatte. Moi j’ai honte.» Vishnu Lutchmeenaridoo a beau être «toujours constant» dans ses différents discours sur le taux de croissance de 3,9 %, comme soutenu par ses proches collaborateurs, mais les propos «tranchants» tenus par l’ex-ministre, à Balaclava, mercredi dernier, résument tout.
Dossier Chagos : l’absence de Lutchmeenaraidoo le 25 février fait jaser
Les ministres sir Anerood Jugnauth, Ivan Collendavelloo, Anil Gayan, Nando Bodha, Fazila Jeewa-Daureeawoo ainsi que le secrétaire financier Dev Manraj. Ce sont les seuls acteurs présents au-devant de la scène lors de la conférence de presse du chef du gouvernement Pravind Jugnauth lorsque la Cour internationale de justice a rendu un avis consultatif favorable sur le dossier Chagos, le 25 février. L’absence de Vishnu Lutchmeenaraidoo, alors ministre des Affaires étrangères, a suscité une série de commentaires. Le principal concerné, loin de rester indifférent à cela, a, en coulisses, uniquement tenu une session de travail sur le «What’s next» avec des cadres du ministère.
Échec économique
Dans l’entourage proche du Premier ministre, une voix discordante croit, elle, savoir que Vishnu Lutchmeenaraidoo «veut se dissocier de l’échec économique indiscutable de son gouvernement. Et, aussi, c’est une façon de se venger pour avoir été mis totalement à l’écart de tout, dans une cave ou, pire, un trou. Dans son for intérieur, il doit penser qu’il aurait pu faire beaucoup mieux à ce ministère des Finances sans ministre des Finances.»
Rétrospective : du miracle au passage à vide
Depuis sa relégation aux Affaires étrangères en mars 2016 dans le sillage du scandale Euroloan, Vishnu Lutchmeenaraidoo était sur le seuil de la petite porte. Hier, il l’a franchi. Celui qui nous avait promis un miracle s’en va après un passage à vide. Flash-back.
Avant qu’il ne soit l’un des principaux artisans du démantèlement de l’empire de Dawood Rawat en avril 2015, Vishnu Lutchmeenaraidoo avait présenté son seul et unique Budget de ce présent mandat. «At the crossroads», c’était le titre du Budget 2015-2016, présenté le 23 mars 2015. À l’époque, trois mois après la prise de pouvoir, l’attente est grande. C’est le premier Budget du gouvernement Lepep qui avait comme porte-drapeau le tandem SAJ-Vishnu, reconstitué pour produire un deuxième miracle économique.
Vishnu Lutchmeenaraidoo va s’appuyer dans ce Budget sur les Smart Cities, ce qui lui attirera les critiques acerbes des syndicats et partis de gauche, qui l’accusent de faire le jeu de l’oligarchie sucrière. Mais on se souviendra surtout de ce Budget car il déclarait la guerre à la «nasion zougader».
Une rhétorique qui allait lui revenir dessus comme un boomerang quand éclate le scandale de l’Euroloan, le 12 mars 2016. On apprend, ce jour-là, que le ministre des Finances avait, en juillet 2015, demandé un emprunt de 1,1 million d’euros à la State Bank of Mauritius. Demande qui allait être agréée le 11 septembre de la même année.
Vishnu Lutchmeenaraidoo révèle lui-même sur sa page Facebook qu’il a utilisé l’argent – en affirmant qu’au final il n’a pris que 400 000 euros – pour spéculer sur l’or. Mais on apprendra plus tard qu’il a, en fait, investi dans le change. «Goldfinger, Zugad’Or», fusèrent sur les réseaux sociaux. À l’époque (NdlR, un an plus tard, l’express allait révéler toute la documentation), tous croyaient que le taux d’intérêt de 1,5 % était une faveur. Vishnu Lutchmeenaraidoo accuse dans un affidavit Roshi Bhadain, alors ministre de la Bonne gouvernance, d’avoir orchestré un complot contre lui. Il affirme même que sir Anerood Jugnauth (SAJ) était au courant de l’emprunt. Mais la tempête était trop forte. SAJ
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