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Anthony Leung Shing: «Le ciblage moyen le plus efficace contre les inégalités sociales»
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Anthony Leung Shing: «Le ciblage moyen le plus efficace contre les inégalités sociales»
À une dizaine de jours de la présentation du dernier exercice budgétaire de la présente législature, Anthony Leung Shing explique que la tentation serait forte d’inclure des mesures populistes en cette année électorale. Et soutient que pour rembourser la dette publique à long terme, le gouvernement n’aura d’autre choix que de rehausser les taxes.
«La tentation sera forte pour le gouvernement de faire des cadeaux électoraux.»
À quelques jours du dernier Budget Day de Pravind Jugnauth, quelles sont vos attentes par rapport aux principaux enjeux économiques auxquels le pays est confronté actuellement ?
Le pays a du mal à s’adapter aux réalités économiques mondiales notamment avec le Brexit en Grande-Bretagne, les gilets jaunes en France et d’autres défis auxquels Maurice est confronté. Résultat des courses : certains secteurs, comme le sucre et le textile ou encore le tourisme, subissent actuellement l’impact d’une conjoncture économique défavorable.
À long terme, il faudra une refonte en profondeur de ces secteurs afin de régler la problématique de la baisse de leur compétitivité, et ce à un moment où le coût de production augmente. Aussi, il faudra privilégier parallèlement une approche durable de ces secteurs axée sur l’innovation pour les redynamiser. Dans le même temps, il ne faut pas occulter le fait qu’il existe d’autres secteurs qui sont moins exposés comme les TIC et les services financiers, malgré l’incertitude qui pèse toujours sur le Global Business.
Quelles devraient être les priorités budgétaires à l’étape actuelle du développement économique du pays ?
J’y vois trois : l’amélioration de la productivité, la nécessité de se focaliser sur les nouveaux secteurs économiques et l’urgence d’assurer le bon développement de nos institutions.
Le constat est que l’érosion de notre compétitivité au niveau international se traduit aujourd’hui par une dégradation de la balance commerciale. Ce qu’on voit malheureusement est que l’écart continue de s’accentuer concernant la productivité de la main-d’oeuvre. Bien évidemment, l’imposition du salaire minimum est venue compliquer la donne, enlevant dans une grande mesure les avantages concurrentiels que des entreprises avaient.
La solution à cette problématique passe par des investissements dans la formation de nos cadres, une meilleure ouverture du pays aux compétences étrangères et la mise en place d’un système pour s’assurer que les augmentations salariales soient accompagnées par une hausse de la performance de la main-d’oeuvre.
Il y a ensuite le besoin de se focaliser sur l’émergence de certains secteurs susceptibles de promouvoir la croissance et créer des emplois. Or, on constate en 2018 que la création d’emplois n’a connu qu’une légère progression, près 0,4 %. Parallèlement, on voit également que le chômage des jeunes s’établit à 24 % de la population active.
En même temps, il y a la création timide de nouveaux secteurs comme les TIC et d’autres comme l’aquaculture et l’énergie renouvelable. Il faut envoyer un signal fort aux opérateurs économiques, leur rappelant la volonté d’encourager l’émergence de nouveaux secteurs.
Enfin, la nécessité d’assurer les besoins des institutions comme la Financial Services Commission (FSC) et l’Economic Development Board (EDB) qui ont une place importante dans la promotion du développement économique. Quand on constate qu’on a pris une année pour dénicher un CEO pour l’EDB, je dis que c’est du temps perdu !
D’un exercice budgétaire à l’autre, la problématique du ministre des Finances demeure l’arbitrage difficile entre les mesures sociales, souvent populistes, et le besoin d’engager de véritables réformes économiques. Estimez-vous que l’état des finances du pays permette de réconcilier ces deux impératifs ?
Le ministre des Finances n’aura certainement pas la partie facile avec le prochain exercice budgétaire. Nous connaissons tous le niveau d’endettement du pays, qui doit être ramené à 60 % du PIB d’ici juin 2021. Or, nous savons tous que cette échéance ne sera pas respectée. En même temps, le déficit budgétaire se situe aujourd’hui à 3,2 % du PIB. Je suis de ceux qui pensent que malgré ces contraintes économiques avec ces paramètres, le gouvernement aura néanmoins une marge de manoeuvre.
«Face à un manque de compétences locales, il faut attirer des professionnels étrangers qualifiés et capables de soutenir l’économie à l’étape actuelle de son développement.»
Comment ?
Tout simplement parce que la consommation des ménages continue à augmenter d’année en année dans le pays. Cette situation entraîne forcément un dynamisme au niveau des recettes fiscales, plus particulièrement de la TVA. Ce qui permettra au ministre des Finances d’avoir une petite marge de manoeuvre financière, qu’il aurait pu d’ailleurs utiliser pour réduire son déficit budgétaire mais qui au final va être utilisée pour financer des mesures du Budget.
À mon avis, le prochain Budget sera équilibré, à condition que le ministre des Finances ne fasse pas preuve d’excès dans les annonces budgétaires…
Contrairement aux années précédentes, l’exercice budgétaire de 2019 se prépare dans un contexte électoral où les tentations sont fortes d’inclure des mesures populistes, soit de sacrifier les moyen et long termes pour favoriser le court terme. Beaucoup de pays y ont recours. Est-ce que l’économie mauricienne peut se payer le luxe d’une telle considération ?
Vu le contexte électoral, il y aura certainement des pressions de la part du gouvernement pour présenter un Budget électoraliste avec des mesures populistes. Comme la proposition d’aligner la pension de vieillesse sur le salaire minimum et la publication du rapport du PRB avant le mois de décembre.
À mon avis, il faut faire attention à ces excès car, dans le passé, nous avons eu des mesures populistes telles que l’annonce de l’éducation gratuite en 1976, le transport en commun en 2005 et l’augmentation de la pension de vieillesse en 2014 qui avait coûté Rs 4 milliards à l’État.
Il faut le répéter : ces excès ne sont pas soutenus dans le long terme. Je plaide donc pour la prudence dans de nouvelles mesures budgétaires vu le contexte de la dette et du déficit budgétaire, même si je concède que la tentation sera forte pour le gouvernement de faire des cadeaux électoraux.
Brièvement, quel diagnostic dressez-vous de l’état de santé de l’économie mauricienne ?
Si on regarde de près les principaux indicateurs économiques, on note une croissance de 3,8 %, un taux de chômage relativement bas de 6,7 % et une inflation sous contrôle à 2,1 %. Cela paraît une performance honorable mais en analysant en profondeur l’économie, le constat n’est pas le même. Au contraire, il y a d’importants défis qui se profilent à l’horizon.
D’abord, si on analyse la croissance réalisée ces quatre dernières années, on note qu’elle s’est faite sans création d’emplois. Cette croissance reflète grandement la tendance au niveau international. La question qu’il faut poser est celle-ci : peut-on se contenter d’une telle performance alors que nos voisins de la région font beaucoup mieux en termes de croissance économique ?
Une autre problématique à laquelle est confronté le pays concerne l’érosion de la compétitivité. Pour la résoudre, il n’y a pas mille solutions. Il faut faire deux choses : attirer les investissements privés et rendre nos ressources humaines plus compétitives.
Or, aujourd’hui, la part de l’investissement privé dans le développement économique est très faible. Il ne représente que 13 % du PIB. Alors même que la composition de ces investissements suscite des inquiétudes. En fait, elle démontre que la majeure partie de ces investissements est canalisée dans des projets immobiliers. Idem pour les investissements directs étrangers où plus de 50 % sont dirigés vers l’immobilier. D’où mon interrogation sur la capacité productive du pays sur le long terme.
«Aujourd’hui, seulement 10 % des 545 000 personnes professionnellement actives sont enregistrées à la MRA. C’est infime.»
Il y a aussi la compétitivité de la main-d’oeuvre ?
Tout à fait. Elle est liée, entre autres, à un manque de compétences dans certains secteurs économiques, au vieillissement de la population, voire de la main-d’oeuvre. Une situation qui pourrait influer négativement sur la croissance du pays et mettre un frein à notre développement.
Cette situation se corse davantage avec la faible participation féminine dans le monde du travail. Le pays a visiblement du mal à intégrer les femmes sur le marché du travail. D’ailleurs, les statistiques le montrent : les hommes représentent 75 % de la population active et les femmes que 46 % seulement. Ce qui fait que Maurice traîne l’image et la réputation d’être le pays le moins performant de la région en termes de participation féminine au travail. Sans compter l’écart salarial entre les sexes qui demeure un autre sujet de débat.
Quels sont les principaux axes autour desquels doit graviter le Budget 2019/20 pour sortir le pays de la trappe d’un pays au revenu intermédiaire à celui d’une économie à revenu élevé ?
C’est un sujet dont on parle depuis des années et qui a fait l’objet de plusieurs réflexions. Notre faiblesse est d’y croire. Je pense que Maurice est passé au statut de pays à revenu intermédiaire en 2004, quand le revenu par tête d’habitant avait atteint USD 5 000. Depuis, nous essayons de franchir cette étape.
Pour y parvenir, il faut que le pays satisfasse trois conditions : diversifier et innover son économie, rendre sa main-d’oeuvre plus flexible et compétitive et investir et développer les infrastructures et les services publics.
Jusqu’à présent, le succès économique du pays était lié à ces quatre piliers que sont le tourisme, les services financiers, l’agriculture et le textile. Si le pays a l’ambition de franchir un nouveau palier de son développement et devenir une «High Income Economy», il faudra refonder les secteurs économiques existants en s’appuyant sur une approche novatrice et en privilégiant les recherches et le développement. Et cela, à travers de nouvelles filières comme la numérisation et la robotique.
Mais où trouver les compétences pour développer ces nouveaux secteurs ?
Justement, face à un manque de compétences locales, il faut attirer des professionnels étrangers qualifiés et capables de soutenir l’économie à l’étape actuelle de son développement. D’autres pays comme Singapour ont eu recours à cette politique d’ouverture et ont réussi à faire cette transition économique en s’appuyant sur le développement tous azimuts des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et la robotique ou encore des créneaux spécifiques ou spécialisés des services financiers.
Lors du dernier exercice budgétaire, vous exprimiez vos inquiètes quant à la pratique récente du Trésor public de recourir à des emprunts hors Budget pour financer la croissance du pays. Êtes-vous toujours préoccupé par la problématique de la dette publique ?
Bien sûr que oui. J’estime que si on inclut les prêts hors Budget, notamment ceux destinés à financer le Metro Express et la Safe City, la dette publique passera à plus de 70 % du PIB. Et si on analyse la composition de la dette, on notera que 90 % de cette dette sont à un taux fixe et qu’environ 80 % relèvent de la dette domestique où les risques liés au taux de change sont inexistants.
Cependant, si on voit de près le rapport des versements d’intérêts payés comme un pourcentage du PIB, on voit que de 2007 à 2008, le taux d’intérêt était de 4 % et a diminué par la suite à 2 %. En clair, cela montre que la capacité de repaiement des intérêts à Maurice s’est améliorée. Mais quid de sa capacité de rembourser le capital ? Or, si on compare le taux effectif d’imposition sur la dette publique de 3,6 % au taux de croissance de 3,7 % depuis 2008, on peut voir que c’est presque identique.
Tous les économistes vous diront que pour réduire significativement la dette publique dans le long terme, il faut forcément que le taux de croissance soit nettement meilleur à celui du taux d’imposition sur la dette. Ce qui permettra d’avoir une marge pour rembourser le capital. Pour combler cet écart dans le long terme, il n’y aura d’autre solution que d’augmenter la taxe. Je ne vois pas d’autre moyen.
Loin d’être un simple exercice comptable, le budget demeure avant tout un instrument financier pour assurer une meilleure redistribution des richesses à ceux au bas de l’échelle. Et ce pour une croissance inclusive. Qu’en pensez-vous ?
La stabilité sociale passe nécessairement par une croissance inclusive. Pour combattre les inégalités et arriver à cette croissance inclusive, il faut prôner un système de taxe progressiste où les contribuables paient en fonction d’un taux d’imposition gradué de la taxe, soit ceux qui gagnent plus paient plus à la MRA.
Mais je reste persuadé qu’une véritable redistribution de la richesse à travers cet outil n’est plus effective nécessairement. Dans le cas de Maurice, les effets ont été mitigés.
Aujourd’hui, seulement 10 % de la population personnes sont enregistrées à la MRA. C’est infime. Une meilleure redistribution de la richesse d’un pays passe par le ciblage des prestations sociales.
Dans le passé, la problématique liée à l’institution d’une politique de ciblage, outre le fait qu’elle est de nature à susciter des passions politiques, était son exécution. Soit comment différencier ceux qui sont socialement et économiquement éligibles. Aujourd’hui, avec la digitalisation des services publics, le ciblage peut se faire facilement sans grands frais.
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