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Cyril Monty: «La ligne de démarcation entre pénurie et abondance est aujourd’hui fine»

14 août 2019, 10:49

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Cyril Monty: «La ligne de démarcation entre pénurie et abondance est aujourd’hui fine»

La note d’importation de nos produits alimentaires s’élève en milliards. Face à cela, la route vers l’autosuffisance alimentaire s’annonce ardue.

Rs 9,5 milliards pour l’importation de produits alimentaires rien que pour le premier trimestre de cette année. Est-ce normal ?
Il est important de bien comprendre que tous les produits alimentaires importés ne sont pas de facto destinés à la consommation locale. Selon la nomenclature douanière, les différentes catégories de produits alimentaires se retrouvent dans les chapitres 1 à 24. Ces 24 chapitres répertorient tous les produits issus du règne végétal aussi bien que ceux du règne animal, incluant les produits halieutiques. Ainsi, l’on retrouve non seulement les produits destinés à la consommation humaine et animale mais aussi ceux destinés à d’autres fins. Par exemple, les chevaux de course importés ou encore les animaux reproducteurs pour l’élevage se retrouvent sous le même chapitre que les bovins sur pattes destinés à l’abattage. D’autres chapitres traitent des semences de légumes et de fleurs ou encore des produits artisanaux agricoles, des boissons alcoolisées, du tabac et des cigarettes, entre autres. 

Ainsi, tous les produits qui ne sont pas destinés à la consommation humaine ou animale doivent être dès le départ exclus, de même que ceux transbordés à Maurice avant d’être réembarqués pour d’autres destinations ainsi que les matières premières (comme le thon, par exemple) transformées localement et par la suite essentiellement exportées en produits finis. Ainsi, en suivant scrupuleusement ces différentes étapes, nous nous retrouvons finalement avec les importations alimentaires nettes, c’est-à-dire celles destinées strictement au marché local. 

Tenant compte de ces facteurs, les importations nettes de produits alimentaires destinées exclusivement au marché local seraient, selon moi, de l’ordre de Rs 7,5 milliards pour le premier trimestre de cette année, ce qui est quand même astronomique pour un petit pays comme le nôtre et reflète bien la tendance mondiale.

De quels pays importons-nous nos produits alimentaires ?
Nos fournisseurs traditionnels sont les grands pays producteurs agricoles comme la Chine, l’Inde, l’Australie, la France, l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Brésil, entre autres. Il est intéressant de constater qu’il y a une quinzaine d’années, les produits alimentaires importés provenaient de 75 pays environ. Aujourd’hui, avec la compétition de plus en plus rude, les importateurs locaux diversifient davantage leurs sources d’approvisionnement en ayant recours à un plus grand nombre de fournisseurs, soit auprès de plus d’une centaine de pays.

Pourquoi ne pas produire sur les terres agricoles de Maurice et de Rodrigues pour réduire notre note d’importation ?
C’est un fait que nous ne pouvons, pour des raisons économiques et agro-climatiques, produire localement de nombreux produits primaires. Toutefois, plusieurs autres, dont les importations nous coûtent des dizaines de millions de roupies tous les ans, pourraient être cultivés puis transformés localement de façon économique et viable. Malheureusement, la fragilité du système productif actuel est telle que les producteurs, notamment ceux qui possèdent les terres agricoles, ne sont pas enthousiastes à se lancer dans de tels projets.

La production de légumes baisse d’année en année avec l’abandon de terres par des planteurs. Pour l’autosuffisance ce n’est donc pas gagné…
Au cours de ces cinq dernières années, la production locale de légumes a chuté de 14 % alors que la superficie récoltée a régressé de 12 %. Ces chiffres font voir que, dans une grande mesure, ce secteur s’est inscrit dans une tendance à la perte de compétitivité causée par l’incapacité de s’adapter à un environnement très sensible aux changements climatiques, aux attaques d’insectes et aux maladies, ainsi qu’à des décisions politiques prises qui n’ont fait que fragiliser davantage une activité structurellement très faible.

«Le système productif local est très fragile et nécessite un redressement en profondeur pour lui permettre d’opérer dans des conditions nettement plus propices à son développement.»

Y a t-il une volonté politique ou même du secteur privé pour atteindre l’autosuffisance alimentaire ? Et comment faire ?
Comme je l’ai dit plus tôt, le système productif local est très fragile et nécessite un redressement en profondeur pour lui permettre d’opérer dans des conditions nettement plus propices à son développement. Ces changements en profondeur exigent toutefois une réelle volonté politique qui, aujourd’hui, fait cruellement défaut, mis à part la période 1974-1990 au cours de laquelle la production de légumes avait connu un développement rapide grâce à l’appui inconditionnel des autorités ainsi qu’avec l’apport de la recherche, notamment du MSIRI en ce qui concerne la pomme de terre et le maïs.

Cependant, depuis, l’on a privilégié les importations par rapport à la production locale, basé sur des raisons strictement économiques. En effet, comme les produits importés coûtaient moins cher que leurs équivalents locaux, on a donc encouragé leur importation au détriment de la production locale. À l’époque, l’on disait que les revenus provenant de l’exportation de sucre permettaient de couvrir amplement le coût des importations alimentaires. Aujourd’hui, ces mêmes importations alimentaires coûtent trois fois plus que les revenus sucriers, et continueront à augmenter en raison de facteurs qui sont en dehors de tout contrôle. Année après année, et ce depuis la crise alimentaire mondiale de 2008, les statistiques officielles montrent à quel point nous nous fragilisons en raison d’une dépendance accrue des importations, affectant de plus en plus le porte-monnaie des consommateurs. La ligne de démarcation entre la pénurie et l’abondance est aujourd’hui si fine qu’il suffit d’un rien pour basculer dans une situation chaotique, malgré tout l’argent que nous possédons.

Concrètement, l’autosuffisance alimentaire à Maurice est une chimère ?
Aucun pays au monde, que ce soit la Chine, l’Inde, la France, l’Australie ou encore les États-Unis, n’est autosuffisant en produits alimentaires pour des raisons économiques ou agro-climatiques. C’est cela la réalité.