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Dépréciation: la roupie raconte son calvaire
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Dépréciation: la roupie raconte son calvaire
J’ai fait, hier, lundi 24 juin, le plein de ma honte à la porte d’un supermarché huppé des Plaines-Wilhems. Pour ne pas avoir de surprises à la sortie, j’ai demandé à rencontrer le maître des lieux. Question d’être sûre de ce que je pourrai avoir avec ce que je vaux. Tu as compris. Je suis la roupie mauricienne. Je vaux 100 sous sur le marché de Maurice. Dans les années 40 ou 50, elle me permettait de circuler entre Port-Louis et Rose-Hill et de m’acheter de quoi manger dans la cité.
Mais hier, c’était différent. Le responsable a été bien en peine de me répondre. «Hum! Pour parler franchement, j’ai du mal à vous dire ce que vous pouvez trouver pour une valeur de 100 sous. J’ai cherché sur mon ordinateur mais je n’ai repéré aucun produit. Je regrette de vous informer que cela ne sert à rien d’y entrer avec l’intention d’acheter quelque chose. Vous pouvez visiter les lieux et les produits exposés mais pas plus.»
Je me suis dit que j’avais peut-être trop d’espoir en voulant croire que les produits de ce supermarché étaient à ma portée. C’est alors que je me suis rendue dans une tabagie des Plaines-Wilhems. Le gérant m’a regardé d’un air bizarre comme si je sortais des rêves oubliés de son subconscient. «Avec une roupie, vous pouvez vous acheter tout au plus deux petits blocs de gomme à mâcher, valant 50 sous chacun ou bien deux bonbons mais pas plus.»
Sur ce, je me suis résignée à ne plus marcher toute seule ni à Port-Louis, ni à Rose-Hill, ni à Highlands, ou nulle part sur le sol mauricien. Je ne vaux plus grand-chose. Aujourd’hui, sur le marché des changes, je danse comme une toupie au rythme de la volonté de la puissance des devises, plus particulièrement du dollar américain. La raison est simple. La plupart des hommes d’affaires étrangers qui achètent les produits fabriqués à Maurice préfèrent payer en dollar, en euro, en livre sterling ou en yen japonais.
Donc, je suis condamnée à n’évoluer que sur le territoire mauricien. Et encore, jamais seule. Ce qui m’a le plus touchée, c’est l’attitude des mendiants à mon égard. Si je suis seule et que je me présente comme moyen capable d’assouvir leur faim, mais même eux ils me rejettent. On peut même me projeter contre un mur ou me jeter dans un cours d’eau. On ne m’accepte que si je suis en groupe avec 99 autres comme moi. Là, on fait le point.
Pas question d’émigrer. Pour quitter le pays, il me faut changer d’identité et me convertir en d’autres monnaies. Pour cette conversion, il faut que je me rende toujours en groupe renforcé auprès des cambistes ou des banques. Ce qui m’a le plus choquée, c’est que j’ai perdu de mon lustre vis-à-vis du dollar américain. En mai 2018, je valais en moyenne Rs 34,45 et un an après, il fallait 0,5955, disons 60 sous, de plus pour avoir un dollar américain qui valait Rs 35,04. Lors des opérations de change hier, j’ai encore mordu la poussière face au dollar américain. Il fallait débourser Rs 36, soit Rs 1,55 de plus par rap- port à mai de l’année dernière, pour avoir un seul dollar, soit 4,50% de perte de valeur.
Que se passe-t-il quand je perds de la valeur vis-à-vis du dollar américain?
Il y a toujours un côté positif et un côté négatif. Quel est le côté positif ? Les produits en provenance de Maurice vont coûter moins cher sur les marchés étrangers, où les prix sont libellés en dollar américain. Face aux compétiteurs, les produits Made in Moris auront un avantage si on s’en tient uniquement à leur prix de vente. Mais cette perte de valeur a aussi son côté négatif. Il vient de notre trop grande dépendance de l’étranger, pour certains, ou sur beaucoup de produits et services.
Prenons un exemple. Si ma perte de valeur vis-à-vis du dollar permet de vendre plus de produits et ramener plus de dollars, il n’est pas sûr que ce surplus puisse rester dans nos réserves à la Banque centrale ou dans la trésorerie des sociétés importatrices. Si le dollar garde sa superbe, les produits à l’importation vont coûter plus cher. Tu me diras que, si on exporte plus à cause de cette perte de valeur, on est donc gagnant. Bien sûr que non ! On perdra si jamais les intrants utilisés pour fabriquer des produits pour l’exportation sont importés en dollars. Et aucun exportateur étranger n’acceptera d’être payé en roupies. Donc, lors de la conversion en dollar, je laisse beaucoup de plumes.
Si pour une raison ou une autre, par stratégie, il arrive que je perde de ma valeur face au dollar américain, il n’est pas dit que le dollar en fera de même. Lorsque je fonds comme neige au soleil, lui, il reste de marbre. Et si on ne parvient pas à ramener les exportations au niveau des importations, toutes les réserves que le pays a pu conserver jusqu’ici serviront à payer la facture de l’importation.
Pour tenter de montrer mes muscles face aux autres économies extérieures, moi la petite roupie mauricienne, j’ai besoin que le pays dispose de beaucoup de devises et d’en dépenser le moins possible. Mais hélas, ce n’est pas une situation qui va se présenter du jour au lendemain. Tu avanceras l’argument qui repose sur le principe qu’il y a toujours une exception à la règle. Je te l’accorde. Oui, il pourrait y en avoir.
Une telle situation ne peut intervenir qui si le pays exporte un produit qui ne nécessite pas l’achat d’intrants de l’étranger. On peut placer le cas du sucre dans cette catégorie. Les exportateurs de sucre recevront plus de roupies. Cela pourrait être bénéfique si leurs dépenses demeurent cantonnées au territoire mauricien. Mais que se passe-t-il s’il faut renouveler des équipements ou acheter des produits indispensables à la transformation du sucre ? On retombe alors dans le même cercle vicieux.
Devesh Dukhira, Chief Executive Officer du Syndicat des sucres, explique qu’à la fin du Protocole sucre, les exportateurs mauriciens ont diversifié leur marché. Ce qui permet de négocier des contrats de vente tant en euro qu’en dollar. Dans ce cas, je fais le bonheur de ceux qui ont signé le contrat en dollar également. Ils toucheront moins de roupies, étant donné que j’ai légèrement apprécié par 2,1 %, par rapport à l’euro et plus de roupies à cause de ma dépréciation vis-à-vis du dollar américain.
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