Publicité

Fonctionnaires gâtés par le Budget: mythes et réalités

13 juin 2019, 22:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Fonctionnaires gâtés par le Budget: mythes et réalités

L’ABCDaire du fonctionnaire est souvent défini comme «Asizé Bez Cas Dodo»… «Ils sont favorisés alors qu’ils travaillent moins que les autres.» La mesure budgétaire octroyant Rs 1 000 de plus par mois aux fonctionnaires en avance sur le rapport du Pay Research Bureau (PRB) révèle les stéréotypes qui sont véhiculés sur cette catégorie d’employés.

Ce qui n’est pas du tout au goût des syndicalistes interrogés. «Cela n’est pas forcément vrai. Un fonctionnaire, certes, est moins vulnérable qu’un employé du privé, mais il fait face à davantage de restrictions», soutient Radhakrishna Sadien, président de la Government Services Employees Association. Par exemple, ceux travaillant pour le secteur public n’ont pas le droit d’exercer un second emploi.

«Il est faux de dire que les fonctionnaires ne font pas leur travail, contrairement à ceux qui officient dans le secteur privé.» Ils sont d’avis qu’il ne faut en aucun cas généraliser. «Pa akoz enn dé kas poz ki tou fer parey.» Il faut, selon Radhakrishna Sadien, tenir compte des services 24/7 que propose la fonction publique. «Dans ce cas-là, il est difficile de quantifier au niveau production matérielle, à la différence d’une usine par exemple, mais cela se reflète par la qualité du service offert.»

La fonction publique attire

Pour Narendranath Gopee, président de la National Trade Union Confederation, il ne faut surtout pas extrapoler. Car, il existe des fonctionnaires qui travaillent au-delà de 16 heures, sans pour autant être rémunérés pour cela. Est-ce toujours d’actualité donc que les fonctionnaires ne travaillent que de 8 à 16 heures, du lundi au vendredi ? «Cela dépend de la nature de leur emploi. Du moment qu’ils font leurs huit heures par jour», poursuit le syndicaliste. Le flexitime a d’ailleurs été introduit.

Les syndicats sont catégoriques. La fonction publique attire, non pas parce qu’on peut se la couler douce, mais parce qu’elle assure la stabilité et la sécurité d’emploi. Pour comprendre que la fonction publique attire toujours autant, il suffit de voir le nombre de candidatures qu’elle reçoit en moyenne pour le poste de Management Support Officer, par exemple. «Alors que ce poste ne demande qu’un Higher School Certificate, des diplômés en loi ou ingénierie tentent leur chance», soutient Narendranath Gopee.

Jamais contents

Mais comment contredire ceux qui parlent de favoritisme et qui voudraient bien avoir Rs 1 000 de plus sur leur salaire lorsqu’on voit que certains principaux concernés ne sont pas contents ? À l’annonce de cette nouvelle allocation, lors du discours budgétaire, quelques fonctionnaires interrogés expliquent n’être nullement conquis à 100 %. «Rs 1 000 li pa extra la» ou encore «touzour sa ki nanié». Même son de cloche du côté des syndicalistes.

Le président de la Federation of Parastatal Bodies & Other Unions, Deepak Benydin, estime que le gouvernement aurait pu faire davantage pour les fonctionnaires. «Ces Rs 1 000 ne répondent pas aux attentes de ceux à revenus moyens. Le Portable Retirement Gratuity Fund va dans le bon sens, surtout pour les employés du secteur privé qui perdent parfois leur gratuity lorsqu’ils changent d’entreprise. Tout comme pour les propriétaires de taxis, on s’attendait qu’il y a plus de mesures en faveur des petites compagnies et organisations

Idem pour Narendranath Gopee, qui parle d’une mauvaise décision de la part du gouvernement. «Le PRB doit être une institution indépendante. Le Premier ministre a fait fausse route et a été clairement mal conseillé. Li pé vinn pran fonksioner pou mandian ?» Les Rs 1 000 pour lui ne sont pas justifiées et il ne comprend pas pourquoi le gouvernement ne les octroie pas en juillet. «Est-ce que la compensation salariale sera intégrée dans ce montant ? Est-ce que le rapport du PRB prendra effet en 2020 ou, comme prévu, en 2021 ?» Des questions qui pour l’heure restent sans réponse. Radhakrishna Sadien partage le même avis, il faudra dès à présent prendre en considération les modalités avant d’introduire la mesure.

Cette hausse de salaire prendra effet en janvier 2020. Elle est octroyée en prévision du rapport du PRB, qui doit entrer en vigueur en janvier 2021, soit avec un an d’avance. Donc, les 80 000 fonctionnaires toucheront chacun un bonus annuel de Rs 13 000 de plus (incluant le 13e mois) que si l’on avait attendu la mise en œuvre du rapport. Soit une «petite» enveloppe d’un peu plus d’un milliard de roupies. Vous allez dire pas favorisés ?

80 000 fonctionnaires dont 25 000 dans les parapublics

Le nombre de fonctionnaires s’élève à 80 000. Parmi eux, 25 000 sont employés dans des corps parapublics. Tous ces employés, sauf ceux du Central Electricity Board (CEB) et de la Mauritius Revenue Authority (MRA), obtiendront le paiement intérimaire de Rs 1 000 à partir de janvier 2020, en attendant le rapport du Pay Research Bureau, qui sera publié en octobre 2020 et qui prendra effet à partir de janvier 2021. Les employés du CEB et ceux de la MRA ont leur propre structure salariale et ne sont pas concernés par le PRB.

Peu d’employés avec un salaire inférieur à Rs 10 000

Très peu nombreux sont les employés du secteur public qui touchent des salaires de moins de Rs 10 000. Par exemple, selon le dernier rapport du PRB (2016), un General Worker entre en fonction avec un salaire de Rs 8 000. Toutefois, avec le salaire minimum et la Negative Income Tax, sa paye est passée à Rs 9 000. Après un an de service, il a droit à une compensation salariale et au bout de deux ou trois ans, son salaire dépasse les Rs 10 000. Le salaire maximum d’un General Worker selon le dernier rapport du PRB est de Rs 17 375.

Au niveau des augmentations, il est sûr qu’elles ne seront pas en dessous de Rs 1 000 et qu’il n’y aura pas de réajustement à faire. Selon le rapport de 2016, les plus bas salaires, soit de Rs 7 400 à Rs 7 800, ont été augmentés à Rs 10 950.

Ainsi, la décision gouvernementale pour une contribution à hauteur de 100 % pour tout fonctionnaire qui touche moins de Rs 10 000 qui souscrira à un plan d’assurance, ne concerne presque personne du secteur public (140 a compté le leader de l’opposition ce jeudi 13 juin au Parlement).

À noter que le Top Salary dans la fonction publique est accordé aux «Permanent Secretaries». Le dernier rapport du PRB avait recommandé la somme de Rs 122 000.

«Lir roman dan ‘file’»

Le commentaire le plus dénigrant à l’encontre de fonctionnaires est venu de nul autre que de sir Anerood Jugnauth. Vers la fin des années 80, il avait déclaré que les fonctionnaires passaient leur temps à lire des romans dissimulés dans des dossiers. «Lir roman dan ‘file’», avait-il lancé. Aujourd’hui ce serait plutôt «get portab». Outre d’être assommés par les formules ABC ou ABCD, les fonctionnaires ont été souvent attaqués pour leur manque de productivité. ABC voulant dire «asize bez c(k)as» ou ABCD, le «d» voulant dire «dodo». Dans la même logique que sir Anerood Jugnauth, d’autres ont allégué que les fonctionnaires femmes passent leur temps à «tri bred» qu’elles partent acheter au marché central. Or, si ce postulat était vrai, il y aurait eu chaque jour une foule monstre au bazar de Port-Louis à l’heure du déjeuner et tous les bred auraient été achetés à une vitesse record.

La fonction publique dans tous les pays civilisés a été créée pour assurer la permanence de l’État et le gardiennage des archives. Les régimes changent, un gouvernement est remplacé par un autre mais ce sont les fonctionnaires qui assurent la permanence et la viabilité du système. On dit que pendant tout le règne du sanguinaire Idi Amine Dada en Ouganda, ce sont les fonctionnaires qui ont assuré la survie de la société de ce pays.

Ce n’est pas seulement à Maurice qu’on aime s’amuser aux dépens de fonctionnaires. Dans le monde anglo-saxon, la culture des fonctionnaires fait toujours débat. Dans les séries «Yes, Minister» et «Yes, Prime Minister», on décrit comment les fonctionnaires finissent par avoir le dernier mot face aux hommes politiques les plus enthousiastes dans leur désir de réformer le système.

La meilleure description du travail des fonctionnaires est venue de l’académicien Cyril Northcote Parkinson. «Work expands to fill the time available for its completion.» En français, cela veut dire que le travail s’étale de façon à occuper le temps disponible pour cette tâche. En d’autres mots, si un fonctionnaire mauricien a pour tâche d’agrafer cinq pages, il le fera de façon à remplir le temps entre 8 et 16 heures ou entre 9 et 17 heures. Une façon d’expliquer pourquoi la fonction publique est toujours volumineuse, comptant un grand nombre de commis : Parkinson avait relevé un principe fondamental, c’est qu’un supérieur ne cherchera jamais à créer des rivaux mais plutôt à multiplier les subalternes. De ce fait, les subalternes passeront leur temps à tirer dans leurs propres rangs alors que les rivaux auraient tenté de prouver qu’ils sont plus compétents que le chef lui-même.