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Pension: Rs 13 milliards à trouver pour financer ce cadeau électoral

27 mai 2019, 21:52

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Pension: Rs 13 milliards à trouver  pour financer ce cadeau électoral

Les économistes  mettent en gardent  contre une politique de terre brûlée

La publication «MCB Focus» remet sur le tapis le possible réajustement de la pension des seniors, qui augmenterait alors de Rs 6 210 à Rs 8 500, montant équivalant au salaire minimum. Estce que le gouvernement a la capacité financière d’honorer une telle promesse ?

Le dernier MCB Focus vient de tirer la sonnette d’alarme : un éventuel alignement de la pension de vieillesse sur le salaire minimal exercerait de fortes pressions sur les finances publiques et entraînerait une dégradation du déficit budgétaire.

La question est posée actuellement avec pertinence alors que le pays est appelé prochainement à entrer de plain-pied  dans la campagne électorale de 2019  avec à la clé des promesses électorales, les unes plus inimaginables que les autres. D’ailleurs, une de ses promesses a été justement une proposition  l’année dernière du Premier ministre portant sur une possible augmentation de la pension  des seniors pour l’aligner sur le salaire minimum qui est chiffré  cette année à Rs 8,500 cette année.

Pravind Jugnauth compte-t-il refaire le coup de 2014 en faisant miroiter les seniors d’une nouvelle hausse de pension en espérant en contrepartie qu’ils les rallieront  à sa cause car c’est un bassin électoral non-négligeable, estimé à plus de 215,000. Soit un peu plus d’un quart des électeurs du pays.

Aujourd’hui, économistes et actuaires sont unanimes à reconnaître que les finances du pays ne pourront pas absorber le coût d’une telle mesure. Un simple calcul montre d’ailleurs qu’un tel réalignement de la pension, passant de Rs 6,210 à Rs 8,500  entrainerait une hausse de 37% et nécessiterait des revenus additionnels de Rs 13 milliards dans la caisse de l’Etat.

Est-ce que le gouvernement   a la capacité financière d’honorer une  telle promesse ? A cette question, l’économiste Pierre Dinan estime qu’il peut le faire  à condition toutefois « s’il est disposé à augmenter le déficit budgétaire d’année en année, et ce, de manière exponentielle, vu que le nombre de seniors ne cessera d’ augmenter au cours des années qui viennent ».Ou encore «  s’il envisage d’augmenter l’Income tax, la Taxe à valeur ajoutée , des taxes sur les cigarettes, le jeu et l’alcool. »Et qu’il soit , dit-il «  à « l’aise de voir la dette publique s’alourdir, ce qui augmentera la pression sur la population active de ce pays, celle sur qui le pays doit compter pour poursuivre un développement équilibré » Et Pierre Dinan d’ajouter enfin «  si le gouvernement envisage  de recourir, le cas échéant, à la dépréciation de la roupie afin de faciliter les exportations pour maintenir un niveau acceptable de croissance, mais sans tenir en ligne de compte les effets de hausse du coût de la vie »

Mais là où le bât blesse est que le gouvernement ne saisit pas ou feint de ne comprendre toute la problématique liée à la pension de vieillesse, dont celle  du  vieillissement de la population et de son impact sur le budget social. Gilbert Gnany , économiste et Chief Strategy Officer à la MCB définit trois scénarios possibles liés à une hausse de la  « Basic Retirement Pension » ( BRB) dans la dernière édition du MCB Focus.

 A savoir qu’ une éventuelle hausse de la pension indexée sur le taux d’inflation actuellement l’augmentera de 0,7%, représentant 4% du PIB contre 3,3% du PIB actuellement ; deuxièmement, une majoration de 2,5%, qui est la moyenne du niveau d’inflation ces dix dernières années, entraînera une augmentation  de 1,5% de la pension annuellement pour s’élever à 4,8% en 2027 par rapport à 3,3% en 2017 ; enfin une pension alignée sur le salaire minimal, estime Gilbert Gnany et assortie d’une augmentation moyenne de 2,5% annuellement de  l’inflation, porterait à 45% le pourcentage d’augmentation de la pension de vieillesse( celle-ci est calculée à Rs 9,000, incluant tous les bénéfices).

Financièrement insoutenable

Une situation qui interpelle  l’actuaire Bernard Yen, directeur général d’AON Hewitt, estimant  que si le gouvernement a effectivement en tête la majoration  de la pension universelle, il doit être prêt à faire face aux sérieux problèmes qui surgiront dans le long terme par les experts. A savoir que  le BRP qui représente un peu plus de 3% du PIB( Produit Interieur Brut)aujourd’hui ,estimé à Rs 485 milliards,  passerait à 8%, si rien n’est fait pour  réformer le système, souligne-t-il  «  Passer de 3 à 8% du PIB, c’est financièrement insoutenable pour l’économie nationale » explique le patron d’AON Hewitt. Et d’alerter l’opinion  que  l’augmentation de l’enveloppe financière de la pension  de vieillesse, d’une année à l’autre , explose et constitue  est  une véritable bombe à retardement.  Autant agir, selon  lui,  aujourd’hui pour amortir ce coût dans l’avenir.

En fait, le raisonnement est simple : plus la population vieillit, moins on prélève les impôts pour financer la pension de vieillesse car au final il y aura moins de gens en âge de retraite de travailler et de payer les taxes.

Selon Swadicq Nuthay, économiste, la croissance de la population active(qui se définit comme l’ensemble des personnes en âge de travailler et qui sont disponibles sur le marché, qu’elles aient un emploi ou qu’elles soient au chômage), est en train de ralentir. Pour preuve, le ratio de la population active était de 65,5% en 2017 et selon les projections du ministère de la Santé, ce chiffre va régresser pour passer à 58,9% en 2037 et 53% en 2057. Dans la même foulée, la croissance de la population vieillissante va s’accélérer avec un «  Pensionner Support Ratio », soit le ratio des personnes professionnellement actives  face aux retraités de la société, en baisse. Si ce ratio de dépendance des personnes âgées était de 4 en 2017, c’est-à-dire pour chaque personne âgée de entre 15 et 59 ans, il  sera de 2 en 2032 et de 1 en 2032. En clair, il y aura une seule personne en activité professionnelle pour soutenir les charges financières d’un retraité. Ce qui fait dire  à l’économiste Swadicq Nuthay que le vieillissement de la population « représente un risque significatif pour la visibilité à long terme des finances publiques ».

Est-ce que le ciblage demeure une solution à cette problématique ? Pas nécessairement, rétorque Bernard Yen, soutenant que cette option aurait pu être efficace si elle était une réalité 15 ans de cela, soit en 2004 quand la proposition avait été évoquée et discutée au sein du gouvernemetn. Mais il estime que la manière de le faire à l’époque était maladroite, voire traumatisante et  que ce sera difficile de tenter une nouvelle expérience. « Je préfère aujourd’hui que nous  privilégions  l’option de repousser le paiement de la pension à l’âge de 65 ans  au lieu de 60 ans avec une transition en douceur sur 10 ans. Cette transition était prévue entre 2008 et 2018 mais n’a pas été appliquée. Nous avons perdu 10 ans mais si nous commençons maintenant, nous pouvons y arriver en 2028. Mieux vaut tard que jamais »

Reste l’allongement de l’âge de la  retraite à 65 ans. Si dans le privé, l’âge de la retraite a été étendu à 65 ans , la  pension de vieillesse est pour sa part toujours payable à 60 ans, ce qui relève d’ une contradiction pour Bernard Yen . D’autant plus, insiste –t-il, que la pension de vieillesse est non-contributive par des bénéficiaires  qui s’élèveront  à 240,110 en 2022 et à 337,979 en 2052, selon les projections du ministère de la santé. Résultat des courses: d’énormes pressions seront exercées sur le budget du BRP ,  à Rs 34,6 milliards, soit presque un tiers  des revenus collectés, il se rapprochera rapidement à 50 % avec l’alignement de la pension sur le salaire minimum.

Qu’on ne voile pas la face : tous  les gouvernements qui se sont succédé n’ont  pas osé pris la décision de payer  la pension à l’âge 65 ans. Et ce pour des raisons purement politiques car ce n’est pas facile de venir dire à la population que désormais la pension sera payée à 65 ans. «  Il y a un décalage entre l’âge de la retraite associée à un emploi et celui auquel on commence à toucher la pension de vieillesse. Ce désalignement entre ces deux âges n’a pas lieu d’être » affirme l’économiste Azad Jeetun.

Est-ce que le Premier ministre attendra la dernière ligne droite de la campagne pour mettre à l’exécution sa promesse de réalignement de la pension de vieillesse quitte à fragiliser les finances publiques. Bref, à pratiquer, selon Pierre Dinan, une politique de terre brûlée.