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Raj Mohabeer: «Des caïds se cachent derrière la piraterie...»
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Raj Mohabeer: «Des caïds se cachent derrière la piraterie...»
Maurice, qui préside le groupe de contact sur la piraterie, s’est tourné vers l’Organisation des Nations unies (ONU) après que le Somaliland et le Puntland ont récemment relâché des pirates bien avant terme. Cela, alors que ces derniers ont été jugés et condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. La question devrait également être abordée au conseil de sécurité de l’ONU, le 4 septembre. Le point avec Raj Mohabeer, chargé de mission à la COI.
Veuillez nous expliquer l’origine de la piraterie.
Tout est lié au crash de l’État de la Somalie dans les années 90. Ce qui a donné naissance à un lawless state. Plusieurs petits «États» ont vu le jour dans un même pays. La situation économique s’est dégradée. Des jeunes étaient sans avenir et ont choisi d’avoir recours à des moyens illicites pour se faire de l’argent. C’est comme ça qu’est née la piraterie au large des côtes somaliennes.
Pourquoi ce phénomène a-t-il pris de l’ampleur dans l’océan Indien ?
Nous avons pris conscience de la piraterie à la fin des années 2000. L’océan Indien est une région stratégique privilégiée. Selon des études faites par la COI, au moins 5 000 pétroliers y transitent par année. L’océan Indien est un pont entre l’Est et l’Ouest. Les pirates l’ont bien compris et ils en profitent.
Comment Maurice s’est-il retrouvé au centre de cette affaire ?
Plusieurs raisons ont motivé sa participation. D’abord, il faut remonter à la résolution 1851 votée à l’ONU en décembre 2008. Mon interprétation de cette résolution est que la communauté internationale était impuissante face à la menace de la piraterie dans cette région. L’ONU a donc recommandé que les parties concernées se consultent et s’organisent pour combattre ce fléau. Ainsi a été créé le groupe de contact, dont Maurice fait partie. D’autres pays s’y sont joints, tels que les Seychelles, Madagascar, la Tanzanie ou encore le Kenya. Même si Maurice n’était pas affecté directement, il ne pouvait rester en dehors de ce groupe. Il faut noter que le périmètre d’actions des pirates somaliens s’étendait à plus de 1 500 km des côtes somaliennes et atteignait donc la zone économique exclusive (ZEE) de Maurice.
La piraterie est devenue un dossier prioritaire de la COI dès 2009, poussé par les Seychelles, qui était l’archipel le plus affecté. Les pirates opéraient donc en haute mer et souvent dans les ZEE de plusieurs États. Tous les pays de la région étaient concernés. D’une façon ou d’une autre, nous payons toutes les conséquences. Par exemple, la piraterie a fait flamber les frais de l’assurance pour le transport maritime. Ces augmentations dans les frais déboursés affectent naturellement les coûts de produits importés. Des navires ont commencé à avoir recours à des services de sécurité privés, avec des gardes armées et donc avec des arsenaux flottants. Par ailleurs, il y va d’une question de sécurité maritime dans la région. Les Seychelles en ont beaucoup souffert. C’est dans ce contexte que la COI a prôné la solidarité pour des actions collectives.
Comment fonctionne le groupe de contact ?
Maurice assure la présidence depuis janvier 2018 jusqu’à décembre 2019. En janvier, nous passerons le relais au Kenya. À la création du groupe de contact, plusieurs ateliers de travail ont été instaurés. D’abord, nous nous sommes attelés à la question de sécurité en haute mer. Trois principales patrouilles surveillent au large des côtes somaliennes – les forces navales de l’Union européenne, les forces combinées et des forces indépendantes. Elles ont porté leurs fruits: bien qu’elle n’ait pas été éradiquée, la piraterie a considérablement diminué dans notre région.
Un autre groupe de travail consistait à juger les pirates. Quand ces derniers étaient arrêtés par des Européens auparavant, le crime restait impuni. Ils étaient envoyés en Europe et, le plus souvent, bénéficiaient de l’asile politique. C’était une véritable aberration. Le groupe de contact a travaillé sur la possibilité de les juger dans des États et de les condamner. Quatre pays ont accepté – les Seychelles, la Tanzanie, le Kenya et Maurice. Pour des raisons humanitaires, il était convenu que les pirates soient renvoyés dans leur pays natal pour purger leur peine. Mais bien sûr, il n’a jamais été question de les relâcher avant terme. C’est un véritable scandale, qui menace de démanteler tout le système qui fonctionnait bien jusqu’à présent. Le groupe de contact s’est également penché sur toutes les manœuvres légales derrière la piraterie.
Justement, avez-vous déjà rencontré des pirates somaliens ?
Oui, j’en ai rencontré plusieurs.
Quel est leur profil ?
Ils sont tous jeunes. Probablement entre 18 et 25 ans. Je suis allé en Somalie, à Mogadishu. Autour de l’aéroport, dans un périmètre de 3 km, la sécurité est assurée par l’African Union Mission to Somalia, mise à disposition par l’Union africaine. Je me suis déjà aventuré au-delà de ce périmètre et je suis tombé des nues. D’abord, il n’y a pas de route adéquate, tous les bâtiments et infrastructures sont délabrés. Mais le plus surprenant, c’est que j’ai vu plusieurs autres «armées». Des officiers qui portaient plusieurs types d’uniformes. Qui sont-ils ? Pour qui travaillent-ils, je n’en ai aucune idée.
Mogadishu est la capitale de la Somalie mais démontre toutes les caractéristiques d’un État défaillant. Je pense que c’est un peu tout ça qui incite les jeunes à choisir la piraterie. Cela leur permet de vivre confortablement. Selon mes informations, ces pirates ne s’arrêtent pas à un seul coup. Certains en font un métier. Mais je tiens à faire ressortir que bien que les infrastructures laissent à désirer en Somalie, ce pays est quand même en avance côté technologie. Incroyable mais vrai, les paiements se font par smartphone!
Que sait-on de l’organisation derrière la piraterie ?
Pas grand-chose, malheureusement. Il est difficile de remonter la piste. Comme j’ai dit plus tôt, un des groupes de travail a pour mission d’enquêter et d’explorer toutes les pistes liées à l’organisation de la piraterie. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a des caïds derrière. Ce sont eux qui financent toutes les opérations. On ne sait pas qui ils sont et où ils vivent, ils peuvent être n’importe où et ne sont pas nécessairement des Somaliens. C’est toute une organisation, avec une importante logistique, qui se met en place durant plusieurs jours sur la côte avant que les pirates prennent la mer. Des tentes sont érigées, des pirates sont recrutés et quelques jours après, des dizaines de petits bateaux prennent le large.
Les interrogatoires des pirates et les moyens dont dispose la communauté internationale n’ont-ils pas pu permettre de lever le voile sur ce phénomène ?
Comme j’ai dit, la piraterie a diminué drastiquement mais n’a pas été éradiquée. On a pu faire arrêter des pirates qui sont maintenant conscients que leurs crimes ne resteront pas impunis. Mais les commanditaires sont toujours libres et donc peuvent recommencer dès qu’on baisse la garde. Il semble difficile de remonter jusqu’à eux. Lorsqu’on interroge les pirates – ce qui n’est fait que dans trois pays: les Seychelles, Kenya et Maurice –, ils disent avoir été recrutés par des intermédiaires qui sont en Somalie. Nous n’avons pas de juridiction pour aller au-delà de ces obstacles. Ils peuvent citer des intermédiaires, mais qui se cachent derrière les opérations. Ça, c’est une autre question. À ce jour, aucun caïd n’a été arrêté.
Quid des money trails une fois que les demandes de rançon ont été payées ?
Les paiements ne se font pas par la banque. On ne connaît même pas les montants des rançons. Comment ils sont payés, à qui, nul ne le sait. C’est un chantier qui mérite toute l’attention de la communauté internationale. En 2010, la COI avait organisé une conférence ministérielle qui avait adopté une stratégie sur cinq plans, dont un qui concernait les financements illicites. À l’époque, ça s’appelait la stratégie contre la piraterie, maintenant c’est la stratégie pour la sécurité maritime. Celle-ci a fait l’objet d’actions par les pays concernés pour la mise en place d’un réseau des agences d’intelligence, à l’instar de la Financial Intelligence Unit. Plusieurs initiatives continuent à se faire, mais ça demande un travail soutenu et de longue haleine.
Parmi les pirates relâchés, y en a-t-il qui ont été jugés et condamnés à Maurice ?
Douze pirates ont été jugés à Maurice. La plupart ont été jugés aux Seychelles et au Kenya.
Que pensez-vous du fait que Maurice abordera le 4 septembre la question de la piraterie avec le conseil de sécurité de l’ONU ?
Il faut bien faire la nuance – Maurice fait la démarche en tant que président du groupe de contact. C’est une excellente initiative et, en même temps, Maurice avait la responsabilité de prendre des initiatives qui, je dois dire, sont très appréciées par la communauté internationale. D’ailleurs, on ne peut rester les bras croisés. Notre ambassadeur à l’ONU, Jagdish Koonjul, rencontrera le 4 septembre le président du conseil de sécurité de l’ONU.
Une des propositions avancées concerne la COI comme structure permanente pour combattre la piraterie. Qu’est-ce que cela implique ?
Cette proposition a été mise «sur la table» par Maurice et Seychelles mais n’a pas encore été formalisée. Il faut reconnaître qu’il n’y a aucune volonté pour améliorer la sécurité maritime dans cette région du monde. La COI doit devenir cette locomotive. Ces cinq dernières années, la COI a énormément travaillé afin de mobiliser d’autres pays et institutions régionales et internationales à ce combat. Quant au groupe de contact, il continuera à exister. Nous continuerons à travailler ensemble et, d’ailleurs, nos actions portent leurs fruits. Récemment, le Puntland voulait libérer des prisonniers bien avant terme, mais a dû reculer suite à une forte mobilisation facilitée par la COI. La dernière Session plénière du groupe de contact a revu sa structure organisationnelle.
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