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Ranvir Mathoorasingh: les tribulations d’un lanceur d’alerte
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Ranvir Mathoorasingh: les tribulations d’un lanceur d’alerte
Ayant exercé comme directeur responsable de plusieurs sociétés, Project Manager et Trustee, Ranvir Mathoorasingh a frappé à plusieurs portes pendant des années avec des documents officiels en main pour dénoncer un cas qui, à ses yeux, constitue un ensemble de techniques bien rodées visant à masquer l’existence d’activités de blanchiment d’argent, d’évasion fiscale et d’achat frauduleux de biens immobiliers. Finalement, il s’est exprimé tel un lanceur d’alerte (Whistleblower) à la Mauritius Revenue Authority et au ministère des Services financiers.
Vous avez décidé d’approcher la Mauritius Revenue Authority et le ministère des Services financiers et de la bonne gouvernance pour dénoncer ce qui, à votre avis, constitue un cas potentiel d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent dans le secteur des services financiers. En quoi consiste la technique utilisée par les personnes pour, selon vous, s’adonner à une opération d’évasion fiscale ?
La technique dans ce cas consiste à dissimuler une transaction dans le cadre des activités d’une compagnie holding par le biais d’un ensemble de filiales et de partenariats civils qui, évidemment, n’ont aucun bien inscrit en leur nom. D’autres professionnels s’arrangent pour que, sur papier, il n’y ait aucun signe d’existence des propriétés dans les sociétés. Des documents officiels de même que le rapport annuel de sociétés engagées dans de telles activités font tout pour que les documents soumis aux autorités paraissent le plus réglementaire possible. C’est de cette manière que des propriétés non-déclarées aux autorités compétentes peuvent changer de main. Une opération soutenue par des transferts d’action par un acte notarié avec à la clé que rien n’est payé comme impôt.
Comment une compagnie de gestion (management company) peut-elle contribuer à la mise en place d’une opération d’évasion fiscale ?
Le service d’une management company dûment enregistrée auprès de la Financial Services Commission, l’organisme régulateur des services financiers, pourrait être utilisé pour contribuer à masquer l’existence de biens immobiliers au sein d’un Trust. Une telle compagnie peut être partie prenante d’une organisation offrant des services de secrétariat et de comptabilité. C’est ainsi que plusieurs corps de métier peuvent constituer une sorte de guichet unique «one stop shop» pour l’exécution d’activités malhonnêtes au profit des étrangers et où des soi-disant professionnels peuvent remplir leurs poches au détriment de l’intérêt supérieur du pays. L’explication fournie par Leona Helmsley, dans le cadre d’un procès portant sur un cas d’évasion fiscale est révélatrice. La développeuse milliardaire avait ceci à dire : «Nous ne payons pas d’impôt. Seules les petites gens payent l’impôt». Il n’est pas interdit de croire que l’on puisse se trouver en face d’individus de cette trempe si les autorités compétentes font la sourde oreille aux informations qui leur ont été fournies.
N’êtes-vous pas en train de confondre entre la possibilité de payer le moins d’impôts possible, ce qui est tout à fait légal, et l’évasion fiscale ?
Je n’ai pas l’étoffe d’un expert en fiscalité. Je sais qu’il existe une confusion entre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. L’évasion fiscale est un délit car elle prive l’État d’une rente qui lui est due. L’évitement fiscal ne l’est pas car il n’est pas interdit à un contribuable de démontrer, preuve à l’appui, que le montant de son impôt est bien moindre que ce qu’une autorité fiscale a préconisé. Pour qu’un contribuable réclame le droit de payer moins de taxe, il lui faut au préalable soumettre à l’autorité fiscale tous les documents relatifs aux transactions pour justifier des demandes d’exemptions et de déductions fiscales. Quant au cas que j’ai dénoncé, il n’y a pas de doute dans ma tête. C’est un cas d’évasion fiscale car l’autorité fiscale n’aurait pas été informée de l’existence d’une transaction de biens immobiliers valant des millions d’euros car les documents ont été dissimulés par l’acheteur et le vendeur avec la complicité de certains professionnels.
Pourquoi avoir choisi maintenant pour vous exprimer autour de la question d’évasion fiscale dans le secteur des services financiers ?
Ce n’est pas la première fois que j’ai essayé de dénoncer des cas d’évasion fiscale. En 2015, j’ai soumis au soin de la Financial Services Commission, à la FSC, des documents sur des cas de blanchiment d’argent tant en dollars américains qu’en euros avec à l’appui les documents bancaires appropriés. Ces dénonciations concernent également des cas d’évasion fiscale par rapport à l’acquisition de biens immobiliers valant plus d’un milliard de roupies en indiquant le lieu exact où ce projet immobilier est implanté. C’est un projet qui implique un milliardaire sud-africain et une management company dûment accréditée par la FSC.
Quelle suite a été donnée à votre démarche ?
Ma démarche n’a pas eu l’effet escompté auprès de la Financial Services Commission. Même pas un avis de réception. Il a fallu que mon père utilise son statut d’avocat pour obtenir une réponse de la FSC. C’était en mai 2015. Dans sa réponse, la FSC informait mon avocat que the matter has been referred to relevant competent authorities. Dans une réponse en date du 25 mars 2015 à une lettre sous la signature de mon conseil légal, le bureau du Directeur des poursuites publiques m’informe qu’il peut certes prendre des actions mais après que l’enquête entreprise par les autorités compétentes aura été complétée et après qu’un dossier concernant cette affaire ait été soumis à son bureau. J’attends toujours. À qui la Financial Services Commission a-t-elle confié le dossier ? Je n’ai pas de réponse à cette question.
Nourrissez-vous un quelconque espoir que la présente initiative débouchera sur quelque chose de positif ?
Je l’espère de tout coeur. J’espère que mes dénonciations ne sont pas tombées dans l’oreille de personnes qui ne veulent rien voir et rien entendre et qui veulent se convaincre que tout est correct dans le meilleur des mondes. Avec la présence d’un nouveau venu au poste de ministre des Services financiers et de la bonne gouvernance et à la lumière des déclarations qu’il a faites après la parution des articles se rapportant aux Mauritius Leaks, il est à espérer que de tels abus ne seront plus tolérés. Ma décision de faire état des cas d’évasion fiscale est intervenue après une conférence de presse de la Mauritius Revenue Authority où l’existence d’un tel délit dans le secteur des services financiers a été évoquée.
Avez-vous un intérêt dans cette affaire, comme par exemple le désir de jeter de la boue sur la réputation de personnes avec lesquelles vous auriez eu des problèmes auparavant ?
Les différends que j’ai pu avoir avec les uns ou les autres sur le plan professionnel n’ont rien à faire avec ma décision d’effectuer de telles dénonciations. Ma démarche a pour origine mon indignation face à ces personnes qui font comme si elles sont au-dessus de la loi. Elles ne paient pas à l’État le montant de la taxe escompté alors que le commun des mortels doit s’acquitter de ses responsabilités fiscales au risque d’en subir des conséquences fâcheuses.
Pourquoi la MRA et le ministère des Services financiers et de la bonne gouvernance ?
La Mauritius Revenue Authority et le ministère des Services financiers ont prêté une oreille attentive au contenu des renseignements et des documents que je leur ai soumis le mois dernier pour faire la démonstration que mes propos ne reposent pas sur du vent. Grâce à cette posture, il y a eu un regain de confiance qu’il existe la possibilité qu’un citoyen ordinaire qui dénonce des délits aussi graves que l’évasion fiscale et le blanchiment puisse être écouté. Ce n’était pas l’accueil que j’ai obtenu auprès de ces institutions que j’ai contactées dans le but de les inciter à réagir par rapport aux cas d’évasion fiscale que j’ai dénoncés.
La Mauritius Revenue Authority a été contactée en raison de son statut d’autorité fiscale. Elle a le pouvoir de mener des enquêtes pour vérifier le bien-fondé ou pas des cas de dénonciation de situation d’évasion fiscale.
Le ministère des Services financiers peut faire pression sur la Financial Services Commission pour qu’elle prenne des actions contre les management companies ayant été trouvées coupables d’avoir participé à une opération d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Leur permis d’opération peut être révoqué. Des poursuites peuvent être engagées contre les management companies incriminées. C’est leur action et non pas leur parole qui peut donner à comprendre que sous leur impulsion des choses sont en train de changer pour le mieux et que des institutions méritent notre confiance.
Qu’attendez-vous de ces institutions à qui vous avez dénoncé ce qui, à vos yeux, constitue un cas potentiel d’évasion fiscale et de blanchiment ?
Je m’attends que ces institutions accomplissent leur devoir conformément aux lois qui existent à Maurice. Les individus impliqués dans les cas que j’ai dénoncés ne doivent plus être autorisés à opérer avec impunité. Ils doivent assumer les conséquences découlant de la gravité de leur action. S’ils sont trouvés coupables du reproche que je leur fais, ils ne doivent pas être sanctionnés par des amendes de valeur relativement modeste pour ensuite continuer à faire comme si de rien n’était. Ceux qui ont subtilement abusé le système ternissent l’image et la réputation de Maurice à l’étranger. Ils ne doivent plus être autorisés à opérer ici.
En dénonçant des transactions qui se sont déroulées au sein d’un Trust charitable n’êtesvous pas en train de violer les dispositions de la Trust Act qui stipulent qu’un Trustee a l’obligation de ne pas faire état des activités dont la confidentialité doit être scrupuleusement respectée faute de quoi, on risque de jeter du discrédit sur le secteur des services financiers en général ?
Tous les documents que j’ai soumis à la Mauritius Revenue Authority et au ministère des Services financiers ont été produits lors de procès en cour et sont donc du domaine public. Je n’ai en aucun cas violé la règle de confidentialité. Car les documents que j’ai soumis à ces deux autorités ont été obtenus bien avant que je ne sois invité à oeuvrer comme Trustee. On ne doit pas recourir à toutes sortes d’explications et de subterfuges rien que pour m’empêcher de dénoncer un cas d’évasion fiscale et de blanchiment.
Je ne suis pas en train de faire le procès de qui que ce soit. Je n’ai cité aucun nom. J’ai tout simplement invité la Mauritius Revenue Authority et le ministère des Services financiers et de la Bonne gouvernance à assumer leur responsabilité dans ce que je considère être un cas potentiel d’évasion fiscale. Je n’ai fait que mon devoir de citoyen dans l’intérêt supérieur du pays.
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