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Stefan Gua: «Je refuse de jouer dans les hôtels ou au Caudan Arts Centre»
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Stefan Gua: «Je refuse de jouer dans les hôtels ou au Caudan Arts Centre»
Pour son premier album solo, en préparation, Stefan Gua convoque la figure tutélaire de Bam Cuttayen. «Balad pou Gaby» c’est à la fois une forme de résistance et d’alternative au jalsa et une réflexion sur le manque aigu d’espaces d’expressions publics.
Votre premier album solo, «Balad pou Gaby» fait le lien avec Bam Cuttayen. Si on vous qualifie d’artiste engagé, votre réaction sera «eoula… » ?
L’artiste de facto est engagé. C’est un pléonasme. L’artiste traduit profondément ce que vit une société. Ce n’est que comme ça que l’expression artistique a du sens.
Où est le problème si un artiste ne fait que du divertissement pur ?
L’artiste ne remplit pas son rôle social, il ne permet pas à la société de réfléchir. Chacun le fait à son niveau : les politiques, les sociologues, les économistes. L’art n’existe pas en isolation.
Même si certains tentent d’isoler les artistes ?
L’année dernière, j’ai participé à la consultation pré-budgétaire des artistes avec le Premier ministre…
C’était votre première fois ?
Oui. Quand Michael Veeraragoo (NdlR : actuel président de la Mauritius Society of Authors) s’est présenté, un économiste qui conseille le Premier ministre a eu une réaction que j’ai trouvée très réductrice. Une réaction que l’on n’attend pas de quelqu’un à ce niveau. Kouma dir Veeraragoo se zis jalsa. Au point où l’intervenant a dû préciser qu’il est un producteur, qu’il y a toute une économie de la musique, qu’il y a des gens qui en vivent. Souvent les performances musicales ne sont plus qu’un fond sonore. Pena pou ekoute si ena kitsoz ki pe dir. Tristement, il y a des artistes qui alimentent cette situation. Ils trouvent cela normal. Mais le public peut passer un bon moment tout en réfléchissant à sa condition.
«Il ne faut pas être nostalgique des années de braise.»
Pourquoi le lien avec Bam Cuttayen ?
Il a beaucoup contribué à la réflexion. Il n’y avait pas d’incohérence entre sa sensibilité artistique et son engagement politique.
Il faisait ce qu’il disait ?
Chanter était chez lui un prolongement de son engagement. Après, nous faisons partie du même courant politique de la gauche progressiste.
Comment l’avez-vous découvert ?
Comme tout le monde, je connaissais ses chansons. C’est Philippe de Magnée (NdlR : ingénieur du son belge qui fait des prises de son chez nous depuis plus de 40 ans et qui a enregistré les albums des chanteurs) qui me l’a fait écouter d’une autre manière. Pendant l’enregistrement d’Etaé (NdlR : le groupe auquel appartient Stefan Gua), il nous en parlait beaucoup, il nous a fait écouter des enregistrements inédits de Bam Cuttayen.
Mais le titre Balad pou Gaby est arrivé après l’écriture de la chanson. C’est inspiré de conversations avec des pêcheurs, dont Judex Rampaul (NdlR : président du Syndicat des pêcheurs). Ils ont des connaissances extrêmement avancées sur l’état de la planète, ils voient les changements au quotidien.
L’héritage de Bam Cuttayen est-il lourd à porter ?
Je ne me sens pas investi d’une mission ou quoi que ce soit.
Sa mémoire n’est évoquée qu’au moment de l’anniversaire de sa mort et encore.
Certes. Humblement j’ai envie que la nouvelle génération s’intéresse au personnage. Il est emblématique d’un moment important dans l’histoire de Maurice.
«Est-ce que les nouveaux riches des smart cities vont Consommer de la culture locale ?»
Les années de braise ?
Il ne faut pas être nostalgique de cette époque. On voit aujourd’hui que beaucoup d’artistes ne remplissent pas leur mission sociale. C’était aussi une réalité dans les années de braise. C’est dans ce contexte qu’on a vu le courant engagé, avec Soley Ruz et les autres.
Aujourd’hui, il y a 10 000 raisons de se mettre en marche pour changer les choses, pour ne pas accepter certaines choses. L’art et l’artiste ont une responsabilité dans ce mouvement, mais beaucoup ne le font pas. C’est pourquoi il est important de revisiter l’oeuvre de Bam Cuttayen.
Sur quel thème les artistes doiventils réfléchir en priorité ?
Kotsa Moris pe ale. Les espaces d’expressions publics sont de plus en plus restreints. J’ai un profond respect pour Jocelyn Louise, responsable de la galerie Max Boullé (NdlR : qui se trouvait au Plaza). Il a fait une bonne partie de mon éducation culturelle. À l’époque où j’étais élève au Collège de La Confiance, c’était un réel plaisir d’aller à la galerie. Je savais qu’on allait voir une personne extrêmement ouverte, qui prendrait le temps d’expliquer sa expozision la kiete sa. Si l’artiste était sur place, on pouvait le rencontrer. C’était des échanges gratuits.
Zordi mo bon reflesi. Où y a-t-il des espaces semblables ? Cela existe peut-être dans le privé, mais la notion de gratuité et de porte ouverte, je ne vois pas, mais peut-être que je me trompe. Autant les artistes doivent vivre de leur oeuvre, autant il faut une dimension sociale et pédagogique. Pour moi, c’est le plus important. Pour revenir à la question, dans mon cas, il y a des scènes où je refuse de jouer.
Où refusez-vous de jouer ?
Les hôtels ne m’intéressent pas.
Vous venez de dire que l’artiste devrait pouvoir vivre de son art.
C’est tout le débat. L’État a un rôle à jouer.
C’est à l’État de mettre en place la plateforme où vous pourrez vous produire ?
Si on prend Etaé…
Il existe toujours ?
Le groupe est en sommeil mais il existe toujours. Li pou leve enn zour. Il n’y a aucun antagonisme entre les camarades. Je me suis mis en retrait à cause de mes activités politiques. Avec ce projet, c’est un retour. Je veux trouver l’équilibre entre l’activisme et le culturel. C’est pour cela que le personnage de Bam Cuttayen est extrêmement important pour moi.
Il y a d’autres scènes en dehors des hôtels où vous refusez de vous produire ?
Cela correspond à la fois à mon engagement et à mes convictions personnelles. Il y aurait une trop grande contradiction entre dire «aret kokin nou laplaz» et aller jouer dans des hôtels. Il y a des compromis que je ne suis pas prêt à faire.
D’autres scènes sont concernées ?
Il y a un phénomène de «gentrification», d’embourgeoisement de différentes scènes à Maurice.
Un exemple ?
Prenez le festival Happy Sakili à Tamarin, organisé par Trimetys, le promoteur d’une smart city. Les smart cities font partie de la «gentrification» : ce sont des nouveaux riches qui viendront s’y installer. Est-ce que ces nouveaux riches vont consommer de la culture locale ? J’ai beaucoup de doutes.
Quand on considère Sakili, dans une perspective de classe, les billets étaient à Rs 25. Ce festival a été utilisé pour l’acceptation sociale d’un projet qui, au final, va aliéner les gens de la région. Le modèle Sakili est appelé à se répéter. Les promoteurs de smart cities se rendent compte qu’il y a des problèmes de fond : ils créent des fractures dans la société mauricienne. C’est déjà visible à Rivière-Noire, avek bann gro miray. À un moment donné, cela va créer des tensions. Donc l’art est utilisé comme une forme d’acceptation sociale. C’est pour cela que l’artiste doit repenser le fait que l’on n’utilise pas toujours l’art pour les bonnes raisons.
Vous refusez d’aller à «Sakili», mais comment toucher ce public qui est le premier affecté par la «smart city» ?
Je n’ai pas nécessairement toutes les réponses. Il ne faut pas considérer les choses de façon isolée. L’une des propositions pré-budgétaires l’an dernier, c’était d’avoir un amphithéâtre équipé dans chaque collectivité locale. Le public n’aurait pas à payer Rs 500 voire Rs 2 000 pour accéder à la culture.
Le phénomène d’embourgeoisement touche les artistes eux-mêmes ?
Si les seules plateformes sont comme ça, les artistes vont penser qu’il faut rentrer dans le moule pour y avoir accès. L’art c’est aussi une industrie. Les repères de plein de jeunes, c’est des moules comme The Voice. Cela arrive à un moment où on assiste à la démission de l’État de sa mission de création et de promotion d’espaces artistiques. C’est un tout.
Avez-vous participé aux consultations pré-budgétaires cette année ?
Non.
Dégoûté après l’expérience de l’an dernier ?
Ouais. Il y a nécessité pour des Assisses de la Culture. À l’époque de Choonee (NdlR: Mookhesswur Choonee ancien ministre des Arts et de la culture) il y a eu une consultation d’un jour, toutes disciplines confondues au conservatoire François-Mitterrand. C’était une farce. Qu’estce que cela a produit ?
Je ne me fais aucune illusion, parce que des Assises impliquent une vision sociétale où l’art serait démocratisé. Exemple, quand un artiste sort un album, il pourrait faire une tournée à Maurice. À Port-Louis, devant la mairie…
Au Caudan Arts Centre?
C’est ça le problème.
Vous produirez-vous au Caudan Arts Centre ?
Non. Cela ne m’intéresse pas. Quoique le Caudan ait un statut spécial. Mais je suis mal à l’aise avec le Caudan Arts Centre parce qu’il fait partie du modèle de privatisation de la culture.
Où le public pourra-t-il vous voir ?
Avec Sébastien Sauvage, on travaille sur un concept de coopérative artistique qui permettrait aux artistes de tourner. C’est encore au stade embryonnaire. L’idée est de trouver des espaces d’expressions alternatifs, avec des dynamiques comme Lari Blues ou Le Sapin. Il faut que cela force l’État à bouger.
Il y a un problème réel concernant les décibels des concerts. Le Sapin, par exemple, était dans une zone résidentielle mais avec une relation sociale avec le voisinage. Ce qui fait que pendant l’année durant laquelle Le Sapin a opéré, il n’y a pas eu de conflits. L’artiste est toujours dans une contradiction : comment vivre, comment se faire entendre. La coopérative serait une modeste contribution parce que ce ne sont pas ces scènes-là qui lui permettront de vivre.
Est-ce que vous bougez en profitant du contexte préélectoral ?
Ce n’est pas un projet porté par Rezistans ek Alternativ. C’est un projet personnel…avek de trwa kamarad.
Comment gagnez-vous votre vie ?
Je suis graphiste de formation, en freelance. Il y a des contradictions personnelles que je dois gérer parce que souvent les demandeurs c’est les corporate.
Vos convictions vous empêchent de travailler pour eux ?
Oui. Je suis salarié du Centre for Alternative Research and Studies, une association de militants.
«Balad pou gaby», projet participatif
<p style="text-align: justify;">Le projet <em>«Balad pou Gaby»</em> est un album de neuf titres. Pour l’heure, le single <em>«Frontier»</em> est disponible en téléchargement libre sur le site filoumoris. Un EP de quatre titres – qui feront partie de l’album – va sortir le 29 juin. Il est déjà en prévente. <em>«Nous comptons utiliser les fonds générés par l’EP pour réaliser l’album», </em>explique Stefan Gua. Il précise qu’il a tout fait lui-même, avec le matériel dans lequel il a investi. Cela dans le studio de Patrice Canabady. Le mixage sera fait par Philippe de Magnée. Stefan Gua a aussi lancé un appel à participation, via le site de crowdfunding www.kisskissbankbank.</p>
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