Le président par intérim, Barlen Vyapoory, a fait les éloges du businessman Roddy Ramsamy, dans une vidéo tournée au château du Réduit en novembre 2018. Et pourtant, un mois avant le tournage de celle-ci, cet homme faisait déjà l’objet d’une déposition pour l'émission d’un chèque sans provision.

Encore une secousse à la State House… Outre le fait d’avoir invité des investisseurs sud-africains à se tourner vers la holding fictive de son richissime ami sud-africain Karthigasen Moothsamy – Karthi Holdings Limited (KHL) – au château du Réduit, en novembre 2018, le président de la République par intérim est aujourd’hui rattrapé par un développement qui rend cette affaire encore plus embarrassante. Le représentant mauricien et le Chief Executive Officer (CEO) de KHL, Roddy Ramsamy, celui que Barlen Vyapoory présente comme un businessman de confiance, est recherché par la police de Roche-Bois depuis des mois pour émission d’un chèque en bois.

«Dear South African potential investors (…) Today, I have in my office a team of business people. I’ve met everyone of them. They’re preparing themselves to come and meet you (…). I’m giving them all my blessings. I’m sponsoring this team with Mr Roddy Ramsamy among them.» Déclaration du président de la République par intérim dans une vidéo enregistrée à son bureau, à la State House, et diffusée lors d’une opération séduction des investisseurs sud-africains organisée, entre autres, par KHL à Durban et Johannesburg les 16 et 17 novembre 2018.

KHL est en fait une compagnie que le richissime ami sud-africain du président de la République par intérim, Karthigasen Moothsamy, veut créer pour agir comme pont entre les investisseurs sud-africains et Maurice. Mise en ligne le 9 juin, l’émission d’investigation Menteur Menteur a révélé que Karthigasen Moothsamy et Barlen Vyapoory se connaissent très bien. Le Sud-Africain est reçu à la State House comme une VVIP et le président de la République par intérim voyage, lui, en Rolls Royce quand il visite son ami en Afrique du Sud.

Karthigasen Moothsamy, pendant ce temps, inonde les réseaux sociaux de ses photos avec Barlen Vyapoory et organise des rencontres entre ce dernier et des businessmen sud-africains. L’enquête a aussi révélé que KHL n’existe pas et que Barlen Vyapoory a ainsi fait la promotion d’une holding fictive. Barlen Vyapoory a également menti en disant que l’Economic Development Board (EDB) est à son bureau pour tourner la vidéo en question, ce que l’EDB a démenti dans un mél officiel à l’express.

Si jusqu’ici l’enquête de l’express ne reprochait à Barlen Vyapoory que ce mensonge et son manque de vigilance à l’encontre de son ami et de sa holding fictive, le document que nous venons de recevoir risque de sonner le glas. Roddy Ramsamy est en fait recherché par la police de Roche-Bois pour émission de chèque sans provision. Ce représentant mauricien de KHL fait l’objet d’une déposition au poste de police de Roche-Bois depuis octobre 2018.

La vidéo a, elle, été tournée à la mi-novembre 2018. Donc, techniquement, quand Roddy Ramsamy se trouve dans le bureau de Barlen Vyapoory pour le tournage de cette vidéo – et quand le président de la République par intérim affirme qu’il est en train de «sponsor» Roddy Ramsamy pour son Roadshow en Afrique du Sud –, le CEO de KHL fait déjà l’objet d’une dé- position pour l’émission de ce chèque en bois de Rs 150 000.

Ce chèque avait été émis à l’ordre d’une compagnie qui offre des services de courtier de douanes et de transit maritime et dont le bureau se trouve à Roche-Bois, le 23 décembre 2015.

«Nous avons dédouané ses produits à nos propres frais et nous les lui avons remis», raconte le comptable de la compagnie dans sa déposition. «Ce jour-là, Roddy Ramsamy a signé devant nous un chèque de Rs 150 000 et il nous l’a donné. Or, la banque nous a fait savoir qu’il s’agit d’un chèque sans provision. Cela fait trois ans que nous lui courons après pour qu’il nous rembourse. Je pense qu’il nous a dupés.»

Selon nos informations, la police s’est rendue à l’adresse connue de Roddy Ramsamy dans les appartements Harbour View, à Port-Louis, mais il n’y était pas. L’enquête policière a stagné jusqu’à ce que Menteur Menteur révèle la proximité de Roddy Ramsamy avec le président de la République par intérim via le chef hiérarchique de Roddy Ramsamy, en l’occurrence le Sud-Africain Karthigasen Moothsamy.

Rappelons que Barlen Vyapoory a refusé de parler «on record» sur ce sujet. Il avait reçu l’express à son bureau avant la parution de l’enquête de Menteur Menteur. Durant cette conversation de 45 minutes, il avait concédé qu’il ne savait pas tout de KHL et qu’il n’avait pas fait un «due diligence» de KHL, mais il avait refusé d’admettre qu’il a exposé le bureau de la présidence à des courtiers. Nous l’avons aussi rencontré le 28 juin et il avait simplement opté de fuir face à notre micro. Barlen Vyapoory est actuellement à Nairobi et il rentre aujourd’hui.

Barlen Vyapoory : un «intouchable» du MSM

Si l’affaire est hautement embarrassante, il faudra s’attendre que Barlen Vyapoory ainsi que le gouvernement fassent le dos rond et attendent patiemment que la tempête s’estompe. Ce n’est pas en pleine année électorale que Pravind Jugnauth voudra subir une «Fakim-bis». De surcroît, Barlen Vyapoory a toujours été un fidèle du Mouvement socialiste militant (MSM). Son accession au poste de vice-président est une récompense de cette fidélité de près de 25 ans. En effet, Barlen Vyapoory était candidat du MSM aux élections de 1995 (que le parti soleil perd 60-0). Il reste dans le navire, qui sombre, et se porte candidat aux élections municipales de 2005 à Quatre-Bornes, où il sera encore battu. Toujours fidèle, Barlen Vyapoory goûte enfin à une nomination après la victoire du MSM en 2015. Il est nommé haut-commissaire mauricien en Afrique du Sud. Et c’est finalement sur lui que se porte le choix de vice-président de la République après que le mandat de Monique Ohsan-Bellepeau ne soit arrivé à terme en 2016. Surfant sur sa bonne étoile, Barlen Vyapoory se retrouve depuis mars 2018 à la tête de l’État après la démission d’Ameenah Gurib-Fakim… après que «l’express» a publié le scandale de la Platinum Card.

La version de Roddy Ramsamy attendue

Depuis la parution du dernier épisode de «Menteur Menteur», «l’express» était en contact avec Roddy Ramsamy et nous étions tombés d’accord sur le principe d’une interview que le principal intéressé a, à plusieurs reprises, repoussée. Depuis mardi, c’est-à-dire depuis que «l’express» a pris connaissance de l’affaire du chèque en bois, toutes nos tentatives pour tenter de le joindre ont été vaines. Via WhatsApp, dans un message délivré et lu, nous l’avons invité à nous faire ses commentaires. Il n’est pas revenu vers nous. À travers un intermédiaire, il nous a fait dire «tiek bien zot linformasion», sans apporter un quelconque démenti à l’allégation de chèque sans provision.