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Économie et politique: les attentes d’un budget populiste confirmées cet après-midi

10 juin 2019, 12:30

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Économie et politique: les attentes d’un budget populiste confirmées cet après-midi

À quelques heures de la lecture du discours du Budget, le pays retient son souffle alors que la population et les différents stakeholders sont suspendus au grand oral de Pravind Jugnauth, le dernier de la présente législature avant les élections générales prévues en décembre 2019.

Ces dernières 48 heures, le Bâtiment du Trésor s’est transformé en véritable forteresse où les hauts cadres, dont le secrétaire financier, Dev Manraj, son adjoint, Radha Chellapermal, le conseiller économique, Sen Narainen, et les techniciens de la cellule budget, y ont apporté les dernières touches. Ce, avant l’arbitrage final du Premier ministre et ministre des Finances et de son principal conseiller politique, Ken Arian, sur les mesures sociales et hautement symboliques qui feront la différence en cette année électorale.

D’ores et déjà, ce dernier Budget de l’alliance Lepep fera certainement la part belle bien plus au social qu’à l’économie. D’ailleurs, les bruits des couloirs menant au bureau de Pravind Jugnauth soulignent qu’il en contiendra un certain nombre de mesures, triées sur le volet, pour séduire toutes les couches de la population : hausse de la pension de vieillesse, nouvelle baisse de l’impôt sur le revenu pour la classe moyenne et, cerise sur le gâteau, la gratuité pour les voyageurs des feeder buses qui desserviront le Metro Express. Mieux encore : les passagers pourront emprunter ce nouveau mode de transport sans débourser un sou pendant quelques semaines. Un cadeau qui vaudra peut-être son pesant d’or dans une campagne électorale.

Cependant, le social a un coût financier qui peut devenir difficilement soutenable. Aujourd’hui, les prestations sociales (pension, santé, éducation) représentent presque 51 % des dépenses courantes de l’État, estimées à Rs 122 milliards pour l’année fiscale 2018-19. En lisant l’interview de Pravind Jugnauth dans Business Magazine, le Budget 2019-20 ne se départira pas de celui de l’année dernière, privilégiant la continuité en mettant l’humain au centre de ses priorités. Certes, personne ne peut contester sa posture d’instrumentaliser le Budget pour combattre les inégalités, mais faut-il encore que les fondamentaux économiques soient au vert.

Or, sauf l’inflation qui est sur une tendance baissière et le taux de chômage dont la réduction est d’ailleurs contestée, plus particulièrement la méthodologie employée alors que les économistes parlent de la destruction de 2 000 emplois l’année dernière et de la baisse de la population active, tous les autres indicateurs suscitent des inquiétudes.

Premièrement, la croissance est arrivée difficilement à franchir la barre psychologique des 4 % ces dernières années, taux dans lequel se complaisent étrangement nos dirigeants du pays, toujours prêts à le comparer à celui de nos principaux partenaires commerciaux européens (moins de 3 %) , occultant le fait que nos voisins africains réalisent entre 6 % et 7 % annuellement.

Le déficit de la balance du compte-courant se creuse également d’une année à l’autre. Il est passé de 3,6 % du PIB en 2015 à 5,7 % l’an dernier et pourrait davantage se dégrader à 8,5% à l’issue de l’année fiscale 2019-20. Cela serait dû aux importations en hausse et accessoirement à la chute des exportations ces dernières années.

Enfin, le déficit budgétaire est artificiellement soutenu à 3,2 % du PIB pour l’exercice budgétaire 2018- 19. Comme l’a rappelé l’ex-ministre des Finances et économiste Rama Sithanen, ce chiffre exclut les dépenses courantes et celles du capital, affectant ainsi l’intégrité fiscale. Il cite des fonds spéciaux pour l’environnement, la résilience nationale et le Loto; les subsides sur le riz, la farine et le gaz ménager dans les comptes de la State Trading Corporation; les dépenses de sociétés d’État comptabilisées hors du Consolidated Fund et les prêts masqués sous forme de titres pour éviter d’être pris en considération dans le calcul du déficit budgétaire. Résultat des courses : le déficit budgétaire a été ramené à 3,2 % du PIB alors qu’il devrait avoisiner les 7 % du PIB, selon Rama Sithanen. Véritable casse-tête pour Pravind Jugnauth condamné à maintenir le déficit budgétaire au même niveau…

Et quid de l’endettement massif ? Ces dernières semaines, cet important indicateur macroéconomique a occupé l’espace médiatique tant sur les ondes que dans la presse écrite avec des analyses les unes plus indépendantes que les autres. Toujours est-il que celle du ministre des Finances sur la dette publique est vivement attendue. Est-ce qu’il se dira cet après-midi on target pour cet important indicateur économique ? Cela étonnerait plus d’un au vu des effarantes statistiques du Fonds monétaire international (FMI). Selon cette institution financière, en s’appuyant sur le dernier Article IV rendu public en avril dernier, la dette publique atteindrait Rs 327 milliards à la fin de juin 2019 (64,9 % du PIB), soit une dette de Rs 285 439 par tête d’habitant. Ainsi, la dette publique aura augmenté de 52 % en cinq ans, soit de décembre 2014 à juin 2020.

Or, le gouvernement Lepep s’était engagé à ramener la dette à 60 % du PIB au 30 juin 2021. Une échéance qui sera repoussée de deux ans par le gouvernement malgré l’avis contraire du FMI. Ce qui fait dire à l’économiste Eric Ng, que «ces renvois mettent en évidence le problème de la dette cachée de l’État. Les chiffres officiels sous-estiment le niveau réel de la dette publique en raison de l’opacité des comptes publics».

Il ne faut sans doute pas s’attendre à de grandes mesures qui changeront la structure économique du pays mais plutôt à un Budget-bilan où, au terme du mandat de l’alliance Lepep, le Premier ministre, qui est aussi ministre des Finances, viendra pendant 90 minutes défendre son bilan économique. Pravind Jugnauth est certainement attendu sur certains dossiers économiques brûlants, nommément le sucre, le textile et le tourisme, trois secteurs économiques traditionnels qui ont besoin d’une perfusion pour retrouver une nouvelle vie.

Le ministre des Finances saura-t-il équilibrer son Budget sans avoir laissé filer le déficit budgétaire et la dette publique ? S’il fera croire qu’il est visiblement sur la corde raide, ce sera plus de la gestion de l’opinion publique car il dispose quand même d’une marge de manœuvre. Et cela, en jouant à fonds la carte de la consommation qui augmente chaque année, la hausse à 3,5 % l’année dernière étant un record.

En fait, les économistes expliquent qu’en donnant plus de pouvoir d’achat à certaines catégories sociales de la population, nommément les travailleurs avec le salaire minimum, l’impôt négatif et la gratuité dans les établissements publics d’enseignement supérieur; les retraités avec une augmentation de la pension de vieillesse et les familles de la classe moyenne avec une réduction de 10 % de l’impôt sur le revenu, Pravind Jugnauth leur a permis de disposer de plus de moyens financiers pour dépenser sur les produits de consommation. Tout en sachant que consommation veut dire également taxe à valeur ajoutée (TVA).

Au final, c’est une manière indirecte de récupérer d’une main ce que le ministre des Finances donne de l’autre. Car les recettes de la TVA sur la consommation augmentent de presque Rs 10 milliards chaque année et représentent un tiers de la totalité des revenus fiscaux estimés à Rs 100 milliards cette année. Cela donnera au ministre des Finances une certaine marge pour réconcilier les chiffres.

Loin d’être un simple exercice comptable, le Budget national reste avant tout un instrument de distribution des richesses en réduisant l’écart entre ceux d’en haut et ceux au bas de l’échelle. Ce que Pravind Jugnauth tentera une nouvelle fois avec des mesures socialement fortes, dont certaines populistes avec des dividendes politiques à récolter en décembre. Est-ce suffisant pour retourner au Bâtiment du Trésor ? Cela est une autre paire de manches. Les exemples du passé ont souvent prouvé le contraire…