Publicité

Dans le placard de Michel de Ravel de l’Argentière

28 avril 2019, 20:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Dans le placard de Michel de Ravel de l’Argentière

Un homme de confiance. C’est ainsi qu’un ancien ami de Michel de Ravel de l’Argentière l’aurait décrit avant ce drame humain. Dans son entourage, nul n’aurait douté que derrière cette façade d’homme d’affaires connu et respecté, se cachait un pédophile. Mais alors qu’il a été reconnu coupable sous 21 chefs d’accusation en août 2018, la magistrate Niroshini Ramsoondar lui a «infligé» trois cautions de bonne conduite le mercredi 24 avril. Pas de peine d'emprisonnement. Le bureau du Directeur des poursuites publiques a interjeté appel. Mais en attendant, le coupable est libre.

Pourtant, Michel de Ravel aurait pu écoper, selon un homme de loi, d’une peine d’emprisonnement de cinq ans pour avoir été trouvé coupable sous 12 accusations d’attentat à la pudeur sur un mineur de moins de 12 ans. La même peine aurait pu lui être infligée pour avoir été trouvé coupable sous huit chefs d’accusation pour «rape, attempt upon chastity and illegal sexual intercourse». Sans compter d’une peine de prison ne dépassant pas 10 ans pour relation sexuelle avec mineur de moins de 16 ans.

Mercredi, en cour. Difficile de dire ce qui se passe dans la tête de cet homme qui s’appuie sur une canne pour se déplacer. Sur son visage impassible, à un moment, on croit y apercevoir une ébauche de sourire – peut-être est-ce un rictus – lorsqu’il quitte la salle d’audience, accompagné de son épouse et ses deux enfants. Il s’appuie sur le bras de sa femme, se dirige vers la cage d’ascenseur. Il ne dira qu’une seule chose aux journalistes : «Je suis satisfait…»

Si Michel de Ravel est aujourd’hui un homme libre, c’est surtout à cause de sa tumeur au cerveau, décelée en novembre 2018. Un neurochirurgien a témoigné en cour, affirmant que Michel de Ravel a subi une opération visant à enlever ladite tumeur. Il est désormais sous traitement post-opératoire. Seuls 25 % de personnes dans son cas survivent la première année après l’opération et uniquement 6 % à 8 % des patients survivent au-delà de deux ans, a affirmé le médecin. Une réaction allergique au premier traitement post-opératoire aurait diminué les chances de survie de Michel de Ravel. Selon le verdict de la magistrate, le diagnostic est tel que «la cour est en mesure de voir que les risques de récidive de l’accusé sont négligeables».

En attendant que s’avèrent les dires du médecin, Michel de Ravel est rentré chez lui, à Tamarin, là où vivent également ses victimes. Lorsque cette affaire éclate en 2012, une onde de choc se propage dans cette région très sélecte de l’Ouest. Le «bourreau» – comme le surnomment certains – et ses victimes, font tous partie d’un cercle fermé où seuls les parents et amis intimes sont admis. Les victimes sont par ailleurs ses nièces, les amies de sa fille, les filles de ses amis…

La plus jeune victime âgée de quatre ans

Lorsque cinq victimes portent plainte, dont ses trois nièces, le tabou vole en éclats. Trois autres victimes se joindront à elles quelque temps après. L’on révèle également l’existence d’une maîtresse. La fille de cette dernière a elle aussi été une victime de Michel de Ravel.

Les révélations sont choquantes. Les abus ont été perpétrés pendant près de 20 ans, entre 1980 et 2000. Sa plus jeune victime était âgée de quatre ans… Au CCID en 2012, Michel de Ravel ne nie pas les accusations qui sont portées contre lui. Il indique même s’être rendu chez un psy à La Réunion pour cette «attirance» qu’il avait envers les petites filles. Son avocat d’alors, Me Sidhartha Hawaldar, avance qu’il n’a pas eu de comportements obscènes sur des fillettes depuis 2004.

En 2015, le Directeur des poursuites publiques décide de poursuivre formellement Michel de Ravel sous 21 chefs d’accusation d’attentat à la pudeur. Le suspect avait plaidé coupable pour seulement 15 d’entre eux. Son procès a débuté en 2016 pour prendre fin le 21 juin.

En cour, Michel de Ravel indique qu’il ne peut plus sortir dans sa localité, que ses amis l’ont délaissé et que sa réputation a pris un sale coup. Tout cela pour des «jeux». Oui, des «jeux». Car en cour, il dira ceci : «C’étaient des jeux et je n’ai jamais voulu leur faire de mal. Les enfants m’adoraient (…) Ces filles m’aimaient bien et elles continuaient à venir chez moi jusqu’en 2011». Il y a aussi cette révélation de taille : Michel de Ravel de l’Argentière aurait lui-même été victime d’abus quand il avait entre neuf et dix ans. Par le fils de sa bonne.

Charlotte Common, pasteure, intervient également en sa faveur en cour. Cette dernière dirige un programme pour les victimes d’abus sexuels. Elle indique avoir rencontré Michel de Ravel en décembre 2012, soit après que ses victimes ont porté plainte. Elle explique que l’homme d’affaires avait l’air traumatisé, qu’il avait suivi une thérapie et en était sorti «guéri».

Son épouse, Sophie de Ravel, reste à ses côtés tout au long de l’affaire. «La pensée de quitter mon mari ne m’est jamais venue à l’esprit», déclare-t-elle en cour, lorsqu’elle est appelée à la barre des témoins. Elle était au courant des pulsions pédophiles de son époux, qui s’était confié à elle. Elle demande qu’on lui accorde une seconde chance car «il ne vit plus» depuis que cette affaire a éclaté en 2012. «Socialement, c’est la honte.»

Si du côté de la famille de Michel de Ravel de l’Argentière c’est «la honte», du côté des victimes, c’est le traumatisme à vie, le dégoût, la révolte. Ce papa serre les poings et les dents, en repensant à ce que sa fille a subi. «Et là, alors qu’on le trouve coupable, il s’en sort indemne. S’il souffre vraiment, n’y a-t-il pas de traitement médical en prison ?»

Pour ce père de famille, Michel de Ravel ne souffre que «du regret d’avoir été démasqué». «S’il regrettait vraiment son acte, comment a-t-il pu faire cela à autant de victimes ? Comment son épouse, qui était au courant, a-t-elle pu laisser passer cela ? Elle devrait également avoir des comptes à rendre…»

L’ami jadis proche de Michel de Ravel de l’Argentière, lui, ne comprend toujours pas. «Je n’aurais jamais cru qu’une personne comme lui aurait pu faire cela, vraiment. J’avais une totale confiance en Michel.» Ce père soutient qu’il n’était au courant de rien jusqu’à ce que l’affaire éclate en 2012. «À penser que toutes ces années, après avoir abusé de ma fille, on était toujours amis. Il n’a jamais rien dit, on ne se doutait de rien.»

De Ravel au CCID, en juin 2012, après que ses victimes ont porté plainte contre lui.
Comparution en cour de Bambous en juillet 2012.
Quelques-unes des victimes entourées de leurs familles, lorsque De Ravel a été reconnu coupable en 2018.

Lui, devra vivre avec ce sentiment de culpabilité. «Comment n’ai-je rien vu ? J’aurais dû protéger ma fille…» Après les faits, avec le recul, il se dit qu’il y avait pourtant des «signes», qui auraient pu, dû, l’alerter. Car, malgré leur jeune âge, certaines filles faisaient allusion à «certaines choses». 

Mais la confiance envers De Ravel était trop grande. Et la réalité trop horrible pour qu’il puisse la concevoir.