Publicité
Jeux de hasard: des accros racontent leur descente aux enfers
Par
Partager cet article
Jeux de hasard: des accros racontent leur descente aux enfers
Lottotech a lancé un projet pilote, le 23 août, avec la collaboration de quatre ONG dont Chrysalid et Centre d’accueil de Terre-Rouge: le «Responsible Gaming, Counselling and Listening Support». L’occasion de se pencher sur ce problème qu’est l’addiction aux jeux de hasard.
Raj: «Mo nepli ena kamarad, mo ziss dwa dimounn »
Il a 45 ans. Pourtant, à le voir, on lui en donnerait 60. Il a les yeux cernés, un regard perdu dans le vague, les cheveux en bataille. Raj (nom d’emprunt) a tout perdu à cause de son addiction au jeu : sa famille, son travail, sa joie de vivre… «Tou dimounn mefié mwa li pa fasil pou viv», avoue ce dernier en larmes.
Cependant, sa vie n’a pas toujours été comme ça. Le père de famille était employé dans une compagnie de maintenance, il louait une maison et profitait des petites joies de la vie, «du sourire de sa femme et de ses deux filles». Jusqu’à ce qu’il y a deux ans, un ami lui propose d’aller aux courses. «Je n’avais jamais joué avant cela. Je n’y comprenais rien. Mo kamwad inn dir mwa li ena enn bon tiyo donk monn al ek li zis pou fun.» Ce jour-là, il y est allé avec Rs 500 en poche, est rentré avec Rs 10 000. «Mo ti mari kontan, mo ti pansé toulétan pou parey…»
La voix empreinte de regrets, il explique que depuis, il n’a pu arrêter de jouer. «Monn koumans zwé mo lapay net, ti ena bann mwa kot mo pa ti pe amenn kas ditou lakaz. Nou ti pe dwa lwayé, leson mo gran tifi, pa ti pé tir rasion.»
Son épouse, dégoûtée par la situation, l’abandonne et va vivre chez ses parents avec ses deux filles. Depuis, il n’arrive pas à avoir contact avec elles car quand il venait leur rendre visite, il volait chez ses beaux-parents ou demandait de l’argent à ses enfants âgées de 13 et 7 ans.
Les factures s’accumulent, il commence à emprunter de l’argent à des amis, pour finalement aller jouer de nouveau, «pou gagn plis sansé». Il est pris dans un cercle vicieux. Il commence à jouer au casino, de faire des paris en ligne mais, à chaque fois, il se retrouve sur la paille. Depuis un an, Raj habite dans la cour, chez sa maman, dans une petite bicoque en tôle, il ne travaille plus «bat-baté kot gagné aster».
Même s’il vit à deux pas d’elle, sa mère ne lui adresse plus la parole et a peur de lui. Il faut dire que Raj lui a volé de l’argent et des objets à maintes reprises. «Avant je vivais dans la maison, avec elle. Par manque d’argent, j’ai commencé à vendre les meubles de la maison où j’ai grandi. Mo ti pé dir li swadizan inn kasé inn avoy réparé, mais après j’ai commencé à vendre ses bijoux aussi…» C’est le «mangalsutra» de sa mère qui disparaît soudainement qui lui attirera vraiment la foudre de tous ses proches.
La vieille dame de 72 ans ne peut plus cacher ses coups bas et se confie à ses deux autres enfants. Ces derniers somment Raj de s’en aller «parski pé fer bolfam-la tro mizer» mais sa mère l’autorise à construire une petite case en tôle dans la cour. Toutefois, cette dernière ferme la porte de son domicile à clef et son frère qui habite à l’étage l’empêche de s’approcher d’eux. «Mo’nn vinn kouma etranzé pou zot. J’ai juste envie de pouvoir payer toutes mes dettes et que ma famille et mon entourage me refassent confiance. Mes filles me manquent et mo nepli ena kamarad aster mo zis dwa dimounn.»
Cependant, il est conscient qu’il s’y prend de la mauvaise façon car il continue à jouer dans l’espoir de décrocher un jackpot pour tout rembourser. Il a commencé à se faire aider récemment et Raj est persuadé que la chance lui sourira un jour…
Linda: « Je m’en suis sortie à temps»
L’histoire de Linda est presque similaire à celle de Raj. Sauf que cette jeune femme de 31 ans a eu la chance de se faire aider à temps et que ses parents ne l’ont pas abandonnée. Cela fait trois ans que Linda ne joue plus au casino. «Pendant 8 mwa mo lavi ti pe fini laba mem.»
Plus discrète sur sa vie passée, elle ne racontera pas tout ce qu’elle a fait. Toutefois, elle avoue que ce sont des choses graves. «Vous n’imaginez pas ce que j’ai pu faire pour avoir de l’argent. J’ai beaucoup de regrets…»
À cause des jeux de hasard, elle a perdu l’amour de sa vie qu’elle connaît depuis le collège et avec qui elle devait se fiancer quelques mois après. Toutefois, avant de partir, ce dernier, qui était au courant de son addiction, révèle tout aux parents de Linda. «Il m’a rendu un grand service car grâce à cela, mes parents m’ont aidée à m’en sortir en me demandant d’aller voir un psy.»
Linda n’est plus accro aux jeux mais se fait toujours aider. Elle travaille dans une école maternelle. Elle n’a pas retrouvé l’amour mais se dit reconnaissante à la vie de l’avoir sauvée de l’enfer du jeu.
Tabou
<p style="text-align: justify;">Ironiquement, des numéros de hotlines sont affichés dans les maisons de jeu. <em>«Si ou manier zwé trakas ou, apel nou»,</em> peut-on y lire. Lottotech en a également une. Toutefois, les appels ne pleuvent pas. <em>«C’est un sujet tabou», </em>explique un téléconseiller. Virginie Pasnin,<em> «communication manager»</em> à Lottotech, avoue que c’est un peu pour cela qu’ils ont lancé ce projet pilote avec les ONG.<em> «Nous savons qu’il y a des gens qui ont besoin de se sortir de l’addiction. Ça existe.»</em></p>
Virginie Saramandif, psychologue et responsable de thérapie au Centre de Solidarité pour une nouvelle vie
<p style="text-align: justify;"><strong>Qu’est-ce qui pousse les gens à devenir accro aux jeux ?</strong><br />
Cela peut être le manque de distraction positive pour se défaire de son stress. Il y a aussi ce besoin d’adrénaline, de sensation forte ou de satisfaction d’obtenir l’argent facile.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Quels sont les signes qui montrent que l’on deviant accro aux jeux ?</strong><br />
À partir du moment où cela devient répétitif et un besoin continue. Quand on a le sentiment d’avoir un manque quand on ne le fait pas. Par exemple si on devient agressif, nerveux et irritable quand on ne joue pas et que dès qu’on joue on se sent <em>«bien».</em></p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Que doit-on faire alors ?</strong><br />
Il faut passer par cette phase d’acceptation. Accepter de trouver de l’aide, accepter de se faire aider, accepter de mettre son ego de côté et de changer. Il faut que la personne ait cette volonté de se faire aider pour qu’elle puisse mettre en pratique les outils thérapeutiques et pour qu’elle puisse dire non à l’avenir.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Comment est-ce que vous procédez avec ces patients ?</strong><br />
Premièrement, il faut savoir que c’est un traitement thérapeutique qui peut prendre deux à cinq ans. Nous établissons en premier lieu le contact : connaître son identité, son environnement, ses paramètres médicaux. Ensuite nous entamons la phase d’observation du patient. Nous étudions son body language, son niveau de réflexion et ainsi de suite. La troisième phase est l’écoute. L’écoute individuelle, avec les membres de la famille, c’est très important et en session de groupe avec d’autres patients souffrant de la même addiction. Nous appelons ça des groupes motivationnels car ils s’entraident et réalisent qu’ils ne sont pas les seuls à souffrir de cela.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Est-ce que l’on doit s’attendre à des rechutes ?</strong><br />
Oui. La rechute fait partie du traitement de la personne. Les rechutes aident aussi à comprendre son addiction et apprendre comment surmonter cela.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>La famille dans tout ça ?</strong><br />
Il faut savoir que l’addiction au jeu est comme toute autre addiction. La famille doit soutenir le patient quand il se soigne car il a besoin d’elle. C’est dur pour elle aussi certainement et c’est pour cela que nous faisons des sessions d’écoute avec la famille. Mais la famille doit garder en tête que cette personne va mal et qu’elle a besoin de soutien.</p>
Publicité
Les plus récents