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Coopération régionale: la stratégie africaine se cherche encore
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Coopération régionale: la stratégie africaine se cherche encore
Les autorités locales tentent d’affiner leur stratégie d’investissement sur le continent africain. Elles font toutefois face à un handicap de taille : la méconnaissance du terrain.
Les récentes visites successives de trois dirigeants africains, nommément le Mozambicain Filipe Nyusi, le Malgache Andry Rajoelina et le Kenyan Uhruru Kenyatta, confirment-elles une volonté réelle du pays d’affirmer sa stratégie africaine ? Hasard du calendrier ou nouvelle offensive pour relancer la diplomatie économique avec l’Afrique ? Les avis sont partagés. Si les ambassadeurs au ministère des Affaires étrangers répondent positivement à cette nouvelle stratégie africaine et y fondent beaucoup d’espoir, en revanche, les spécialistes de l’Afrique estiment qu’en quatre ans, les bases d’un partenariat économique se font toujours attendre.
Amédée Darga, directeur général de Straconsult ABS (Africa Business Service), est catégorique. «La stratégie africaine manque de cohérence géographique par rapport à celle du pays», soutient-il. Même si, au détour, il qualifie les récentes visites de trois dirigeants africains de positives vu qu’elles sont concentrées dans des régions où le pays dispose d’avantages compétitifs.
Toutefois, suivant un récent appel de déclaration d’intérêt pour des projets privés hors de Maurice, Amédée Darga note que face aux six pays que le gouvernement considère comme étant favorables aux investissements, il y avait au moins trois qui ne devraient pas figurer dans les régions prioritaires de Maurice, que sont l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe. Cela, car il s’agit de zones à forte croissance économique, en sus d’être politiquement stables. Les trois pays sont le Ghana, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Cela n’empêche pas, ajoute-t-il, les opérateurs engagés dans le Global Business et les TIC de s’y aventurer.
Le directeur général de Straconsult ABS s’interroge, dans la foulée, sur le «response» suivant une Expression of Interest lancée par le Mauritius Africa Fund (MAF) en avril 2017, portant sur la création d’un Village des technologies de l’information et de la biotechnologie à Grand Bassam, en Côte d’Ivoire. «Je serais très curieux de savoir aujourd’hui quel a été le résultat et combien le MAF y a investi.»
En fait, la volonté de Maurice d’exploiter les opportunités d’affaires sur le continent africain ne date pas d’hier. Il n’y avait cependant pas de stratégie clairement définie avec des objectifs précis. D’autant que l’Afrique a ses propres spécificités. «Il est impossible, voire suicidaire, de se lancer dans l’aventure africaine en adoptant un ‘one size fits all’», explique Afsar Ebrahim, Deputy Group Managing Partner au sein du groupe BDO et cofondateur de l’Africa Business Club.
Il ne cesse de répéter que l’Afrique, ce sont 54 États, 54 régimes politiques, et 54 marchés distincts. Du coup, si l’on ne fait pas en amont le travail de terrain, on sera confronté à des difficultés. «Avoir la vision c’est bien, mais avoir un plan d’action qui répond aux réalités économiques et sociales de l’État où on souhaite opérer, c’est encore mieux.»
Entre-temps, des spécialistes se posent des questions sur le budget de Rs 500 millions de l’Africa Fund pour développer des zones économiques en Afrique ; les 400 hectares de terres de la zone industrielle jouxtant le port Ehoala à Fort-Dauphin à Madagascar ; ou encore la technopole du Ghana. Ils s’interrogent, en sus, sur la rationalité des accords bilatéraux avec le Togo et le Burkina Faso pour le développement et l’application des logiciels.
Mathieu Mandeng, le CEO de la Standard Chartered Bank (Mauritius), dont 90 % des opérations se font à l’international, dont l’Afrique, tente de répondre à cette question. «L’Afrique étant la prochaine frontière de croissance, Maurice développe ainsi un partenariat pour le partage de la prospérité avec le continent.» Il cite le MAF, dirigé par Yash Manick, pour développer les Special Economic Zones avec quatre pays pionniers que sont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Ghana et Madagascar. «Ce faisant, Maurice permet de gérer les risques liés aux problèmes de bonne gouvernance, de l’environnement des affaires, d’infrastructures et d’intégration régionale. Maurice prend ainsi avantage de sa part de développement sur un continent dont la forte croissance est tirée par les 3 ‘C’ que sont ‘commodities’, ‘consumption’ et ‘corridors’», déclare-t-il.
Quid des traités fiscaux pour structurer des investissements entre Maurice et l’Afrique ? Le ministre des Services financiers, Sudhir Sesungkur, voit dans l’Afrique et accessoirement ces traités fiscaux un réel boost-up pour attirer des investissements. «L’Afrique recèle d’individus financièrement fortunés qu’on peut potentiellement attirer pour dynamiser notre secteur financier.»
Or Amédée Darga ne partage pas cet avis. Il insiste que l’existence des traités fiscaux est moins importante aujourd’hui. «On dit que Maurice a investi environ USD 3,47 milliards sur le continent africain en 2013 et 2014. Or, les statistiques de la Financial Services Commission indiquent que les investissements quittant Maurice pour atterrir en Afrique ont chuté, passant de USD 3,57 milliards en 2016 à USD 2,13 milliards en 2018.» Néanmoins, l’investissement injecté au Kenya a augmenté durant la même période, provenant essentiellement des recettes des activités sucre et celles du secteur financier.
Que faire pour développer cette stratégie africaine ? Business Mauritius estime que le gouvernement doit créer une plateforme pour encourager les entreprises à investir et consolider leurs opérations en Afrique. Le patron de Straconsult ABS abonde dans le même sens, proposant une intensification de la diplomatie politique et économique en Afrique orientale et australe. S’il suggère que le MAF participe au capital des projets en Afrique, ne serait-ce qu’à hauteur de 5 %, c’est surtout pour la protection du drapeau mauricien face aux risques liés à cet État.
Autres propositions : le soutien financier aux exportateurs de services et lobby pour les aider à conquérir des marchés publics ; ainsi que faire de l’aéroport une plateforme pour le commerce des pierres précieuses entre l’Afrique et l’Asie. En attendant, la stratégie africaine est confrontée à d’énormes défis face à une nouvelle configuration du marché en Afrique subsaharienne.
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