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Visite papale: quatre personnes aux fourneaux

3 septembre 2019, 18:06

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Visite papale: quatre personnes aux fourneaux

La visite papale, fut-elle éclair, nécessitera, en amont, des préparatifs d’envergure le jour même. Pour tout le monde mais cependant pas de la même façon. Cela va chauffer, surtout dans les cuisines de l’évêché, le lundi 9 septembre.

Alors que des milliers de Mauriciens assisteront à la messe que le Saint-Père célébrera au monument Marie Reine de la Paix, le 9 septembre, quatre personnes seront littéralement au four et au moulin ce jour-là. Et ce, dès 7 heures du matin. Il s’agit de Désiré Moura, qui était jusqu’à mars dernier le cuisinier particulier du cardinal Piat, à Tamarin ; Christiane Othello, sa cuisinière à l’évêché ; Marie-Laure Barbe, affectée au nettoyage à l’évêché mais qui prête main-forte à la cuisine ; et de l’épouse de Désiré Moura, Marie-Claire.

Quelques mots d’abord sur ces privilégiés qui cuisineront pour le pape François et qui s’occuperont de dresser le couvert et du service de cet unique déjeuner papal. Désiré Moura, dont le frère Michel est prêtre, ne se destinait pas à manier les casseroles et autres ustensiles, même si son père, Bénédicte, excellait dans le domaine, ayant travaillé pour la Royal Navy au temps des Anglais puis à l’hôtel Dinarobin, au restaurant Relais de La Mivoie et dans d’autres établissements de renom.

«Bann-la dir gagn sa dan labouzi sa!» affirme Désiré Moura avec une pointe d’humour. Sa mère était employée de maison à Britannia, mais bien vite, son employeur lui a demandé de faire la cuisine aussi. Désiré Moura, qui allait la rejoindre chaque après-midi pour rentrer ensemble, a toujours pris plaisir à voir la façon dont elle se débrouillait. Et sans le savoir, il a tout emmagasiné dans sa tête.

Lui voulait être ébéniste. Vers l’âge de 17 ans, il a été placé auprès d’un ébéniste de renom et après trois à quatre ans d’apprentissage, il était bon pour l’emploi. Il a travaillé pendant plusieurs années chez Max Ramar à fabriquer des meubles. Il ne touchait alors que 75 sous.

Lorsque ses frères et sœurs venaient lui rendre visite, c’était souvent lui qui cuisinait et on le complimentait pour ses plats. Au fur et à mesure que le temps passait, la vie est devenue difficile. Si bien qu’un mois après avoir épousé Marie-Claire, il a été remercié car l’entreprise ne recevant plus autant de commandes qu’autrefois. À 30 ans, il a dû envisager une reconversion professionnelle. «Sot dan kanal tom dan ravin!» lâche-t-il.

Désiré Moura a trouvé de l’emploi comme laboureur sur la sucrerie Britannia. Au bout de deux mois, un chef de section lui a dit que l’administrateur de la sucrerie Roger Julienne cherchait un bon cuisinier et avait appris qu’il savait y faire aux fourneaux. Il a été pris à l’essai. Dès son premier jour de travail, il a eu des palmistes à braiser et trois canards à l’orange à cuisiner. Désiré Moura n’a pas paniqué. Il s’est souvenu de ce qu’il avait vu ses parents faire et le repas a été très apprécié. Si bien qu’au lieu d’être pris à l’essai, il a été confirmé sur le champ.

Désiré Moura est resté 16 ans au service de l’administrateur de Britannia. Il a travaillé quelque temps avec son successeur avant de «pran mo VRS». C’est le père Paschal qui l’informe que l’évêque de Port-Louis, élevé au rang de cardinal Piat, cherchait un cuisinier. Il a fini par se présenter et ses services ont été retenus. Il a fréquenté les cuisines de l’évêché pendant 20 mois avant que Mgr Piat ne l’emploie à titre personnel dans sa maison à Tamarin.

Du 11 juin 2002 au 30 mars dernier, Désiré Moura a travaillé comme cuisinier personnel du cardinal, qui mange surtout du poisson et très peu de poulet. Les viandes rouges ne font plus partie de son alimentation. Et le cardinal est généralement végétarien au dîner, se contentant très souvent d’une soupe de légumes. «Il m’appelle son ange gardien», raconte Désiré Moura, qui s’est retiré à 66 ans.

Pour sa part, Christiane Othello, 60 ans, compte 15 ans de service à l’évêché. Pendant les trois premières années, elle a agi comme femme de ménage, avant d’être cooptée comme aide en cuisine. Elle a aidé le cuisinier qui y était affecté pendant 12 ans. Lorsque ce dernier est parti, on lui a demandé de prendre le relais.

Cette habitante de Tranquebar dit avoir «un peu hésité, parski mo bann manzé ki mo kwi sinp», mais a fini par accepter. Parmi les dignitaires pour lesquels elle a cuisiné jusqu’ici dans les cuisines de l’évêché, il y a eu des ambassadeurs de pays étrangers et le nonce apostolique. Quant à Marie-Laure Barbe, elle est affectée au nettoyage à l’évêché depuis 16 ans. Mais lorsqu’on a besoin d’elle en cuisine, elle n’hésite pas à montrer ce dont elle est capable.

Alors, que vont-ils préparer comme déjeuner pour le pape François, à l’issue de la messe au monument Marie Reine de la Paix ? Si nos interlocuteurs racontent leur parcours en toute simplicité, ils deviennent muets comme des tombes lorsqu’on leur demande de parler du menu papal. On arrive tout de même à leur soutirer des bribes d’informations.

Au menu, il sera question de mer et de terre. Il y aura une salade en entrée. «Dan lantré, li pou lamer ek dan pla rézistans, li pou laser», avance Désiré Moura. Appelé à en dire plus, il ajoute : «Kitfwa li pou enn roti bien morisien. Li pou enn zafer ki pou bizin mariné lavey», précise-t-il. Les légumes qui accompagneront le rôti seront frais. Et ce sera un plat au pain. Le dessert qui sera préparé à partir de fruits ou d’ingrédients locaux sera concocté par les femmes car Désiré Moura n’est «pa dan sa séga-la». Ce que l’on sait, c’est qu’il s’agira d’un dessert qu’elles ont l’habitude de préparer pour le cardinal Piat.

Le pape François, Mgr Piat et sept autres invités – certains faisant partie de la délégation papale et d’autres sont des évêques de l’océan Indien – déjeuneront dans la salle à manger de l’évêché. Les 18 autres invités seront dans une des salles attenantes. Si Désiré Moura et ses accompagnatrices seront en cuisine dès 7 heures du matin, le repas complet sera prêt à cinq minutes de l’arrivée des dignitaires à l’évêché. «Kardinal Piat inn dir nou ki lépap François é tou bann invités pou ariv l’évêché ver 14 h 15. 14 h 10, tou pou pré pou zot pas a-tab.» Désiré Moura a déjà cuisiné pour 125 personnes. Donc, le faire pour 27 est pour lui un détail. «C’est peanuts ça», dit-il en riant.

Pour Christiane Othello, Marie-Laure Barbe et Marie-Claire Moura, c’est «un grand honneur» d’avoir été choisies pour cuisiner et assurer le service pour le pape François. Pour de Désiré Moura aussi. «Le Christ est venu sur Terre pour servir. Le pape est un serviteur de Dieu. Nous servirons des serviteurs de Dieu et c’est un grand et inoubliable privilège.»

Et si après leurs efforts, ils reçoivent la bénédiction papale, ce sera la cerise sur le gâteau.